
Le siège du Parlement, dans le centre-ville de Beyrouth. Photo d’archives AFP
Le flou demeure, à quelques mois des législatives, quant à la date définitive du scrutin et fait craindre son annulation. Certaines formations politiques semblent en effet avoir intérêt à ce que les élections n’aient pas lieu, dans un climat de forte défiance à l’égard de la classe dirigeante.
Le Parlement a amendé la loi électorale en octobre dernier à une forte majorité, notamment pour que le scrutin se déroule le 27 mars prochain au lieu du 8 ou du 15 mai 2022. Mais le Courant patriotique libre (CPL) a contesté cette décision en annonçant sa volonté de présenter un recours en invalidation de cet amendement. Dans son recours, le CPL objecte également un second amendement adopté par l’Assemblée : le vote des Libanais de l’étranger dans le cadre des 15 circonscriptions de la métropole (les 128 sièges) et non plus au sein d’une seizième consacrée uniquement aux émigrés et comptant six sièges, formule prévue par la loi initiale.
Sauf que le recours en invalidation devant le Conseil constitutionnel n’a toujours pas été présenté à ce jour. Selon les délais légaux, le CPL a en principe jusqu’au 19 novembre pour soumettre sa requête. « Le texte du recours est fin prêt. Il devra être soumis en principe d’ici à la fin de la semaine », confie une source proche du parti. Conformément aux délais, le Conseil constitutionnel dispose d’un mois pour trancher. Ce qui repousse de plusieurs semaines toute la chaîne des délais consécutifs : convocation des collèges électoraux, inscription des candidats, annonce des listes, etc. Et réduit donc comme peau de chagrin la marge de manœuvre des partis politiques pour qu’ils puissent se préparer en amont et lancer leurs campagnes respectives.
Une course contre la montre qui rend la compétition plus serrée certes, mais qui ne suppose pas pour autant l’annulation pure et simple du scrutin. Alors que le mouvement Amal accuse ouvertement le CPL d’œuvrer à torpiller les élections, le courant aouniste se défend en accusant à son tour ses pourfendeurs et les partis qui ont opté pour la date du 27 mars de chercher à leur faire assumer la responsabilité du retard du fait du recours présenté. Voire d’une éventuelle annulation du scrutin si elle devait avoir lieu pour une raison ou une autre.
« Tout au plus la date de l’élection sera repoussée jusqu’en mai, si le recours est accepté. Mais personne ne pourra l’utiliser comme prétexte en nous accusant d’avoir mis des bâtons dans les roues ou d’avoir incité à la suppression du scrutin », commente la source aouniste. Le risque est cependant le suivant : une fois que le Conseil constitutionnel aura rendu sa décision, quelle qu’elle soit, les différents protagonistes pourraient être contraints de reporter sine die la date du scrutin pour ne pas être pris de court. Une manœuvre de tergiversation que le mouvement Amal impute au CPL. « Aucune partie politique ne peut provoquer une polémique ou semer des doutes pour torpiller le scrutin », avait accusé le 1er novembre le bureau politique du mouvement chiite, dénonçant au passage la création « de différends constitutionnels pour défendre les intérêts d’un courant ».
Trouver le bon alibi
Si le recours est accepté et la réforme relative à la date du scrutin rejetée, le texte de la loi initiale reste donc en vigueur et les élections devront alors se tenir au cours de la première ou deuxième semaine du mois de mai plutôt qu’en mars. S’il est rejeté et que la date du 27 mars est maintenue, le ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui, qui signe le décret avec le chef de l’État et le Premier ministre, n’est pas toutefois systématiquement tenu de respecter cette date et peut à son tour décider de la reporter. Le ministre des Affaires étrangères Abdallah Bou Habib (proche de la mouvance aouniste) a d’ailleurs prévenu hier son collègue de l’Intérieur que son ministère ne parviendrait pas à organiser dans les délais impartis, selon la loi électorale dernièrement amendée, le vote des Libanais émigrés pour les législatives de mars prochain. Déplorant, dans une longue lettre, que l’avis de son ministère ait été ignoré lors du vote des amendements à la loi électorale, il a demandé que celui-ci ne soit pas tenu responsable en cas d’impossibilité de s’en tenir aux délais prévus et si « le droit des émigrés à voter n’était pas respecté ».
« Quel que soit le cas de figure, il n’y a aucune raison technique pour ne pas tenir le scrutin », commente un expert électoral qui a requis l’anonymat. C’est donc dans la sphère politique qu’il faudra aller rechercher les raisons d’une annulation pure et simple des élections. Encore faut-il que les forces politiques aient le cran de prendre une telle décision à la lumière des multiples mises en garde et pressions internationales. Le risque est tel que les grandes puissances pourraient en arriver à refuser d’injecter le moindre sou dans un pays déjà en agonie si le scrutin devait sauter.
« En 2013, ils n’ont pas eu vraiment besoin de trouver une excuse qui tienne la route », rappelle Rabih Habre, expert électoral et statisticien. À l’époque, l’annulation du scrutin avait été justifiée par « la menace terroriste ». Le Parlement libanais avait alors prolongé en mai 2013 son mandat de 17 mois et reporté les élections prévues en juin de la même année en raison de l’incapacité des partis politiques à s’accorder sur une loi électorale, mais surtout du fait des profondes divisions suscitées par la guerre en Syrie voisine. La décision de prorogation avait été approuvée à une majorité écrasante de 98 députés. « Cette action était nécessaire pour éviter le vide (institutionnel) et la recrudescence des incidents sécuritaires. Ce sont les circonstances qui l’ont imposée », avait justifié le chef du groupe parlementaire du courant du Futur, Fouad Siniora.
Cette mesure impopulaire avait été amplement critiquée à l’époque par les forces contestataires. Elle le fut d’autant plus qu’elle a fini par constituer un précédent et a pavé la voie à deux autres prorogations, l’une en 2014 de deux ans et sept mois (pour compléter une nouvelle législature entière de quatre ans après la première rallonge de mai 2013), l’autre en 2017, pour un an. À chaque fois, les arguments du vide institutionnel et de l’instabilité avaient été mis en avant.
À l’ombre de l’exacerbation des tensions politiques sur les plans interne et régional – du contentieux de l’explosion au port jusqu’à la récente brouille diplomatique avec les pays du Golfe, en passant par les incidents de Tayouné –, la classe politique pourrait réutiliser les arguments des tensions sécuritaires et politiques qui empêcheraient la tenue d’une campagne électorale, comme cela s’était produit en 2013 puis les années suivantes. C’est la pilule la plus facile à faire avaler dans un pays où la vie politique est en permanence ponctuée de troubles. Mais cela suppose une entente, au moins a minima entre les formations politiques, ce qui paraît compliqué. En effet, certaines parties, dont les Forces libanaises, semblent plutôt avoir intérêt au maintien du scrutin. En attendant, tous les partis politiques sans exception font comme si le scrutin allait effectivement avoir lieu, et ce à la date la plus proche. Les experts le confirment : toutes les machines électorales ont commencé à tourner à plein régime pour que les formations politiques ne soient pas prises de court.
commentaires (12)
Sauf que si le CPL gagne son recours, on revient à la formule de la 16ème circonscription attribuée aux Libanais de l'étranger et ne comptant que 6 sièges, ce que tous les autres blocs et partis ont abandonné. Le CPL est le seul à contester le vote des émigrés dans le cadre des 15 circonscriptions et des 128 sièges.
Robert Malek
20 h 17, le 10 novembre 2021