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Société - Pauvreté au Liban

Hector Hajjar à L’OLJ : La majorité de nos institutions sociales sont en mode survie

La crise, selon le ministre des Affaires sociales, touche violemment environ 100.000 foyers, soit près de 500.000 à 750.000 personnes de tous âges et de tous horizons sociaux.

Hector Hajjar à L’OLJ : La majorité de nos institutions sociales sont en mode survie

Un atelier de travail à Acsauvel. Photo DR

Beaucoup ont pu les entrevoir, la semaine dernière, à la télévision. Mal nourris, le visage have, les yeux vides, 77 pensionnaires de l’asile psychiatrique Sancta-Maria, à Ras Osta (Jbeil), maltraités jusqu’à l’hébétude, ont été évacués d’une institution sociale qui avait cessé de mériter ce nom, vers des centres sociaux plus salubres.

Cet indigne spectacle illustre parfaitement ce que le nouveau ministre des Affaires sociales, Hector Hajjar, a confié à L’Orient-Le Jour dans un entretien : la majorité des institutions sociales du pays ont périclité et sont menacées de fermeture, et la faute n’en incombe pas à leurs seuls responsables. Beaucoup, livrées à elles-mêmes, privées de toutes leurs subventions depuis plus de deux ans par le ministère des Finances, laminées par la dépréciation de la livre qui a perdu plus de 90% de sa valeur, désertées par une partie de leurs employés, en particulier leur personnel infirmier, éducateurs spécialisés et paramédicaux, fonctionnent désormais en mode survie.

La crise, estime le ministre des Affaires sociales, touche au minimum 100.000 foyers, soit environ 500.000 à 750.000 personnes de tous âges et de tous horizons sociaux, si l’on retient le chiffre de 6 millions pour la population libanaise, et si l’on calcule entre 5 et 8% le nombre total de personnes dans le besoin au Liban.

Les institutions concernées, plusieurs centaines, sont celles qui offrent leurs services aux personnes à besoins spécifiques (trisomiques, malentendants, autistes, malvoyants, etc.), ainsi qu’aux personnes issues des groupes vulnérables et marginalisés de la société (enfants abandonnés, femmes victimes de violence, filles-mères, toxicomanes, personnes âgées, SDF, invalides, personnes atteintes de troubles psychiques, correctionnelles, etc.).

Certes, toutes les institutions ne sont pas de la même taille et ne courent pas le même risque de faire naufrage, comme cela s’est passé avec l’institution de Ras Osta. Bien connectées, certaines reçoivent leur financement de l’étranger ou de fonds communautaires, et se sont mises à l’abri. A titre d’exemple, Dar el-Amal assure à L’OLJ dépendre de dons provenant principalement d’Allemagne. Mais la majorité d’entre elles dépendent, pour leur survie, de la manne de l’Etat et/ou d’une éventuelle prise en charge internationale.

« Les aides de l’Etat ont perdu dix fois leur valeur »

Le mot « manne » est, bien sûr, trop généreux dans ce cas particulier, reconnaît M. Hajjar, qui nous reçoit au centre de Bickfaya de l’institution sociale « Message de paix » qu’il a lui-même fondée. « A cause de la dépréciation de la livre, explique-t-il, toutes les aides accordées à ces institutions par l’Etat ont perdu, au minimum, quinze fois leur valeur. » Il poursuit : « Toute la politique sociale au Liban est fondée sur le principe du patronage (ria’ya en arabe). L’Etat n’a pas ses propres institutions en la matière. Il compte sur les diverses associations, avec lesquelles il passe des contrats. Or, non seulement le budget prévu pour ces contrats est insuffisant, comparé aux besoins, mais depuis 2020, les fonds prévus ont cessé d’être payés. Il y a donc un retard de paiement d’environ 24 mois. »

Le ministre Hajjar rencontré dans les locaux de son association \"Message de paix\" à Bickfaya. Photo F.N.

En somme, c’est l’Etat qui parasite ces institutions, lui qui vit à leurs dépens, plutôt que le contraire. M. Hajjar parle d’expérience. Sa propre ONG, « Message de paix », qui possède deux foyers pour enfants et adultes, à Bickfaya et Maad (Jbeil), est en difficulté. « N’étaient nos contacts, nous fermerions en un jour ! » assure-t-il, précisant que la part du lion dans les dépenses de fonctionnement vont au carburant. « Nos générateurs fonctionnent 22 heures sur 24 », précise-t-il.

Un problème que rencontre notamment l’Association civile pour la protection de l’enfance au Liban (Acsauvel). Et pour le contourner, sa présidente, Nabila Farès, raconte avoir équipé son institution -qui prend en charge des enfants trisomiques-, d’une installation photovoltaïque (énergie solaire), se libérant à long terme de dépenses exorbitantes. Toutefois, elle doit toujours verser des frais de transports et des bons d’essence aux éducateurs et chefs d’ateliers spécialisés, ainsi qu’au personnel qui vient de loin : 500.000 livres à ceux qui viennent d’un lieu distant de moins que 15 kilomètres, 750.000 pour les autres.

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Mais d’autres n’ont pas cette chance. Le ministre révèle qu’en raison de la crise, l’internat et l’école technique gratuite du Père Afif Osseiran, à Bauchrieh (Metn), une institution qui octroie une formation professionnelle aux enfants démunis, « est sur le point de fermer », après avoir été en déclin depuis plus de deux ans. « Du temps de son fondateur, l’institution offrait un toit à quelque 150 « chicklet boys », nous confie un ami de cette Fondation, qui précise « qu’elle fut longtemps un modèle d’action sociale ».

« Ces institutions sont en réel danger de fermeture, reprend le ministre. Le Centre hospitalier de Beit Chabab, spécialisé dans le séjour médicalisé de moyen et long terme, a prié les pensionnaires ayant de la famille de rentrer chez eux, après le départ de son personnel étranger, payé en dollars, et vu l’impossibilité de le remplacer. »

Dans la catégorie des institutions à grand risque, M. Hajjar place les centres de réhabilitation pour toxicomanes, puisque les soins qu’ils assurent se font sur le long terme : hospitalisation, cure de désintoxication d’un an puis accompagnement de trois ans. Et les chiffres, dans ce domaine, sont à la hausse.

Deir el-Salib appelle au secours

M. Hajjar confie avoir reçu « un appel au secours des Sœurs de la Croix », qui gèrent notamment Deir el-Salib (le Couvent de la Croix), le plus grand hôpital psychiatrique du Liban, auquel l’Etat doit des centaines de millions de livres. « L’hôpital manquait de fonds pour couvrir ses dépenses alimentaires ! » regrette-t-il. « J’ai dû faire un forcing pour que le ministère des Finances débloque une partie des fonds qu’il lui doit ».

Doit-on toujours passer par la tangente pour s’en sortir ? A cette question, le ministre reste évasif. Il reconnaît seulement que, sur le plan légal, la circulation des fonds se heurte à d’absurdes « incohérences ». Beaucoup d’institutions voient leur contrat avec l’Etat suspendu, faute d’être en règle avec la Sécurité sociale. « Or si elles ne peuvent le faire, souligne le ministre, c’est parce que… l’Etat leur doit de l’argent. Mais le processus de compensation de ces deux dettes n’est pas autorisé, et l’on exige des institutions un quitus de la Caisse de sécurité sociale pour leur accorder un contrat… ».

Au demeurant, ajoute en substance le ministre, si les institutions reçoivent parfois leur dû, elles ne peuvent le dépenser, en raison des restrictions pratiquées en ce moment par les banques, qui limitent à huit millions de livres le plafond mensuel des retraits.

« C’est une question de semaines »

Pour faire face à cette situation, le ministre des Affaires sociales a établi une stratégie de résistance à l’effondrement comprenant, d’abord, une mise en ordre comptable qui accorde aux institutions sociales une idée exacte et sans contestation de ce que leur doit l’Etat, et la promesse d’un règlement prochain de cette dette. « C’est une question de semaines », assure-t-il. Conjointement, M. Hajjar aurait obtenu de l’Association des Banques que le plafond mensuel des retraits des institutions sociales soit relevé à 70 millions de livres.

Parallèlement, M. Hajjar envisage la révision des montants des forfaits-journée accordés aux institutions sociales (6.250 livres par enfant par journée, depuis 2011). Le ministre concède toutefois que « le fossé sera réduit, mais non comblé ». Il ajoute qu’au nom du principe de la continuité, il plaide pour qu’une avance de 60% sur les forfaits mensuels soit envisageable.

L’un des chevaux de bataille du ministre des Affaires sociales reste cependant d’obtenir de Genève et des fonds internationaux qu’ils prennent en charge les frais de fonctionnement, les salaires et les coûts des transports des institutions sociales, comme ils ont décidé de le faire pour les hôpitaux. Parallèlement, il sait qu’il faut assurer de nouvelles rentrées au Trésor : par exemple en unifiant les taux de change du dollar, et en révisant la politique fiscale en cours pour une redistribution plus équitable des richesses.

A cette fin, le Liban aurait déjà engagé des pourparlers avec le Canada, l’Allemagne, la France et l’Italie et bien sûr Genève et l’ONU, précise le ministre. « Plutôt que d’accorder des aides au hasard des sollicitations, les Affaires sociales travaillent à obtenir leur rationalisation. Ça va être de l’oxygène, concède-t-il, mais on pourra au moins prolonger la période de résistance de ces institutions. »

« Notre stratégie est de tout faire pour retarder l’effondrement jusqu’à ce que la dynamique de redressement nationale soit enclenchée », conclut-il.

Beaucoup ont pu les entrevoir, la semaine dernière, à la télévision. Mal nourris, le visage have, les yeux vides, 77 pensionnaires de l’asile psychiatrique Sancta-Maria, à Ras Osta (Jbeil), maltraités jusqu’à l’hébétude, ont été évacués d’une institution sociale qui avait cessé de mériter ce nom, vers des centres sociaux plus salubres. Cet indigne spectacle illustre...

commentaires (2)

Vu le peu de valeur que nos politiciens donnent au citoyen Libanais (hors les six mois précédents une élection s’entend), le Ministère des Affaires Sociales au Liban est aussi inutile que le Ministère de la Marine en Suisse, ou que le Ministère de la Culture en Belgique (pardon à mes amis Belges qui savent que je blague … Belge justement).

Gros Gnon

20 h 10, le 18 novembre 2021

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Commentaires (2)

  • Vu le peu de valeur que nos politiciens donnent au citoyen Libanais (hors les six mois précédents une élection s’entend), le Ministère des Affaires Sociales au Liban est aussi inutile que le Ministère de la Marine en Suisse, ou que le Ministère de la Culture en Belgique (pardon à mes amis Belges qui savent que je blague … Belge justement).

    Gros Gnon

    20 h 10, le 18 novembre 2021

  • LA CRISE TOUCHE TOUS LES LIBANAIS EXCEPTE LES MAFIEUX ET LES MERCENAIRES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 56, le 17 novembre 2021

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