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Économie - Enquêtes judiciaires

Face aux attaques « persistantes », Salamé brandit les résultats d’un audit qu’il a lui-même commandé

Si le gouverneur de la Banque du Liban a choisi cette manière de faire pour clamer son innocence, un expert-comptable contacté par « L’Orient-Le Jour » met en doute la crédibilité d’une telle procédure, la qualifiant de « biaisée ».

Face aux attaques « persistantes », Salamé brandit les résultats d’un audit qu’il a lui-même commandé

Un manifestant à Beyrouth à l’automne 2019 portant un masque à l’effigie de Riad Salamé, le gouverneur de la Banque du Liban. Photo d’archives AFP

Les rumeurs allaient bon train depuis lundi soir. « Une surprise monétaire et judiciaire » concernant le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, empêtré dans plusieurs affaires juridiques au Liban et à l’international, devrait tomber « dans les prochains jours », avait ainsi prévenu la chaîne libanaise LBCI. Un suspense auquel a mis fin le gouverneur lui-même hier matin en publiant un communiqué dans lequel il annonce avoir fait appel à « un cabinet d’audit », qu’il qualifie « de premier rang et reconnu », afin que celui-ci audite les opérations de transactions et d’investissements le concernant. Des opérations pour lesquelles il estime être attaqué dans les médias de façon « persistante ».

C’est sans publier le rapport d’audit ni même nommer ce fameux cabinet que Riad Salamé a lancé sa défense donc, contre « les attaques incessantes » qu’il subit, à propos de « certaines transactions de la banque centrale durant (son) mandat » et de sa fortune personnelle. S’il note, à la fin de ce communiqué, que ce rapport sera transmis « aux autorités judiciaires et à d’autres personnes au besoin », le gouverneur affirme, en citant lui-même les conclusions du rapport, qu’en aucun cas, des fonds publics n’ont été utilisés à mauvais escient, notamment dans l’affaire juridique focalisée sur son frère, Raja Salamé, sur laquelle L’Orient-Le Jour est revenu mardi dernier. Les autorités judiciaires qui pourraient réceptionner ce rapport d’audit seront celles de « la justice internationale », selon une source proche de la BDL. Une justice qui s’active en effet, en sus d’une enquête ouverte au Liban, dans plusieurs pays européens (en Suisse, en Angleterre, en France, au Royaume-Uni et au Luxembourg), enquêtant notamment sur la fortune détenue par le gouverneur et son entourage proche. En plus de son frère, et en fonction des enquêtes de chacun de ces pays, sont en effet concernés l’assistante de Riad Salamé et conseillère senior à la BDL, Marianne Hoyek, ainsi que Anna Kosavoka, la mère d’un enfant reconnu par le gouverneur en 2007.

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Si Riad Salamé a choisi cette manière de faire pour clamer son innocence, qu’il martèle depuis des mois, autant dans le dossier des transactions de la BDL que pour celui concernant sa fortune, un expert-comptable contacté par L’Orient-Le Jour met en doute la crédibilité d’une telle procédure, la qualifiant de « biaisée ». Le gouverneur a précisé que ce rapport d’audit a été mené en suivant « la norme internationale de services connexes 4440 (révisée) » (International Standard on Related Services (ISRS) 4400 (Revised), Agreed-Upon Procedures Engagements, en anglais). Or, ce type d’audit ne vérifie pas tous les aspects d’une entreprise ou d’une transaction, mais uniquement ceux demandés par le client, explique l’expert qui a requis l’anonymat. En somme, dans le cadre de cet audit commandé par le gouverneur lui-même, celui-ci a simplement pu choisir ce qui pouvait être audité ou pas.

Acte 1 : les transferts de la BDL

À propos des transferts effectués par la BDL, Riad Salamé évoque d’abord l’affaire judiciaire mettant en cause la compagnie Forry Associates Ltd. (Forry), enregistrée aux îles Vierges britanniques en 2001 et dont le bénéficiaire économique n’est autre que son frère Raja. Une enquête, menée en Suisse et au Liban (suite à une demande d’entraide judiciaire de la part de la Confédération helvétique), porte sur des transferts suspects de plus de 330 millions de dollars américains effectués à partir d’un compte de la BDL entre 2002 et 2014 (et quelques transferts en 2015) vers un compte de HSBC Private Bank (Suisse). Ces transferts ont eu lieu dans le cadre d’un contrat de courtage sur des eurobonds et des bons du Trésor, signé entre la BDL et Forry.

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Selon le gouverneur, toujours sur base des conclusions du rapport d’audit auquel aucun média n’a eu accès, une « tierce partie » aurait déposé les « montants dans le compte de compensation à la BDL » (clearing account), et les frais ainsi que les commissions auraient eux aussi été payés par ce tiers. Ce qui prouve « clairement », estime M. Salamé, que « pas un seul sou public n’a été utilisé pour payer » Forry. Sur ce point, une source proche du dossier a expliqué à L’Orient-Le Jour qu’il ne pouvait s’agir d’argent public mais plutôt de l’argent décaissé par les acquéreurs des bons du Trésor et des eurobonds dans le cadre de ce contrat. Par exemple, si une entreprise acquiert 100 millions de dollars d’eurobonds, la BDL doit payer une commission à la société Forry. Un paiement provenant alors de l’argent déboursé par cette même entreprise qui deviendrait donc la « tierce partie ».

Sur ce dossier, pour l’expert-comptable contacté, « les montages financiers sont difficiles à tracer », indiquant par-là que ce ne sont pas les transferts entre la BDL et Forry qui intéressent les enquêteurs mais les transactions suivant le passage de l’argent dans les comptes de Forry. En effet, le parquet suisse enquête sur un transit de presque la totalité du montant de 330 millions de dollars vers des comptes personnels de Raja Salamé en Suisse puis au Liban, ainsi que vers des entreprises liées à Riad Salamé et Marianne Hoyek. De plus, pas moins de 207 millions de dollars auraient été à nouveau transférés au Liban vers des comptes au nom du frère de Riad Salamé au sein de cinq banques libanaises. Et c’est sur ce montage financier que se concentrent les investigations, insiste l’expert-comptable.

Dans son communiqué, Riad Salamé mentionne ensuite l’affaire concernant la vente par la BDL de plus de 150 millions de dollars de titres adossés à des actifs (Asset-Linked Notes) qui auraient été rachetés en 2012, sans que l’on connaisse l’identité de l’acquéreur, bien que la demande d’entraide suisse révèle que cet achat de bons du Trésor a été effectué via un compte ouvert auprès de la Federal Bank Reserve à New York. De son côté, le gouverneur juge « ridicules » les informations circulant dans la presse qui indiquent que la BDL n’a pas encaissé le montant de cette vente. Il précise également avoir demandé au cabinet d’audit de vérifier ces transactions. Lequel cabinet a conclu que l’argent avait bel et bien été transféré à la banque centrale.

Sur ce dossier des transferts d’argent de la BDL, Riad Salamé conclut en soulignant que « (ses) opposants semblent avoir oublié que la BDL est officiellement auditée par deux cabinets internationaux ». En 2018, comme l’avait mentionné un document ayant fuité au printemps 2020, ces deux auditeurs étaient Deloitte et Ernst & Young (E&Y). Dans leur rapport toutefois, tous deux avaient pointé du doigt plusieurs problèmes : des pratiques comptables non conventionnelles de la part de la BDL et le fait que les deux sociétés en charge de l’audit n’aient pas eu accès à tous les documents demandés.

Acte 2 : la fortune personnelle

Concernant la fortune personnelle du gouverneur, ce volet du communiqué est bien plus long que celui concernant les transactions de la BDL. Au cours des deux dernières années, Riad Salamé a maintes fois martelé être arrivé au poste de gouverneur de la BDL en 1993 avec une fortune personnelle estimée à 23 millions de dollars, provenant de son activité de banquier à Merrill Lynch et d’héritages divers. Des affirmations qu’il a réitérées hier, précisant que son salaire mensuel versé par la banque était alors de « 167 000 dollars », portant son salaire annuel à « 2 millions de dollars ».

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Une fortune confiée, selon le gouverneur, à des « personnes qualifiées et de confiance » afin d’en assurer la gestion, « sans aucune intervention de (sa) part, le poste qu’(il) occupe ne le lui permettant pas ». L’article 20 du code de la monnaie et du crédit (CMC) l’autorise à détenir des actions d’entreprises et à n’exercer que sa profession de gouverneur. Cet article lui permet donc, selon lui, « d’investir sa fortune personnelle et de la faire fructifier tant qu’il s’agit d’immobilier et d’investissements financiers ».

Riad Salamé affirme également détenir des documents prouvant l’origine de cette fortune et les avoir transmis aux autorités judiciaires concernées. En outre, il souligne avoir déclaré sa fortune en accord avec la loi n° 189/2020 relative à la déclaration du patrimoine. Enfin, le gouverneur indique que le cabinet d’audit a également revu ses comptes libellés en dollars et en euros ouverts en son nom à la BDL, concluant que ces comptes « n’ont pas reçu d’argent de la part de la banque centrale ».

Les rumeurs allaient bon train depuis lundi soir. « Une surprise monétaire et judiciaire » concernant le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, empêtré dans plusieurs affaires juridiques au Liban et à l’international, devrait tomber « dans les prochains jours », avait ainsi prévenu la chaîne libanaise LBCI. Un suspense auquel a mis fin le gouverneur...

commentaires (5)

Non, au Liban c'est la décence qui tue.

Christine KHALIL

20 h 28, le 18 novembre 2021

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Commentaires (5)

  • Non, au Liban c'est la décence qui tue.

    Christine KHALIL

    20 h 28, le 18 novembre 2021

  • Le ridicule ne tue pas.

    Nadim Mallat

    12 h 26, le 18 novembre 2021

  • Un enfant aurait honte d'avancer de tels arguments...!!! Mais chez nous, tous les responsables ne connaissent pas ce sentiment !!! - Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 03, le 18 novembre 2021

  • 6 pays, et pas des moindres, Ont entamé des instructions pour blanchiment aggravé, biens mals acquis etc…contre le dénommé Salamé. Cette protection milutuelle dans le crime financier, de la classe politique, de la milice, et de l’argentier , sera ébranlée un jour ou l’autre… C’est tout une classe politique et financière, qui mérite l’échafaud.. Un 1789 à la libanaise

    LeRougeEtLeNoir

    08 h 55, le 18 novembre 2021

  • Mr. Salame is the highest paid public servant in Lebanon. How can we afford him? Is he paid getting paid in Lebanese pounds at 1500 LL or in lollars at 3900 LL, or in fresh US$, all terminologies that he has created. The many investigations into him and his family for suspicious activities should sideline him from the job as governor of BDL until all investigations have been completed and he's been exonerated. Meanwhile, he should not be allowed to maintain his position.

    Mireille Kang

    03 h 20, le 18 novembre 2021

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