
La coalition baptisée L’Ordre se révolte, regroupant une liste hétérogène de partis politiques, célébrant la victoire après les élections de l’ordre des ingénieurs et architectes en juillet 2021. Photo tirée de la page Facebook de Kulluna Irada
« Déjà, qu’on sache qui se présente… On verra ensuite. » C’est ce que répond Rami, un Libanais de 23 ans qui votera peut-être pour la première fois en mars 2022, quand on lui demande s’il compte franchir le pas. Car, à moins de six mois des législatives, un scrutin vu par une partie de l’opinion publique comme décisif pour l’avenir du Liban, les candidats figurant sur les listes du camp réformateur ne sont pas encore connus. Un retard qui risque de coûter cher aux groupes proches de la thaoura, sur lesquels les partis traditionnels ont déjà une longueur d’avance du fait de leur expérience et de leurs moyens bien plus importants.
« Nous sommes en retard, c’est certain. Toutefois, nous pouvons encore remédier à cela », affirme une source proche des groupes d’opposition sous le sceau de l’anonymat. À l’origine de ce retard, les nombreuses divisions entre les dizaines de groupes gravitant autour du mouvement de contestation du 17 octobre 2019. « Chaque groupe a une lecture et des intérêts différents. L’un des principaux sujets de clivage, c’est l’alliance avec les figures d’opposition plus traditionnelles », souligne cette source. « Le pire, c’est que tout le monde est d’accord sur les grandes lignes du programme et sur les principes unissant l’opposition, mais certaines divergences ont pris une tournure personnelle », ajoute-t-elle. En effet, la question de l’alliance avec des partis politiques traditionnels qui s’opposent aujourd’hui au pouvoir, comme les Kataëb et le Parti communiste libanais, mais aussi les députés indépendants, Michel Mouawad (Zghorta), Nehmat Frem (Kesrouan), Fouad Makhzoumi (Beyrouth 2) ou Oussama Saad (Saïda), n’a pas encore été tranchée. « La question est surtout problématique dans la première circonscription de Beyrouth et la troisième circonscription du Nord (où le député Michel Mouawad a une influence conséquente, NDLR) », explique la source.
Guerre des ego ?
À Beyrouth 1, la question de l’alliance avec les Kataëb est particulièrement conflictuelle. En 2018, Nadim Gemayel, député du parti, s’était présenté sur une liste de coalition en alliance avec les Forces libanaises (FL), ramenant avec lui quelque 4 000 votants, soit le quart des voix récoltées par la liste FL, dans une circonscription où le seuil électoral dépassait à peine les 5 000 voix. Si le député est donc un atout électoral, ses positions, jugées parfois controversées par les groupes de la thaoura, et sa rhétorique qui reprend souvent les options chrétiennes traditionnelles, alors que son parti essaie de se moderniser et de se muer en formation « sociale-démocrate », risquent d’aliéner les électeurs proches du mouvement de contestation. « Nadim Gemayel est plus problématique que son parti », témoigne ainsi la source de l’opposition citée plus haut. L’Orient-Le Jour n’a pas pu joindre M. Gemayel pour obtenir de commentaire.
Paula Yacoubian, seule députée de la société civile élue à Beyrouth 1 en 2018 (qui avait démissionné au lendemain des explosions du 4 août 2020, NDLR) et candidate pour le scrutin de 2022, estime au contraire que sa circonscription fait partie des moins problématiques. « La liste de l’opposition à Beyrouth 1 ressemblera à celle de 2018 et inclura certains groupes comme Beirut Madinati et Marsad. Personnellement, j’aurais été favorable à une alliance plus large incluant tous les partis d’opposition, de l’extrême gauche à l’extrême droite, comme ce fut le cas pour les élections de l’ordre des ingénieurs et des architectes. Mais la décision ne me revient pas. » En juillet dernier, la coalition baptisée L’Ordre se révolte, regroupant une liste hétérogène de partis politiques allant du Parti communiste libanais aux Kataëb, en passant par Citoyens et citoyennes dans un État, le Bloc national et Beirut Madinati, avait en effet enregistré une victoire écrasante lors du second tour des élections de l’ordre des ingénieurs et des architectes. « La question d’une alliance élargie se pose toutefois toujours dans d’autres circonscriptions », précise Mme Yacoubian.
Parmi les circonscriptions où une coalition similaire risque de constituer un casse-tête, celle de Baabda (Mont-Liban 3). Dans cette région, l’alliance avec les Kataëb pourrait être à la fois un atout et un désavantage. « Le risque, c’est qu’une alliance avec les Kataëb ne divise l’opposition, déjà très fragmentée, en deux listes. Le mouvement Marsad de l’avocat et activiste chiite Wassef Haraké risque en effet de se retirer de l’alliance si le parti chrétien y participe », estime un candidat d’opposition potentiel sous couvert d’anonymat. Une perte que les groupes d’opposition ne peuvent se permettre. « Wassef Haraké a fait de bons scores parmi les électeurs chiites en 2018. Dans une circonscription où 24 % des électeurs inscrits aux dernières élections sont de confession chiite, son soutien est clé », avance Georgia Dagher, analyste et experte en comportement électoral ayant rédigé une série de rapports sur les élections de 2018 pour le Lebanese Center for Policy Studies. M. Haraké n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.
Lors du dernier scrutin législatif, la liste soutenue par les Kataëb et le Parti national libéral ainsi que celle de la société civile avaient fait quasiment jeu égal à Baabda en ne récoltant qu’entre 6 et 7 % des voix, bien loin du seuil électoral de 16,67 % des voix.
En 2018, dans la circonscription du Chouf-Aley (Mont-Liban 4), l’une des plus compétitives du fait de son seuil électoral le plus bas du pays (7,7 %), deux listes issues de la société civile se sont affrontées : Kulluna Watani, qui a obtenu autour de 5,8 % des voix, et Madaniya, dont le score a frôlé les 1,8 %. La division entre ces deux listes, dont les scores réunis caressent le seuil électoral, avait été attribuée à l’époque à « une guerre des ego » par certains ou à un « désaccord idéologique sur les sujets sensibles » par d’autres. « Nous devons nous amalgamer afin de pouvoir élire au moins un député dans Baabda. Mais bien sûr, il faut se mettre d’accord sur les grandes lignes, comme l’État civil ou le monopole des armes aux mains de l’État », témoigne le candidat potentiel cité plus haut.
Noyaux de listes
Dans un pays où le score minimum pour être représenté (100 % divisé par le nombre de sièges à pourvoir dans chaque circonscription) va de 7,7 à 20 % selon les régions, les partis de l’opposition ont en effet intérêt à faire front commun. Mais comment ? « Nous travaillons avec Kulluna Irada à la mise sur pied d’un mécanisme de résolution des conflits basé sur le dialogue. J’espère que l’urgence nationale va pousser tout le monde à faire des compromis. À Baabda, par exemple, une piste envisageable serait que les Kataëb soutiennent des candidats indépendants, en échange de quoi les partis de l’opposition devraient faire une concession dans une autre circonscription », suppute ce même candidat. La députée démissionnaire Paula Yacoubian appelle, elle aussi, à répéter l’expérience de 2018. « Lors des dernières élections, nous avions mis en place des mécanismes pour aboutir à des compromis par le vote et le dialogue entre les différentes composantes de l’alliance Kulluna Watani. Similairement, un mécanisme avait été adopté pour choisir les candidats en se basant sur les sondages et le compromis », affirme-t-elle, précisant que des « noyaux de liste » ont commencé à émerger dans toutes les régions. « Il y a aussi le risque que les élections soient ajournées », rappelle Mme Yacoubian. Cette incertitude sur le sort du scrutin « mine la motivation des partis d’opposition », confirme le candidat de Baabda.
Du côté de Kulluna Irada, on explique simplement que la plateforme se contente « de modérer le dialogue entre les différents groupes, sans parti pris », selon une source contactée par L’Orient-Le Jour. Le think tank Kulluna Irada avait en effet entamé une fusion avec la plateforme électorale Nahoua el-Watan afin de soutenir les candidats du camp réformiste dans leurs campagnes. Cependant, après la signature de l’accord, des membres fondateurs et influents de Nahoua el-Watan ont présenté leur démission, sur fond de mésententes concernant les critères à adopter quant aux « choix » des candidats pouvant bénéficier des services et de la logistique offerts par ces deux groupes d’action. Les démissionnaires auraient été partisans d’une ligne puriste, excluant tout dialogue avec l’opposition traditionnelle.
Cette divergence de points de vue entre ces deux groupes renforce l’impression de cafouillage dans les rangs de l’opposition.
Dans tous les cas, pour certains analystes, il faut que les partis d’opposition restent cohérents avec leur électorat, au risque de perdre leur crédibilité. « S’allier avec les Kataëb dans une région puis s’opposer à eux dans une autre serait un très mauvais signal envoyé à l’électorat, et en quelque sorte, cela reprendrait les stratégies de la classe dirigeante. Personnellement, je pense qu’avec leur passé violent, les Kataëb risquent de faire perdre aux partis alternatifs leur crédibilité », prévient Georgia Dagher. L’experte se veut cependant plus nuancée sur la question des alliances avec des personnalités locales. « L’alliance avec des personnalités indépendantes et populaires dans certaines régions peut permettre à l’opposition d’améliorer ses chances. Idéalement, il faudrait s’assurer que la liste peut au moins élire deux députés pour ne pas transformer l’alliance en service électoral rendu à ladite personnalité », analyse-t-elle.
En 2018, Michel Mouawad, Nehmat Frem, Fouad Makhzoumi et Oussama Saad avaient chacun obtenu un nombre de voix préférentielles frôlant plus ou moins le seuil électoral de leurs circonscriptions respectives. Ils pourraient cependant devenir redevables au camp réformiste s’ils étaient élus grâce à son soutien.
« Déjà, qu’on sache qui se présente… On verra ensuite. » C’est ce que répond Rami, un Libanais de 23 ans qui votera peut-être pour la première fois en mars 2022, quand on lui demande s’il compte franchir le pas. Car, à moins de six mois des législatives, un scrutin vu par une partie de l’opinion publique comme décisif pour l’avenir du Liban, les candidats...
commentaires (9)
de grace, que ces nouvelles figures candidats aux elecions ET les qqs partis comme les kataeb , les FL et autres independants patriotes se posent UNE SEULE QUESTION : ne serait il pas mille fois plus benefique s'ils s'associaient a faire face aux autres qu'ont vendu le pays? leur serait il si difficile de faire autre chose que l'ADN du libanais ne les a toujours pousse a fire/ a etre? MOI, ET MOI ET MOI ?
Gaby SIOUFI
09 h 49, le 18 novembre 2021