La dégradation des relations diplomatiques entre le Liban et l’Arabie saoudite, à l'ombre du conflit régional entre le royaume wahhabite et l’Iran par États interposés, a souvent poussé Riyad à se fâcher avec Beyrouth au cours des dernières années.
La pression est montée avec une intensité considérable vendredi soir. L'Arabie a en effet annoncé plusieurs importantes mesures de rétorsions après les propos du ministre libanais de l'Information Georges Cordahi concernant la guerre au Yémen et l'implication des pays du Golfe dans ce conflit, "le contrôle" du Hezbollah qualifié de terroriste sur le pouvoir de décision de l’État, le soutien du parti chiite aux houthis du Yémen, ou encore le fait de n'avoir "mis en place aucune des mesures réclamées concernant le trafic de drogue cachée dans des produits d’importation". Tout comme Riyad, Bahreïn et le Koweït ont rappelé leurs ambassadeurs du Liban et expulsé leurs homologues libanais en poste dans ces pays. Une réunion des pays du Conseil de coopération du Golfe visant à dégager une position commune vis-à-vis du Liban a également été annoncée.
Sur le plan des relations économiques, l’Arabie saoudite a pour l’heure annoncé la suspension des importations de toutes sortes de produits en provenance du Liban et appelé ses ressortissants à ne pas se rendre à Beyrouth en invoquant l’instabilité sur le plan de la sécurité. Malgré certains échos dans le débat public, aucune annonce concernant des mesures au niveau des services bancaires et financiers n’a été publiée. Il faudra a priori attendre lundi pour en savoir plus.
Les secousses diplomatiques entre le Liban et les pays du Golfe ont toujours été sources de sueurs froides compte tenu de l’importante diaspora libanaise installée dans ces pays, des montants qu’elle transfère chaque année au pays du cèdre, du pouvoir d’achat des touristes arabes qui viennent encore au Liban et de la part non négligeable de produits libanais absorbés par ces pays. Cette dépendance s’est amplifiée depuis le début de la crise que traverse le Liban, qui s’est traduite par un effondrement de son économie comme de son secteur financier et une émigration massive de ses forces vives.
Les indicateurs démontrent par exemple que si les transferts des expatriés ont baissé de 10,5% pour atteindre 6,63 milliards de dollars en 2020, selon la Banque du Liban, leur solde net a augmenté de 20% (3,69 milliards de dollars). Surtout, leur part dans le PIB a bondi de 14,4% en 2019 à 29,4% en 2020, des proportions qui sont passées de 6% à 16,3% en ce qui concerne le solde net. Or une majorité de ces fonds, devenus presque indispensables dans le contexte de crise actuel marqué par la chute vertigineuse de la monnaie et le maintien de restrictions bancaires illégales, provient des expatriés dans le Golfe. Il est généralement admis que plus de la moitié de ces fonds proviennent des pays du CCG.
Les patrons libanais menacent de grève
Autre signe qui confirme l’augmentation de la dépendance du Liban aux pays du Golfe : selon plusieurs sources, notamment proches des Organismes économiques (organisation patronale), le nombre de Libanais qui ont quitté leur pays pour s’installer dans le Golfe a fortement augmenté avec la crise. Selon Élie Rizk, qui préside une association dédiée au développement des relations économiques entre le Liban et le Golfe, pas moins de 550.000 Libanais résident dans les pays du CCG, dont 350.000 en Arabie saoudite. Un nombre qui ne tient pas compte des dizaines de milliers de ressortissants libanais qui font la navette chaque année entre le Liban et les pays du Golfe dans le cadre de leur activité ou leur métier.
En plus d’envoyer de l’argent à leur familles ou pour soutenir leurs entreprises sur place, les Libanais du Golfe représentent l’essentiel des touristes qui visitent encore le Liban. Selon les données de la société suisse Global Blue, spécialisée dans la restitution de la TVA dans les achats des touristes - lesquels sont constitués de nombreux Libanais résidents dans le Golfe - la part de ceux venant des Émirats (21%), d’Arabie saoudite (6%), du Qatar (6%) et du Koweït (3%) pèse à elle seule 36% du total sur cette période. En septembre le syndicat des hôteliers libanais avait souligné que le secteur touristique comptait toujours sur les touristes du Golfe, qui effectuent les « plus longs » séjours au Liban, et qui y « dépensent le plus ».
Enfin, de par la taille de son territoire et de sa population, son poids diplomatique et le fait qu’il se situe sur le tracé des voies d’exportation terrestres vers le Golfe - notamment pour les camions réfrigérés - l’Arabie saoudite est généralement le pays dont les décisions sont les plus douloureuses pour le Liban en matière de commerce international. Si les montants exacts en jeu sont difficiles à chiffrer - notamment en raison des différences entre les chiffres des douanes libanaises et ceux de certains de ses partenaires - il est possible de se faire une idée sur les proportions. Selon des données rapportées par l’ambassade du Liban en Arabie saoudite et relayées par la presse, la valeur des échanges entre les deux pays a atteint en moyenne 600 millions de dollars par an sur les six dernières années et le royaume wahhabite est la deuxième destination des exportations libanaises après les Émirats arabes unis.
A titre d’exemple, et selon des chiffres collectés dans un article précédent publié le 3 juillet, les exportations industrielles libanaises vers l’Arabie saoudite pèsent 300 millions de dollars chaque année, soit plus du quart du total vers le CCG et près de 10 % du total (3,54 milliards de dollars en 2020, selon les chiffres officiels compilés sur le site du Trésor français). En ce qui concerne les exportations agricoles, qui font la une de l’actualité ces derniers mois, suite à une première interdiction en avril d’entrée des marchandises libanaises sur le territoire saoudien, elles ont atteint près de 240 millions de dollars en 2020, selon l’Autorité générale de la statistique du royaume d’Arabie. Des paramètres régulièrement mis en avant par le secteur privé pour dénoncer la gestion, côté libanais, des relations diplomatiques avec le Golfe.
Les Organismes économiques ont dans ce contexte tenu samedi après-midi une réunion "urgente". Ils ont exprimé leur "attachement au gouvernement Mikati", mais l'ont appelé à "prendre les mesures convenables" pour résoudre cette crise, sans dire ce qu'ils entendaient par là. Ils ont aussi implicitement demandé au ministre Cordahi de démissionner et prévenu enfin que si cette crise n'était pas résolue "dans les prochains jours", ils appelleraient à une grève ouverte.
commentaires (5)
Le Liban a ÉNORMÉMENT A PERDRE … un point à la ligne et d’ailleurs IL SERA LE SEUL PERDANT ET DE TRÈS LOIN
Bery tus
16 h 00, le 31 octobre 2021