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Économie - Balance commerciale

Quelles sont les répercussions de l’interdiction des exportations agricoles vers l’Arabie saoudite ?

« Les véritables effets de la décision ne se matérialiseront que d’ici à un an, car les saisons de tous les semis (la période d’ensemencement, NDLR) seront passées d’ici là », indique un exportateur de fruits et de légumes.

Quelles sont les répercussions de l’interdiction des exportations agricoles vers l’Arabie saoudite ?

Certains agriculteurs s’adapteront en se tournant vers d’autres marchés et/ou modes de transport si l’Arabie saoudite ne revient pas sur sa décision, estime un exportateur. Photo prise début juin au Liban-Nord. Photo M.A.

La nouvelle avait créé une certaine stupeur au sein de la population libanaise, en général, et chez les agriculteurs, en particulier. Le 23 avril, Riyad annonçait sa décision d’interdire toutes les importations agricoles en provenance du Liban après la saisie, par les autorités saoudiennes, de 5,3 millions de comprimés de Captagon – un stupéfiant de type amphétamines – dissimulés dans des cargaisons de grenades provenant du Liban.

Suite à cette annonce, la possibilité que d’autres pays du Conseil de coopération du Golfe imitent Riyad, voire que les autorités saoudiennes aillent jusqu’à pousser vers la sortie les nombreux Libanais qui travaillent sur son territoire – et dont dépendent financièrement de nombreuses familles prises au piège par la crise actuelle – avait alimenté un temps les craintes de nombreux Libanais.

Mais si l’Arabie saoudite n’a finalement pas été aussi loin, elle semble avoir malgré tout officieusement étendu son interdiction à tous les produits libanais, comme l’a indiqué à L’Orient-Le Jour le vice-président de l’Association des industriels du Liban (AIL), Georges Nasraoui. Or le royaume absorbe 300 millions de dollars d’exportations industrielles (y compris agroalimentaires) chaque année, soit plus du quart du total expédié par les industriels vers le GCC (autour de 800 millions) et 10 % du total annuel des exportations (3 milliards), rappelle-t-il. Le royaume a en outre interdit tout transit de marchandises libanaises sur son territoire, pénalisant ainsi l’entrée des camions réfrigérés vers le Koweït (23,97 millions de dollars d’exportations agricoles en 2020, selon les douanes libanaises), le Qatar (16,64 millions), les Émirats arabes unis (19,97 millions) et Oman (6,89 millions).

Il s’agit donc bien d’un coup dur pour les entreprises libanaises, et ce d’autant plus que les exportations sont un moyen d’atténuer quelque peu la crise de liquidités à laquelle le pays fait face depuis la fin de l’été 2019 et qui a plongé le reste de l’économie dans l’abîme.

Un peu plus de deux mois après l’annonce de l’interdiction, il est encore un peu tôt pour pouvoir dresser un bilan des conséquences de cette mesure, lesquelles prendront plusieurs mois à pleinement se manifester, surtout pour les agriculteurs dont l’activité s’organise au rythme des saisons et des récoltes.


Face à des chiffres faillibles, seules restent les appréciations des représentants du secteur agricole, qui ne sonnent pas à l’unisson. Des agricultrices labourant leur champ au nord du pays. Photo M.A.


Données lacunaires

Au-delà du timing, cet impact est aussi difficile à chiffrer en raison du manque de données précises concernant les échanges commerciaux du Liban avec le reste du monde. Le fait qu’une partie des chiffres des douanes libanaises ne corresponde pas à ceux des pays partenaires illustre cette lacune. À titre d’exemple, les exportations libanaises vers l’Arabie ont atteint 229,7 millions de dollars en 2020, selon les douanes libanaises, alors que cette même transaction est évaluée à 883,59 millions de riyals saoudiens, soit 235,6 millions de dollars, selon l’Autorité générale de la statistique du royaume d’Arabie, soit une différence de 5,9 millions de dollars. Les exportations agricoles, elles, se chiffrent à 33,25 millions de dollars (pour un poids de 59,125 tonnes), selon les douanes libanaises, contre près de 163,15 millions de riyals saoudiens, soit 43,5 millions de dollars, selon les chiffres présentés par les douanes saoudiennes et calculés par L’Orient-Le Jour, une différence donc d’au moins 10 millions de dollars...

Le PDG du Centre de recherches et d’études agricoles libanais (CREAL), Riad Saadé, explique que « les factures émises par les exportateurs libanais et certifiées par les Chambres de commerce libanaises ne peuvent être considérées comme une référence exacte de calcul, les exportateurs préférant minimiser leurs profits déclarables ». Sans oublier qu’entre en jeu également le facteur contrebande vers la Syrie.

Face à des chiffres faillibles, seules restent les appréciations des représentants du secteur agricole. Qui ne résonnent pas à l’unisson...

Le président du syndicat des agriculteurs, Antoine Hoyek, assure pour sa part à L’Orient-Le Jour que les producteurs d’agrumes (oranges, citrons, pamplemousses, etc.) sont les plus pénalisés, l’Arabie saoudite et le Koweït étant de grands importateurs de ces fruits. Le pays du Cèdre en a en effet exporté en 2020 pour 22,43 millions de riyals saoudiens (5,98 millions de dollars, selon les douanes saoudiennes, contre 5,2 millions de dollars, selon les douanes libanaises) et pour 4,55 millions de dollars vers le Koweït. Cette situation, combinée à l’interdiction de transit des camions réfrigérés, a poussé les prix des agrumes à la baisse au Liban en raison d’une abondance de l’offre, pénalisant ainsi les producteurs, selon Antoine Hoyek.

Le président du rassemblement d’agriculteurs et de paysans de la Békaa, Ibrahim Tarchichi, dresse, lui, un tableau plus sombre de la situation et contredit Antoine Hoyek sur certains points. Le syndicaliste assure ainsi que « tout le monde (agricole) a été impacté », en particulier les producteurs de salades et des fruits de saison, comme les cerises, par exemple – alors qu’Antoine Hoyek considère que ces même produits n’ont pas vraiment été impactés. Il en veut pour preuve le fait que leurs prix ne se sont pas effondrés sur le marché local.

Risque de dépendance aux importations

Pour Ibrahim Tarchihi, les pertes seront conséquentes, et si le consommateur libanais y trouvera brièvement son compte dans un contexte d’inflation à trois chiffres (+119,83 % en rythme annuel à fin mai), les agriculteurs verront, eux, leurs capacités d’acheter leurs intrants (pesticides, engrais, graines, etc.) – qu’ils doivent payer en dollars frais, alors que le taux tournait autour des 17 200 livres pour un dollar hier – impactées. Antoine Hoyek précise quant à lui que si les prix sur le marché libanais diminuent, cela poussera les agriculteurs à délaisser la culture des légumes et des pommes de terre pour se focaliser sur les fruits, qui ont besoin de moins d’entretien et d’intrants, ce qui réduit donc leurs coûts.

Ceci pourrait alors pousser la production agricole à la baisse, alors que le PIB agricole a déjà subi une diminution de près de 25,68 % en glissement annuel, passant de 1,9 milliard de USD en 2019 à 1,4 milliard de USD en 2020, selon les chiffres présentés par le CREAL. Or, si la baisse de production se poursuit, cette situation sera également désastreuse pour le consommateur qui n’aura plus d’autre moyen que de se tourner vers des produits importés.

En 2020, le Liban n’a exporté – officiellement, selon les douanes libanaises (chiffres devant être revus à la hausse) – que 421 924 tonnes de produits végétaux, d’une valeur de 242,47 millions de dollars, alors qu’il en a importé 1,88 million de tonnes, soit d’une valeur de 796,87 millions de dollars. En considérant ces chiffres, le Liban importe donc plus de trois fois le volume de ses exportations. Or une baisse de sa production impliquera également la nécessité d’importer plus pour compenser. Mais l’absence ou la difficulté à trouver des devises compliquera la tâche.

Levée ou non de l’interdiction

« Les véritables effets de la décision ne se matérialiseront que d’ici à un an, car les saisons de tous les semis (la période d’ensemencement, NDLR) seront passées d’ici là », nuance pour sa part un exportateur de fruits et de légumes sous le couvert de l’anonymat. « Fin avril, la plupart des agriculteurs avaient déjà terminé les semis pour la nouvelle saison. Ils ne peuvent donc pas prendre la décision de modifier ou non les variétés plantées, ainsi que leurs quantités, avant que cette saison ne s’achève », développe-t-il.

L’exportateur précise également que plusieurs agriculteurs espèrent que l’Arabie saoudite finisse par revenir sur sa décision dans quelques mois et ne souhaitent donc pas diminuer leurs prix car « ils vont vendre à perte sur le marché local (spécialement en raison de la dépréciation de la livre et de l’inflation vertigineuse), les poussant alors à sortir du marché ». Il considère enfin que les « agriculteurs qui ne produisent qu’une seule variété de fruits ou de légumes connaîtront des répercussions plus violentes que leurs confrères. Les autres s’adapteront en se tournant vers d’autres marchés et/ou modes de transport si Riyad ne revient pas sur sa décision ».

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Un scénario-catastrophe sur lequel tous les acteurs de la filière sont d’accord. Antoine Hoyek et Ibrahim Tarchichi jugent en effet que le Liban pourra difficilement se tourner vers d’autres marchés dans un laps de temps aussi court, le second rappelant que les relations commerciales avec l’Arabie saoudite ont été tissées pendant plus de 50 ans. Si Ibrahim Tarchichi évoque l’existence de « contacts avec la Jordanie et l’Irak, des pays arabes frères », Antoine Hoyek rappelle de son côté qu’une majorité de produits agricoles libanais ne respectent pas les normes européennes, ce qui les disqualifie de facto pour s’exporter dans cette région du monde. Un obstacle que plusieurs agriculteurs tentent de franchir avec l’aide de plusieurs ONG ou associations investies dans ces chantiers depuis des années.

Autre alternative : le développement des voies de transport maritime vers le Golfe – via l’Égypte – « qui, si l’expérience est concluante en termes de rentabilité, seront utilisées l’année prochaine », selon l’exportateur interrogé qui précise que la filière étudie de plus en plus la question. Certes, les trajets sont plus longs entre le Liban et le Golfe – « deux à trois semaines », contre une quinzaine de jours (aller-retour) par voie terrestre, selon le président du syndicat des camions réfrigérés Ziad Abdelfattah – mais ils ont un coût plus ou moins équivalent à celui du transport terrestre (un phénomène lié à plusieurs facteurs circonstanciels récents) mais bien moins que le transport par voie aérienne.Des problèmes qui s’ajoutent à ceux auxquels le secteur agricole fait face depuis de nombreuses années. En effet, comme le rappelle Riad Saadé, la filière a été déstabilisée et même « totalement détruite » par la guerre civile de 1975 à 1990, et la période d’après-guerre n’a pas non plus été clémente. « L’État libanais, responsable de la reconstruction, a tout simplement ignoré le secteur agricole », a-t-il dénoncé dans une présentation en janvier 2020. La crise économique et financière qui a commencé à la fin du premier semestre 2019 a donné du fil à retordre aux agriculteurs. Dans son 69e rapport annuel, le CREAL indique que la chaîne de financement destinée aux fermiers pour acquérir des intrants a été brisée, « empêchant une grande majorité d’agriculteurs d’assurer leurs besoins en cette matière première et aboutissant à de bas rendements et une qualité inférieure de la production ».

Bien que le gouvernement de Hassane Diab ait mis en place en mai 2020 un programme de subvention des intrants, plusieurs agriculteurs n’ont pas eu accès au « panier alimentaire » dans lequel certaines semences, engrais, pesticides et aliments de bétail étaient inclus, regrette Ibrahim Tarchichi, rejetant la faute sur l’État qui « est absent ». Le CREAL, lui, pointe du doigt de nouveaux venus dans la filière qui ont abusé des subventions et, pire, en ont envoyé une partie de manière illégale en Syrie, alors qu’en retour, des pesticides en provenance de Turquie via la Syrie ont inondé le marché libanais avec des produits frauduleux à l’efficacité douteuse, voire nulle.

La nouvelle avait créé une certaine stupeur au sein de la population libanaise, en général, et chez les agriculteurs, en particulier. Le 23 avril, Riyad annonçait sa décision d’interdire toutes les importations agricoles en provenance du Liban après la saisie, par les autorités saoudiennes, de 5,3 millions de comprimés de Captagon – un stupéfiant de type amphétamines –...

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Que l IRAN achete la production agricole libanaise et la paye en dollars……

HABIBI FRANCAIS

09 h 25, le 03 juillet 2021

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Commentaires (1)

  • Que l IRAN achete la production agricole libanaise et la paye en dollars……

    HABIBI FRANCAIS

    09 h 25, le 03 juillet 2021

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