(Mardi 16 mai 2023, la juge d'instruction française chargée de l'enquête sur le patrimoine européen de Riad Salamé a délivré un mandat d'arrêt international le visant, après son refus de se présenter à un interrogatoire à Paris. Nous vous proposons de relire cet article sur le patrimoine du gouverneur de la BDL que nous avions publié en juillet 2021)
De nouveaux éléments ont été révélés par le journal suisse Le Temps sur le vaste patrimoine immobilier en France du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé et de son entourage. Les documents, auxquels L’Orient-Le Jour a eu accès, mettent en avant un nouveau personnage-clef dans l’entourage du gouverneur : Anna Kosakova, à la tête notamment d’une société immobilière, qui a acheté pour au moins 10 millions d’euros de biens immobiliers en France. Ressortissante ukrainienne de 44 ans, elle est également la mère de E. Salamé, 15 ans, la fille de Riad Salamé, qu’il a reconnue deux ans après sa naissance, d’après son acte de naissance que L’Orient-Le Jour a pu consulter.
Ces révélations surviennent alors que le gouverneur est visé par trois enquêtes pour soupçons de biens mal acquis. La première a été ouverte par le parquet suisse pour « blanchiment d’argent aggravé en lien avec de possibles détournements au préjudice de la Banque du Liban » d’une somme de plus de 330 millions de dollars réalisés avec l’aide de son frère, Raja Salamé. La deuxième a été ouverte en avril au Liban dans la foulée des découvertes suisses, tandis que la troisième, confiée à des juges d’instruction anticorruption du Parquet national financier (PNF), a été ouverte en France en mai pour « blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs ».
Dans ce contexte, l’étude des biens immobiliers du gouverneur et de son entourage est essentielle puisqu’elle permet « de déterminer où l’argent, dont l’origine proviendrait de détournement de fonds publics au Liban, a été dissimulé et investi en Europe, afin de pouvoir geler et, à terme, récupérer les potentiels biens mal acquis ainsi que les revenus qu’ils ont générés », explique une source judiciaire libanaise. Autre enjeu : confirmer que l’ampleur du patrimoine peut être raisonnablement justifiée par rapport aux revenus des personnes concernées.
En réponse aux questionnements sur l’origine de sa fortune, Riad Salamé répète que son patrimoine, estimé selon lui à 23 millions de dollars en 1993, a été accumulé avant sa prise de fonctions à la Banque du Liban, lorsqu’il était banquier d’affaires et que la croissance de ses avoirs est le fait d’investissements en accord avec sa fonction de gouverneur qui, selon le code de la monnaie et du crédit, ne peut pas toucher des intérêts d’une entreprise privée. Contacté pour réagir aux dernières révélations, le bureau du gouverneur n’a pas donné suite.
Trois sociétés
À partir de 2007, juste après la reconnaissance de sa fille par Riad Salamé, Anna Kosakova va jouer un rôle actif dans l’acquisition d’un vaste patrimoine immobilier, qui s’articulera autour de trois entreprises qu’elle dirige (voir schéma).
La première, BET SA, est une société de gestion de fonds créée en avril 2007 au Luxembourg, constituée d’un capital social de 200 000 euros. Elle a pour objet « la prise de participations sous quelque forme que ce soit dans d’autres sociétés luxembourgeoises ou étrangères, ainsi que la gestion, le contrôle et la mise en valeur de ces participations », selon les statuts de l’entreprise. Le président de son conseil d’administration est M. Gabriel Jean, qui est par ailleurs gérant de Stockwell Investissement SA, une société luxembourgeoise détenue par Riad Salamé. L’actionnaire unique de Bet SA est Anna Kosakova.
La seconde entreprise est une société civile immobilière française, ZEL, au capital de 10 000 euros, créée 10 jours plus tard, avec pour objet « l’acquisition, l’administration et la gestion par location ou autrement de tous immeubles et biens immobiliers », selon les statuts de l’entreprise. L’actionnaire majoritaire de ZEL est BET SA, qui détient 99 % des parts de l’entreprise. ZEL est par ailleurs directement liée au frère de Riad Salamé, Raja, qui a géré la compagnie pendant plusieurs années et en a été aussi actionnaire à hauteur de 1 %, avant de céder ses parts à Anna Kosakova en 2015.
BET SA aurait alimenté la société immobilière française : selon ses comptes annuels, elle a ainsi prêté à ZEL 21,5 millions d’euros en incluant les intérêts. Cette dernière va acquérir de nombreux biens immobiliers, selon les actes de vente auxquels L’Orient-Le Jour a eu accès. ZEL achète d’abord en 2007 un appartement dans le XVIe arrondissement de Paris, avenue Georges-Mandel, d’une valeur de 2,4 millions d’euros, où est domiciliée Anna Kosakova. L’appartement est financé à partir des fonds propres de Raja Salamé (900 000 euros) et au moyen d’un prêt de HSBC France à Paris (1 million cinq cent mille). Deux ans plus tard, la société acquiert un appartement de 179 m² d’une valeur de 2,9 millions d’euros dans le même lot d’immeubles. En 2010, elle achète des bureaux d’une superficie de 223 m² situés au 66, avenue des Champs-Élysées pour 2,5 millions d’euros. Puis, en 2011 et 2014, ZEL acquiert respectivement des bureaux d’une superficie de 217 m² pour 2,6 millions d’euros et de 222 m² pour 3,7 millions d’euros. Soit en tout l’équivalent du 3e, 4e et d’une partie du 5e étage de l’immeuble.
Anna Kosakova est par ailleurs à la tête d’Eciffice et en même temps son actionnaire unique. Selon son site internet, Eciffice est un centre d’affaires situé au 66, avenue des Champs-Élysées, proposant des services de location d’espaces de travail et de coworking. L’activité de location des bureaux a généré en moyenne 1 million d’euros de chiffre d’affaires annuel en 2019, selon ses bilans. Le nom de Riad Salamé n’apparaît jamais directement dans ces opérations. Coïncidence ou signe de précipitation, le siège social de BET SA a été transféré vers la France en mai dernier, selon un document du Tribunal de commerce de Paris consulté par L’Orient-Le Jour.
Le point sur l’enquête visant le gouverneur de la Banque centrale
Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) Riad Salamé sera auditionné début août par le procureur adjoint près la Cour de cassation, Jean Tannous, pour « détournement de fonds publics, enrichissement illicite, blanchiment d’argent et évasion fiscale », dans le cadre de l’enquête libanaise le visant. Des chefs d’accusation assortis de peines pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison, selon une source judiciaire proche de l’enquête, et qui permettent de mieux cerner les pistes envisagées dans la détermination de l’infraction d’origine commise au Liban, dont le bénéfice aurait ensuite été dissimulé ou blanchi via un circuit de flux financiers passant par des banques suisses, puis investi dans l’immobilier en Europe. L’enquête a été ouverte par le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, suite à une instruction judiciaire menée par le Ministère public de la Confédération helvétique (MPC) pour soupçons de « blanchiment d’argent aggravé en lien avec de possibles détournements au préjudice de la BDL ».Selon la demande de coopération judiciaire adressée par le parquet suisse à la justice libanaise en janvier, dont une copie a fuité en avril, l’investigation du MPC porte sur des transferts suspects de plus de 330 millions de dollars réalisés à partir d’un compte de la banque centrale entre 2002 et 2014, dans le cadre d’un contrat de courtage sur des eurobonds et des bons du Trésor signé entre la BDL et Forry Associates Ltd (Forry). Le bénéficiaire économique de cette société, enregistrée aux îles Vierges britanniques en 2001, est le frère du gouverneur Raja Salamé. Toujours selon les informations de la requête suisse, l’argent a ensuite circulé vers des comptes de Raja Salamé en Suisse puis au Liban, ainsi que vers des entreprises liées à Riad Salamé et Marianne Hoyek, conseillère senior à la BDL et assistante du gouverneur. Ce montage a soulevé des interrogations, notamment sur le rôle réel de l’entreprise dans la gestion des outils financiers, l’opacité autour du contrat, les procédures de son attribution, la succession des structures off-shore ou encore les risques de conflits d’intérêts.
Le bureau de Riad Salamé n’a pas répondu à nos sollicitations, mais interrogé à différentes reprises sur l’origine de sa fortune, le gouverneur répète que son patrimoine, estimé selon lui à 23 millions de dollars en 1993, a été accumulé avant sa prise de fonctions à la BDL, lorsqu’il était banquier d’affaires. « Le gouverneur fait face aujourd’hui à un véritable champ de mines. La nouvelle loi 189 du 16 octobre 2020 considère l’enrichissement illicite comme un crime en soi et prévoit désormais un renversement de la charge de la preuve. C’est-à-dire que c’est désormais à Riad Salamé de prouver qu’il y a une correspondance entre ses revenus de base et son patrimoine », a expliqué Karim Daher, avocat au barreau de Beyrouth et membre du Facti Panel de l’ONU.
N.M.A.
Le culot de gebran Bassile. Lui même est visé par une enquête non???
15 h 59, le 16 novembre 2021