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Quand parleront les eaux

C’est bien compris, une fois pour toutes : il faut cesser de se répandre en lamentations et imprécations à chaque fois qu’est réduit à l’état de ruines fumantes un nouveau pan du vert Liban. Car il ne sert plus à rien de trépigner d’indignation et de colère, de vouer aux flammes éternelles les responsables, à chacun de ces incendies de forêt rigoureusement fidèles au rendez-vous saisonnier. Il est parfaitement inutile de dénoncer, à tous les coups, l’incurie, les négligences, le criminel m’en foutisme des autorités, tous fléaux bien plus dévastateurs que les plus féroces des calamités naturelles.


Et puis, ces dizaines de brasiers relevés durant le week-end dernier ne sont, tout compte fait, qu’une part infime de cet enfer libanais que le président de la République nous prédisait sur un ton de châtiment céleste. Cet enfer, c’est même la seule et unique promesse qu’ait jamais tenue le pouvoir. Pas de redressement économico-financier en effet, pas de réformes et encore moins de lutte contre la corruption, contre la vertigineuse dépréciation de la monnaie, contre la hausse insensée des prix et la pauvreté galopante. Et cet enfer-là, ce ne sont pas les prochaines pluies, avec leur traditionnel cortège de routes inondées et de tunnels transformés en torrents, qui risquent de vous en faire oublier la cuisante morsure.


Et pourtant, c’est nécessairement du fond des eaux que pourra poindre la lumière, si seulement elle doit surgir un jour. Il est là question, on l’aura deviné, des ondes troubles du port de Beyrouth, théâtre de l’ignominie du siècle. Par la monstrueuse énormité de son bilan humain et matériel, par le dense réseau de hautes complicités qu’elle implique, l’affaire de l’explosion sur ces lieux d’un stock de nitrate d’ammonium en est venue à commander tout le cours de l’activité politique dans le pays. En découvrir et dévoiler les tenants et aboutissants permettrait de s’attaquer à tous les autres et innombrables scandales qui ont conduit à l’effondrement du Liban. Pour cette même raison, elle est affaire de vie ou de mort politique pour nombre d’acteurs sur la scène ; en témoigne d’ailleurs l’acharnement absolument hors du commun mis à bloquer tout progrès des investigations.


Pour dessaisir de l’enquête l’irréductible Tarek Bitar qui succède à un premier magistrat instructeur lestement mis hors course, on a usé d’une salve de recours juridiques, régulièrement repoussés par les chambres adéquates. Il s’est même trouvé un juge notoirement partisan pour s’emparer tout seul, comme un grand, d’une de ces plaintes, sans jamais y être mandaté par la hiérarchie. Il a certes fini par se défaire de son larcin. Mais comble de l’ironie, ce sont les magistrats statuant de plein droit sur ce type de démarches que visent maintenant d’abusives, d’outrageuses actions en récusation. Après le haro contre le juge, ce sont des juges que l’on veut maintenant lâcher, tous crocs dehors, contre d’autres juges, c’est la chienlit que l’on installe en plein Palais de justice : que pouvaient rêver de mieux les suspects ?


Or il s’avère que ce n’est pas encore assez, comme le montre le refus obstiné du Hezbollah de toute reprise des réunions du Conseil des ministres avant le dégommage de Tarek Bitar. En fait foi aussi le dispositif paramilitaire récemment mis en place par la milice sur les hauteurs du Kesrouan : manière de rappeler que si les forêts ont fini de brûler, la braise couve toujours sous la cendre des sanglants accrochages de Tayouné, dont la responsabilité est imputée aux Forces libanaises de Samir Geagea.


Toujours pas assez, alors que le Premier ministre affirme s’en remettre à la justice, et à elle seule, pour régler en toute indépendance ses querelles domestiques ? Pour choquants que soient tous les efforts d’obstruction actuellement déployés, ils ne font en définitive que trahir une terreur croissante de la vérité.

Elles n’ont décidément pas fini d’affoler leur monde, ces fragiles bulles qui cherchent à s’échapper des bassins du port.

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Pour la fête de l’Indépendance – et à l’invitation de l’initiative étudiante Sciences Pistes pour le Liban œuvrant en partenariat avec l’association Sciences Po Monde arabe – Issa Goraieb donnera, lundi prochain 22 novembre, une causerie-débat à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po Paris). Liban défait, Liban à refaire sera le thème de cette rencontre.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

C’est bien compris, une fois pour toutes : il faut cesser de se répandre en lamentations et imprécations à chaque fois qu’est réduit à l’état de ruines fumantes un nouveau pan du vert Liban. Car il ne sert plus à rien de trépigner d’indignation et de colère, de vouer aux flammes éternelles les responsables, à chacun de ces incendies de forêt rigoureusement fidèles au...