Le Premier ministre libanais Nagib Mikati s'est brièvement entretenu jeudi matin avec le chef de l'Etat Michel Aoun au palais présidentiel de Baabda, alors que son cabinet est en crise. Le gouvernement a suspendu ses réunions depuis la semaine dernière en raison d'un conflit entre ses ministres autour de l'enquête sur l'explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth.
Selon un communiqué de la présidence, le chef de l'Etat a évoqué avec M. Mikati "le prêt de 246 millions de dollars de la Banque mondiale et les efforts en cours à ce sujet". Approuvé par le Parlement en mars 2020, la mise en œuvre de ce prêt a été bloquée parallèlement à l’aggravation de la crise économique en cours et de la dépréciation de la livre libanaise. MM. Aoun et Mikati ont également discuté, entre autres, "des résultats des visites des responsables étrangers" au Liban ces dernières semaines.
Le Premier ministre a quitté le palais présidentiel sans faire de déclarations. Selon notre correspondante Hoda Chedid, le chef du gouvernement ne compte toujours pas convoquer de Conseil des ministres, en attendant une solution à cette crise politique qui avait éclaté mardi dernier suite à une intervention du ministre de la Culture, Mohammad Mortada, proche du Hezbollah et du mouvement Amal. Le tandem chiite réclame la mise à l'écart du juge d'instruction Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur le drame qui a coûté la vie à plus de 200 personnes et fait 6.500 blessés. Le magistrat a lancé des poursuites contre plusieurs responsables politiques, notamment certains proches ou membres des partis chiites.
Mercredi dernier, et pour la seconde fois en 48 heures, le cabinet Mikati avait risqué l’implosion en raison de profonds désaccords sur l’enquête du port et le juge Bitar. Le ministre de la Culture, Mohammad Mortada, avait clairement affiché sa proximité avec le Hezbollah et Amal, et insisté sur la nécessité de prendre position en Conseil des ministres sur le dessaisissement du juge d’instruction. Cette intervention a provoqué de profondes divisions au sein du cabinet, et la séance avait dû être levée. Le lendemain, la réunion prévue avait été reportée par décision conjointe du chef de l’État et du Premier ministre. Et jeudi dernier, cette crise politique a pris un grave tournant. Une manifestation du Hezbollah contre le juge Tarek Bitar avait dégénéré ce jour-là en combats de rues à Beyrouth faisant 7 morts et 32 blessés. Les affrontements ont opposé des miliciens chiites du Hezbollah et Amal à d'autres postés dans des quartiers chrétiens, et ont fait craindre une nouvelle guerre civile, mettant encore plus dans l'embarras le gouvernement Mikati.
Mandaté par le chef de l'Etat pour trouver une solution, le ministre de la Justice, Henri Khoury, avait proposé la création d’une chambre d’accusation qui statuerait sur les plaintes contre les décisions de M. Bitar, non susceptibles de recours selon la loi actuelle. Aucune suite n'a encore été donnée à cette proposition.
Nagib Mikati a récemment affirmé qu'il ne convoquera pas de Conseil des ministres "avant d'avoir trouvé une solution politique", mais a écarté toute démission à ce stade. Mardi, le ministre de la Culture avait tenté de rétropédaler, affirmant que si M. Mikati convoquait une réunion du gouvernement, il y assisterait.
Soutien de Macron
Après avoir été deux fois temporairement dessaisi de l'enquête à la suite de recours déposés à son encontre, le juge Bitar a fixé au 29 octobre la date des nouveaux interrogatoires des députés Nohad Machnouk (sunnite, ancien ministre de l'Intérieur) et Ghazi Zeaïter (chiite, ancien ministre des Travaux publics), poursuivis dans l'affaire pour "intention présumée d'homicide, négligence et manquements". Il avait, avant la dernière suspension temporaire de l'enquête, lancé des mandats d'arrêt à l'encontre du député et ancien ministre Ali Hassan Khalil (du mouvement Amal), et de l'ancien ministre Youssef Fenianos (des Marada). L'ex-Premier ministre Hassane Diab et des responsables sécuritaires et judiciaires sont également poursuivis dans le cadre de l'instruction menée par le magistrat.
Dans ce contexte de crise, le président Aoun a reçu jeudi au palais de Baabda l'ambassadrice de France au Liban, Anne Grillo. La diplomate lui a transmis un message oral de la part du président Macron dans lequel ce dernier "a insisté sur le fait que la France se tient au côté du Liban, de son président, de son gouvernement et de sa population et reste prête à aider dans tous les domaines afin de permettre aux Libanais de faire face aux circonstances difficiles dans lesquelles ils vivent".
La situation au Liban s'est gravement détériorée à cause de la pandémie de coronavirus, puis de l'explosion meurtrière au port de Beyrouth le 4 août 2020. Elle a été aggravée par une crise politique qui a duré 13 mois avant d'aboutir à la naissance du gouvernement de Nagib Mikati.
La France continue de mobiliser les partenaires internationaux et de recenser les besoins en parallèle de la conférence de soutien au peuple libanais qui avait été organisée le 4 août dernier, un an après les explosions meurtrières au port de Beyrouth.
Paris est impliqué de près dans les efforts visant à faire sortir le Liban de la crise qu'il traverse. Le 1er septembre 2020, moins d'un mois après l'explosion meurtrière au port de Beyrouth, et lors d'une 2ème visite au Liban, le président français, Emmanuel Macron avait annoncé une feuille de route pour une sortie de crise au Pays du Cèdre. Cette feuille de route avait toutefois fait long feu face à une classe politique libanaise qui rechigne à lancer de véritables réformes.
commentaires (12)
Rendez nous le gouvernement de Diab!!!
Nassar Jamal
17 h 01, le 23 octobre 2021