La différence entre le président français, Emmanuel Macron, et son homologue libanais, Michel Aoun, face à la terrifiante crise dans laquelle le Liban est plongé, est que le premier – et avec lui la communauté internationale – a un diagnostic clair de ses causes et des voies de sortie possibles, alors que le second reste dans le général, se contentant de formuler des vœux pieux pour la naissance hypothétique d’un cabinet et le lancement d’un chantier de réformes structurelles. Le tout en tablant sur l’assistance que la communauté internationale continue d’apporter à un peuple en détresse.
Celle-ci a d’ailleurs de nouveau répondu présent à l’appel à soutenir les Libanais lancé par Paris et les Nations unies, puisque c’est la somme de 370 millions de dollars qui a été promise, dans le cadre d’une intervention humanitaire d’urgence pour le Liban, au cours de la troisième conférence internationale de soutien à la population libanaise qui s’est tenue hier en visioconférence. Une conférence dont les organisateurs voulaient qu’elle se tienne à la date hautement symbolique du premier anniversaire de la tragédie du 4 août 2020.
Cette dichotomie entre les approches de MM. Macron et Aoun est apparue de manière flagrante dans les discours des deux chefs d’État et explique le durcissement de ton du président français, qui est apparu plus que jamais déterminé à ne pas accorder « un chèque en blanc » à un système politique qu’il a accusé de « commettre une faute historique et morale en misant sur le pourrissement ». Un système politique qui, la conscience tranquille, continue d’accorder la priorité aux manœuvres qui vont lui permettre de se maintenir au pouvoir, en laissant la communauté internationale gérer les séquelles humanitaires et sociales de la crise, conscient que l’Occident ne lâchera pas les Libanais.
Et cela, la France et ses partenaires internationaux l’ont confirmé hier en débloquant une nouvelle enveloppe pour l’aide d’urgence aux Libanais, définie en fonction de besoins identifiés par les Nations unies et qui se chiffrent à 357 millions de dollars. Les sommes promises à l’ouverture de la conférence étaient de 100 millions d’euros de la part de Paris et 100 millions de dollars de la part de
Washington. Au terme des délibérations, les participants, trente-trois États et treize organisations internationales, se sont engagés à débloquer un total de 370 millions de dollars en faveur du Liban, auxquels s’ajoutent des aides en nature substantielles. Il s’agit en particulier de répondre aux besoins les plus urgents dans les secteurs de la sécurité alimentaire, de l’eau et de l’assainissement, de la santé et de l’éducation.
Ces aides d’urgence seront fournies directement à la population via des ONG, saluées par de nombreux intervenants, dont M. Macron, pour leur crédibilité et, surtout, parce qu’elles ont pu combler les défaillances d’un État comateux. Cinq représentants de la société civile libanaise participaient d’ailleurs aux échanges, à la demande du président français.
« Notre vigilance sur les mécanismes de suivi de cette aide est totale, avec l’appui indispensable des Nations unies. Celle-ci ira directement aux associations et aux ONG sur place, via l’ONU », a déclaré Emmanuel Macron qui, en plus des 100 millions d’euros promis, a annoncé « l’envoi de 500 000 doses de vaccin contre le Covid durant le mois d’août ».
La bienveillance manifestée par le président français à l’égard des Libanais et de la société civile détonnait avec le ton, lourd de menaces, qu’il a employé pour s’adresser aux dirigeants libanais. Emmanuel Macron n’a pas mâché ses mots en interpellant « l’ensemble de la classe politique libanaise », lui reprochant de n’avoir tenu aucun de ses engagements et réaffirmant sa détermination avec ses partenaires européens et internationaux à imposer des sanctions aux responsables de « dysfonctionnements » qu’il a dénoncés. « Je souhaite m’adresser directement à l’ensemble de la classe politique libanaise et au président Aoun (…) qui sait combien j’ai de l’estime et du respect pour lui. Néanmoins, je continue de penser que la crise que vit le Liban n’est pas un coup du sort ni une fatalité. Elle est le fruit de faillites individuelles et collectives, et de dysfonctionnements injustifiables. Elle résulte de toutes les défaillances d’un modèle qui s’est détourné du bien public et de l’intérêt général. Et l’ensemble de la classe politique libanaise n’a eu de cesse de l’aggraver en faisant passer ses intérêts individuels et partisans avant ceux du peuple libanais », a dénoncé M. Macron.
« Des rendez-vous manqués »
Rappelant les engagements pris par son pays en faveur du Liban depuis la conférence dite CEDRE d’avril 2018, il a affirmé : « Depuis, tous les rendez-vous ont été manqués. Aucun engagement n’a été tenu. Le Liban mérite définitivement mieux (…) que de vivre de la solidarité internationale et cela dépend de vous. (…) La première priorité reste la formation d’un gouvernement chargé d’engager la mise en œuvre des réformes les plus urgentes au service de la population. »
Et d’insister : « La conférence d’aujourd’hui est une conférence humanitaire. Elle est donc inconditionnelle, mais il n’y aura aucun chèque en blanc au bénéfice du système politique libanais, car il est défaillant depuis le début de la crise et même avant. La France (…) se doit d’être exigeante. (…) J’y veille. Les dirigeants libanais semblent faire le pari du pourrissement. Je le regrette. Je pense que c’est une faute historique et morale. Nous avons pu prendre, plusieurs d’entre nous autour de l’écran aujourd’hui, des mesures restrictives à l’encontre de personnalités impliquées dans la corruption ou le blocage politique et nous les assumons. »
Après avoir rappelé le régime de sanctions spécifiques sur le Liban, adopté récemment par l’Union européenne, Emmanuel Macron a déclaré que « les dirigeants libanais ne doivent pas douter une seule seconde, dans ce contexte, de notre détermination ». « Cela vaut pour le gouvernement et sa formation, la mise en œuvre des réformes, mais également l’enquête sur le port qui est attendue par toute la population libanaise », a-t-il martelé, en insistant sur la nécessité de faire la lumière sur l’explosion au port de Beyrouth et d’organiser les législatives au printemps prochain.
Biden : « Combattre la corruption »
Moins véhément que son homologue français, le président américain, Joe Biden, a été cependant tout aussi catégorique sur la question des réformes, après avoir annoncé la souscription de son pays à « près de 100 millions de dollars d’aide humanitaire nouvelle » au Liban. « Aucune aide ne sera jamais suffisante si les responsables politiques libanais ne s’engagent pas à faire le difficile mais nécessaire travail de réforme de l’économie et lutte contre la corruption. C’est essentiel. Il faut commencer maintenant », a-t-il dit dans un message vidéo.
Michel Aoun, quant à lui, a réaffirmé son engagement à œuvrer pour que toute la vérité sur le drame du port soit dévoilée et que justice soit rendue. « Personne n’est au-dessus de la loi, quel que soit son rang », a-t-il fait valoir, avant de s’étendre sur « les répercussions dévastatrices de l’explosion au port, à tous les niveaux, humanitaire, social, économique, sanitaire et éducatif » et qui exacerbent, selon lui, « les crises qui soufflaient déjà sur notre pays ». Dans ce contexte, il a rappelé que « le Liban paye toujours le lourd tribut des déplacés syriens et le siège imposé dans la région, privant le pays de son extension vitale ». « L’attente de la mise en place de solutions régionales et globales se fait ressentir chaque jour davantage », a encore estimé le chef de l’État, avant d’énumérer les besoins de la population libanaise. Lorsqu’il a abordé la crise politique, M. Aoun est resté dans les généralités, regrettant que « les détails de la formation du cabinet aient prévalu sur le programme du gouvernement ».
« Aujourd’hui, nous sommes dans une nouvelle phase. J’espère qu’un gouvernement sera formé et que celui-ci pourra mettre en œuvre les réformes nécessaires, préparer les prochaines élections législatives et, en parallèle, instaurer la confiance avec nos partenaires internationaux et mener les négociations avec le FMI », a-t-il souligné, avant de promettre une utilisation rationnelle des droits de tirage spéciaux (DTS) dont bénéficiera le Liban du FMI en septembre prochain, pour faire face à l’effondrement économique et lancer des réformes, ainsi qu’une poursuite de l’audit juricomptable des comptes publics, notamment de la banque centrale.
Ses propos anticipaient ceux de la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, qui a par la suite confirmé que le FMI accorderait au Liban 860 millions de dollars au titre des DTS, en exhortant le pays à « les utiliser à bon escient » et en relevant que cette ressource ne résoudra pas « les problèmes structurels et systémiques à long terme » du pays.
Pas de contribution saoudienne
La formation d’un gouvernement capable de gérer un chantier de réformes sérieuses et la vérité sur l’explosion au port de Beyrouth étaient en gros les idées maîtresses des interventions des participants à la conférence, notamment le président Biden, le roi Abdallah de Jordanie, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le Premier ministre irakien Moustapha Kazimi, les présidents du Conseil européen, Charles Michel, et de la Banque mondiale, Davis Malpass.
Seul le chef de la diplomatie saoudienne, Fayçal ben Farhane, semble avoir évoqué la responsabilité du Hezbollah dans la crise, en dénonçant la mainmise de la formation chiite sur le pouvoir de décision au Liban. Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, Riyad ne contribuera pas au financement de projets humanitaires tant que la ligne politique du Liban n’a pas changé. Signe du mécontentement saoudien : son ambassadeur, Walid Boukhari, rappelé en Arabie après la désignation, contestée par Riyad, de Nagib Mikati pour former le gouvernement, ne reprendra pas prochainement ses fonctions au Liban.
Dans leurs conclusions consignées dans un communiqué conjoint, la France et les Nations unies ne précisent pas la répartition de l’enveloppe de 370 millions de dollars entre les bailleurs de fonds, chaque État devant lui-même annoncer le montant de sa contribution.
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15 h 21, le 05 août 2021