Samedi, des photos montrant des éléments armés identifiés par des témoins comme étant des membres du Hezbollah, dans la région de Ouyoun el-Simane sur les hauteurs du Kesrouan, un caza à l’écrasante majorité chrétienne, ont suscité un tollé sur la scène libanaise. Selon des médias locaux, qui citaient des habitants de la région, ces hommes armés auraient installé un barrage juste après un check-point de l’armée sur la route menant de Ouyoun el-Simane à Zahlé, dans la Békaa. Ils auraient également placé des caméras de surveillance dans la région et arrêté plusieurs voitures de passage. Selon le mokhtar de Kfardebiane, Wassim Mehanna, ce déploiement était dû aux préparatifs d’une cérémonie d’ouverture d’un puits artésien près de Hadath Baalbeck. Cette explication rejoint celle avancée par certains médias locaux qui évoquaient des « mesures de sécurité en amont d’une visite du président du conseil exécutif du Hezbollah, Hachem Safieddine, dans la région afin d’inaugurer des projets de développement ». Deux jours après cet incident, le parti chiite n’a toujours pas officiellement commenté les faits. Il ne les a dans le même temps pas démentis.
C’est surtout le timing de cette démonstration de force qui suscite des interrogations. D’autant qu’elle intervient dans un contexte politique très tendu, marqué par une polarisation confessionnelle aiguë, notamment depuis les événements survenus à Tayouné, le 14 octobre dernier. Ce jour-là, des affrontements ont eu lieu entre des miliciens du tandem chiite Amal-Hezbollah et des habitants de quartiers chrétiens voisins, vraisemblablement proches des Forces libanaises, en marge d’une manifestation contre le juge Tarek Bitar, en charge de l’enquête sur les explosions au port de Beyrouth. Ces violences ont fait sept morts, dont cinq partisans du tandem chiite, et depuis, le Hezbollah accuse le parti chrétien et son chef Samir Geagea de vouloir mener le pays vers la guerre civile. Le secrétaire général de la formation chiite, Hassan Nasrallah, avait même lancé une mise en garde à M. Geagea, assurant que son parti disposait de 100 000 combattants.
« S’ils pensent pouvoir nous faire peur, ils se trompent »
Quel message le parti chiite a-t-il voulu envoyer ? Et à qui s’adressait-il? « Le Hezbollah a envoyé un message clair à tous ceux qui lui sont hostiles, en particulier les FL, pour leur dire qu’il est capable de les affronter dans leurs fiefs incontestés », estime Wehbé Katicha, député FL du Akkar, interrogé par L’Orient-Le Jour. « Nous sommes le fer de lance de l’opposition au Hezbollah et nous le resterons. S’ils pensent pouvoir nous faire peur par ce genre d’agissements, ils se trompent », poursuit-il. Samedi, le député Chaouki Daccache (FL) avait été parmi les premiers à rapporter les faits imputés au Hezbollah et à appeler l’armée libanaise « à prendre les mesures nécessaires ». Un responsable au sein du parti de Samir Geagea perçoit, de son côté, le déploiement d’éléments armés de la formation de Hassan Nasrallah dans le Kesrouan comme « une nouvelle preuve de la situation illégale » de ce parti. « Quand le déplacement d’un responsable hezbollahi aussi important que (le président du conseil politique du Hezbollah) Hachem Safieddine requiert une armada d’hommes pour assurer la sécurité, c’est que le parti chiite est conscient de l’hostilité qu’il provoque dans la rue chrétienne », analyse-t-il.
La démarche du Hezbollah serait-elle aussi porteuse d’un message adressé au président de la République, Michel Aoun, pourtant allié du parti chiite depuis la signature de l’accord de Mar Mikhaël en 2006, et au Courant patriotique libre (CPL) de Gebran Bassil, d’autant que les rapports entre les deux camps ne semblent pas au beau fixe dernièrement ? C’est en tout cas ainsi que l’interprète un responsable FL qui a requis l’anonymat. « Le principal but de cet accord, pour le camp aouniste, était de dire que le général Aoun protégera les chrétiens auxquels le Hezbollah ne pourra pas porter préjudice », estime-t-il. De son côté, le CPL, parti rival des FL sur la scène chrétienne, refuse de commenter. « C’est au Hezbollah d’expliquer ce qui s’est passé », se contente de lâcher une responsable du CPL, ajoutant que son parti « est contre toute provocation ».
« Montrer ses muscles »
Pour le politologue Karim el-Mufti, le message est clair : « Le Hezbollah veut afficher devant tout le monde, y compris Gebran Bassil et son camp, sa présence dans toutes les régions du Liban », dit-il à L’OLJ. Il estime qu’au vu de ses ambitions présidentielles futures, M. Bassil se trouve face à un casse-tête : concilier la nécessité de soutenir Tarek Bitar pour ne pas provoquer la colère de la rue chrétienne et son besoin de l’appui du Hezbollah pour accéder à la magistrature suprême. « En ce qui concerne Samir Geagea, c’est un message qui consiste à dire que la vengeance est un plat qui se mange froid », analyse M. Mufti, qui rappelle que le pays est dans une phase d’escalade politique. « Le Hezbollah a par-dessus tout voulu montrer à l’Arabie saoudite et aux pays du Golfe l’étendue de son emprise politique sur le pays », dit-il, d’autant que cet incident intervient aussi dans un contexte de crise diplomatique entre Beyrouth et Riyad ainsi que certaines monarchies du Golfe. Karim el-Mufti converge sur ce point avec Farès Souhaid, ancien député de Jbeil et farouche opposant au Hezbollah. « La présence du parti dans les jurds du Mont-Liban n’est pas nouvelle. L’armée et les ambassades sont au courant. Mais la nouveauté, c’est qu’il a, cette fois-ci, choisi de montrer ses muscles pour affirmer aux Américains et aux Arabes qu’il contrôle le Liban », estime M. Souhaid.
commentaires (21)
Où est l’armée et quelle image donne-elle en étant absente ? Pas vraiment crédible notre armée et très souvent disfonctionn elle ?
Wow
12 h 29, le 17 novembre 2021