Pour la seconde fois en 48 heures, le tout nouveau gouvernement de Nagib Mikati a risqué l’implosion en raison de profonds désaccords sur l’enquête du port et le juge qui en a la charge, Tarek Bitar. Mardi, suite à une longue intervention du ministre de la Culture Mohammad Mortada sur la nécessité de prendre position en Conseil des ministres sur le dessaisissement du juge d’instruction, de profondes divisions sont apparues et la séance a dû être levée. Et hier, la réunion qui devait avoir lieu a été reportée par décision conjointe du chef de l’État Michel Aoun et du Premier ministre, comme on peut le lire dans un bref tweet du bureau de presse de la présidence de la République, qui a annoncé qu’après « consultations (…) il a été convenu de reporter le Conseil des ministres qui était prévu cet après-midi (hier) ». Aucune nouvelle date n’a toutefois été fixée.
Ce qui provoque l’ire du Hezbollah et de son allié Amal, c’est que plusieurs responsables politiques chiites gravitant dans leur orbite sont poursuivis par le juge Tarek Bitar dans le cadre de l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020. Et si aucun accord n’a été trouvé entre les différentes parties, c’est que le ministre de la Justice, Henri Khoury, a été mandaté par le président de la République de trouver une solution qui soit acceptable par tous, mais sans résultat pour le moment, indique notre correspondante Hoda Chedid. M. Khoury a rendu visite au président hier matin avec la proposition de régler ce différend auprès du Conseil supérieur de la magistrature, en conformité avec le principe de séparation des pouvoirs. Il a également porté cette proposition à MM. Mikati et Berry, toujours selon notre correspondante. La réponse du tandem chiite est restée la même : les deux alliés insistent sur le dessaisissement du juge en Conseil des ministres, d’où le report de la réunion.
Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, le Hezbollah avait annoncé que ses ministres ne participeraient pas à une réunion du cabinet si le juge Bitar n’était pas remplacé. Or le président de la République ne peut pas accepter que le juge soit dessaisi en Conseil des ministres pour une multitude de raisons, notamment parce qu’il est tenu de respecter le principe de séparation des pouvoirs afin de ne pas payer le prix dans la rue chrétienne. De son côté, le chef du Parlement accuse le président Aoun d’utiliser le juge Bitar pour atteindre ses proches. Le Premier ministre, lui, est dans une situation inconfortable, ayant promis aux Français et aux Américains que l’enquête irait jusqu’au bout, et ne voulant pas, d’un autre côté, entrer en collision avec le Hezbollah. Chaque partie campe sur ses positions, d’où le report de cette réunion du Conseil des ministres, et le risque de paralysie du gouvernement, selon notre chroniqueur.
Le Hezbollah et Amal mobilisent la rue
Le tandem chiite vient donc de placer le nouveau cabinet face à une équation impossible, en menaçant de recourir à la rue, voire d’envisager une démission de tous les ministres chiites, si la décision concernant le juge n’est pas prise en Conseil des ministres. En d’autres termes, le gouvernement devrait choisir entre violer le principe de séparation des pouvoirs ou perdre son caractère consensuel, et cette tare pourrait l’accompagner dans toutes les décisions qu’il pourrait prendre par la suite, note Hoda Chedid.
Aujourd’hui, malgré le report d’un Conseil des ministres qui aurait pu être explosif, Amal et le Hezbollah maintiennent une manifestation à 11h devant le Palais de justice pour protester contre le mandat d’arrêt lancé contre le député Ali Hassan Khalil, bras droit de Nabih Berry. Dans une interview accordée mardi soir à la chaîne al-Mayadeen, proche du Hezbollah, Ali Hassan Khalil avait déclaré que « toutes les options sont ouvertes pour une escalade politique ou autre ». « Les prochains jours témoigneront d’une mobilisation visant à rectifier le tir de l’enquête, sauver la justice, assurer un climat propice à (la découverte de) la vérité », avait-il lancé.
Réaction américaine
Ce qui a aggravé encore les tensions, c’est une réaction des États-Unis en réponse à ce qu’ils ont considéré comme des « menaces » proférées lundi par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah contre le juge Bitar. Hier, Ned Price, porte-parole du département d’État américain, a déclaré que Washington « s’oppose aux intimidations contre les systèmes judiciaires de tous les pays ». « Nous soutenons l’indépendance de la justice libanaise. Les juges ne devraient pas subir des menaces et des intimidations, notamment de la part du Hezbollah », a-t-il affirmé. Ce qui a suscité des réactions courroucées de la part de certaines figures du Hezbollah, tel le député Hassan Fadlallah qui y a vu « une violation de la souveraineté libanaise ».
En face, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a appelé hier « le peuple libre à se tenir prêt à un blocage total et pacifique » dans la rue. Lors de propos accordés à la presse, M. Geagea a dénoncé un chantage entre l’implosion du gouvernement de Nagib Mikati ou le remplacement du juge Bitar, sous l’impulsion du Hezbollah et de ses alliés. Des développements qui font craindre des dérapages sécuritaires aujourd’hui, même si le chef des FL se veut rassurant. « Il est hors de question de menacer, car ce n’est pas de la sorte que les sociétés progressent. Mais si quelqu’un veut nous imposer par la force une certaine réalité, nous n’accepterons pas cela », a-t-il dit.
Pour sa part, l’ancien ministre et député Michel Pharaon a estimé, dans un tweet, que « le remplacement du juge Bitar serait une nouvelle agression contre les victimes, les blessés et leurs parents, ainsi que contre tous les citoyens ». « Si les circonstances du drame ne sont pas encore tout à fait élucidées, le coupable de ce nouveau crime est, lui, bien connu », a-t-il poursuivi.
commentaires (7)
J'étais persuadé qu'ils avaient formé un gouvernement apolitique !!!
Zeidan
15 h 48, le 14 octobre 2021