C’est l’un des dossiers qui défraie la chronique depuis février 2020. C’est aussi l’un de ceux que le gouvernement de Nagib Mikati, formé le 10 septembre dernier, doit prendre à bras-le-corps. C’est encore celui que les donateurs internationaux vont suivre à la loupe, puisque le déblocage de toute aide structurelle au Liban y est en partie lié. Ce dossier, c’est celui, à rebondissements, de l’audit des comptes de la Banque du Liban (BDL), qui est supposé englober depuis décembre 2020 celui des institutions publiques. Officiellement suspendu il y a un an, il a finalement été relancé le 17 septembre dernier avec la signature d’un nouveau contrat entre le Liban et l’un des auditeurs, le cabinet Alvarez & Marsal, dix mois après la résiliation d’un premier engagement qui a coûté au moins 150 000 dollars au Liban, sans aucun résultat. Retour sur le chemin de croix de cette opération.
« Une question de crédibilité »
En fait d’audit, il faudrait plutôt parler d’audits, au pluriel. Pour cette mission, trois acteurs ont été engagés : KPMG pour le volet comptable; Oliver Wyman pour vérifier si les pratiques comptables de la BDL sont alignées sur celles utilisées par les banques centrales ; et Alvarez & Marsal (A&M) pour le volet juricomptable, aussi appelé audit pénal. Si le premier volet est relativement bénin, les enjeux des deux autres sont, au contraire, plus importants.
La communauté internationale accorde en effet un intérêt particulier à la mission d’Oliver Wyman, qui figure d’ailleurs dans la feuille de route des réformes définie par la France au cours de l’été 2020. Sa finalité consiste ni plus ni moins à définir si la BDL n’a pas pris trop de libertés avec les règles comptables pour minimiser l’ampleur des pertes sur son bilan, en omettant d’y inscrire par exemple des flux qui auraient dû l’être. Enfin, le volet juricomptable doit, lui, retracer l’historique des transactions pour détecter d’éventuelles fraudes, de manière à ce que celles-ci puissent être admises par les juges dans le cadre d’une éventuelle procédure judiciaire.
La réussite de l’audit dans sa globalité revêt une importance capitale pour un pays en crise profonde depuis deux ans, qui n’a toujours pas régularisé sa situation après le défaut partiel sur sa dette annoncé en mars 2020 et dont le bilan net des réserves de sa banque centrale présente un creux de plusieurs dizaines de milliards de dollars, selon ses propres documents comptables. Le chantier est d’autant plus crucial que plusieurs soutiens du Liban, dont la France, soit l’un des principaux contributeurs de l’enveloppe débloquée lors de la CEDRE en avril 2018, et le Fonds monétaire international (FMI), sollicité par le Liban en 2020 pour tenter de décrocher une assistance financière, souhaitent que les comptes de la BDL, unique carte maîtresse des politiques monétaires de ces 30 dernières années, soient contrôlés efficacement par des tiers.
« C’est une question de crédibilité vis-à-vis de la population libanaise comme des partenaires internationaux », souligne l’ex-directeur du ministère des Finances, Alain Bifani. Désormais proche des cercles de la société civile, il a démissionné de son poste en juin 2020, ainsi que de l’équipe chargée de négocier avec le FMI, pour dénoncer l’incapacité du gouvernement « à aller à l’encontre des intérêts des caciques du système et de ceux des principaux acteurs du rouage ».
Garde-fous inopérants
Un audit comptable et financier est une opération de contrôle a posteriori et de certification des comptes d’une entité. Au niveau public, ce rôle revient généralement à l’Inspection centrale, la Cour des comptes ou le Parlement. Pour la BDL en revanche, qui jouit d’une autonomie vis-à-vis du pouvoir politique afin de pouvoir mener ses missions, la loi met en place des garde-fous spécifiques – audits externes et prérogatives du commissaire du gouvernement qui assiste aux réunions de son conseil central pour les faire remonter à l’exécutif.
Des garde-fous qui n’ont pas fonctionné correctement. « Fin 2019, les Libanais se rendent compte que la BDL ne peut plus stabiliser le taux dollar/livre sur le marché, comme elle le faisait depuis des années, faute de réserves de devises suffisantes pour poursuivre sa coûteuse politique monétaire à long terme (la BDL a considérablement réduit les liquidités en dollars qu’elle avait coutume de fournir aux banques, NDLR). Dans la foulée, ils découvrent que les banques n’ont plus assez de liquidités en devises pour honorer les demandes de retraits de leurs clients, amplifiant par là une panique bancaire qui avait commencé à se manifester dès 2016. Enfin, ils réalisent que la BDL a accumulé des dizaines de milliards de dollars de dette qu’elle ne pourra jamais payer », résume l’expert financier Mike Azar.
Rapidement, les banques accusent l’État d’avoir mené le pays au bord du gouffre en accumulant les déficits et en augmentant, en 2017, la grille des salaires de la fonction publique sans correctement évaluer son coût. D’autres voix rappellent toutefois que le secteur bancaire était, pour sa part, engagé dans une forme de fuite en avant et avait, malgré les signaux, continué d’investir massivement dans la dette en devises, contractée via des eurobonds et proposant de grasses rémunérations.
Sur le tapis également, l’impact des ingénieries financières lancées dès 2016 par la BDL pour contrecarrer le ralentissement de la croissance des dépôts, lié notamment à la guerre en Syrie. « Ces opérations non conventionnelles ont, spécifiquement à partir de 2017, consisté à encourager les banques à rapatrier des dépôts qu’elles détenaient à l’étranger pour ensuite les échanger contre des certificats de dépôts émis par la banque centrale. Mais les devises rapatriées ont essentiellement servi à financer le PEG (la parité officielle dollar/livre), en plus de régler la portion de dette en devises, les avances du Trésor à Électricité du Liban, etc. », résume une première source proche du dossier. En juillet 2020, des fuites concernant le dernier rapport d’audit externe de la BDL pour l’exercice 2018, effectué comme chaque année par Ernst & Young et Deloitte, viennent instiller un peu plus de doutes. S’ils l’ont bien signé et validé, les auteurs y ont accolé une « opinion avec réserve » (« qualified opinion ») expliquant que si la plupart des transactions financières ont été fidèlement présentées, certaines n’ont pas pu être vérifiées ou manquent. Ils ont de plus souligné l’existence de certaines pratiques inédites, comme l’intégration d’actifs constitués de « revenus de seigneuriage sur la stabilité financière » (des revenus futurs et, en principe, hypothétiques), dont les montants auraient été déterminés arbitrairement par le gouverneur. Un procédé dérogeant aux principes comptables en vigueur, même si la Banque des règlements internationaux (BRI, la banque centrale des banques centrales) peut être relativement souple pour juger la recevabilité des moyens mis en œuvre par ce type d’institution pour assurer leur stabilité et leur indépendance.
Le plan et l’audit
Malgré plusieurs alertes antérieures, la santé financière de la BDL et la visibilité de ses comptes ne vont être au cœur du débat public qu’à partir de 2020. Le gouvernement de Hassane Diab s’apprête en effet à faire défaut sur les obligations d’État en devises (les eurobonds) et à approcher le FMI pour négocier un ticket de sortie de crise.
Le nouvel exécutif devait « préparer un plan de redressement en vue des futures négociations. C’est à ce moment que la décision de se faire épauler par la banque d’affaires Lazard, comme conseiller financier, et le cabinet Cleary Gottlieb & Hamilton LLP, comme conseiller légal, a été prise », se souvient Marie-Claude Najm, alors ministre de la Justice. Sans surprise, les auteurs du plan projetaient « d’évaluer les options de restructuration des dettes de la BDL » en se basant « sur un rapport d’audit ».
« Plusieurs réunions interministérielles ont été organisées au Sérail, ainsi que des face-à-face avec la BDL et l’Association des banques du Liban. C’est à ce moment que les personnes concernées ont commencé à réaliser que la coopération avec la banque centrale n’était pas optimale », ajoute l’ancienne ministre. « Or les informations demandées à l’institution pour pouvoir établir un récapitulatif des pertes étaient primordiales dans la mesure où énormément de données n’étaient pas communiquées (comptes des institutions publiques, ceux liés à l’exécution des marchés publics, etc.) », enchaîne Alain Bifani.
« L’audit était donc un bon moyen d’y voir plus clair. Cette perspective, et la résonance potentielle qu’elle pourrait avoir au niveau politique, a bien entendu donné des idées à tout le monde, que ce soit la présidence ou la primature », poursuit-il. L’accent est alors mis sur le volet juricomptable, présenté par ses promoteurs comme le moyen de remonter jusqu’à ceux qui se sont servis dans les fonds publics et/ou qui ont sorti leur argent du pays avant la crise.
« C’est dans ce contexte que le nom de Kroll est évoqué. Fondé dans les années 1970 avec un siège à New York, le cabinet est considéré comme étant une des références mondiales en matière d’audit juricomptable. La différence entre Kroll et A&M, que le Liban a recruté en septembre 2020, c’est que le premier est sorti du terrain strict de l’audit pour aller sur celui de l’enquête de terrain (notamment en mobilisant des détectives privés, NDLR) », explique une source bien au faîte de ce domaine d’activité. « À ma connaissance, il n’y a pas eu d’appel d’offres pour sélectionner les trois cabinets, tellement le choix de Kroll semblait être évident pour toutes les personnes qui travaillaient sur le plan de redressement », ajoute-t-elle.
L’éviction de Kroll
À partir de là, les événements s’enchaînent. Le 9 mars 2020, le Liban annonce le défaut sur ses eurobonds. Puis, en avril, la BDL publie plusieurs circulaires, dont une qui instaure les retraits en livres des devises déposées sur des comptes frappés par les restrictions bancaires et une autre qui garantit la disponibilité des « dollars frais ». À peu près au même moment, la livre, qui avait lentement glissé depuis l’été 2019 de 1 507,5 livres pour un dollar (un taux artificiellement maintenu jusqu’à aujourd’hui pour certaines transactions) aux environs de 3 000 livres (un taux que la BDL assure alors essayer de contrôler), décroche brutalement.
Le gouvernement, lui, commence à partager les grandes lignes de son plan de redressement établissant les premiers bilans des pertes financières accumulées par le pays – État, BDL, banques. Il comptabilise ainsi les pertes brutes de la banque centrale et du secteur bancaire en général respectivement à 175 000 milliards de livres et 186 000 milliards de livres, selon une estimation publiée dans le plan de redressement avalisé le 30 avril 2020 qui tient compte d’un taux de change de 3 500 livres pour un dollar pour les montants libellés en devises. Des chiffres que la dégringolade de la livre finit par fausser, ce qui poussera, fin avril, Hassane Diab à s’en prendre publiquement à Riad Salamé qu’il accuse de déstabiliser la monnaie.
Le plan va tout de même être adopté, tandis que l’exécutif, en contact quasi permanent avec le FMI (sur des sujets subsidiaires), entame ses négociations avec celui-ci – qui resteront au stade préliminaires. Alors que le montant des pertes évalué dans le plan fait l’objet d’un bras de fer féroce entre le gouvernement, d’un côté, les banques, la BDL et certains députés, de l’autre, le lancement de l’audit, lui, se fait attendre. « Le ministère des Finances a mis un temps insensé à établir le cahier des charges, malgré les relances de la présidence et du Conseil des ministres », dénonce Alain Bifani.
Déjà approché, Kroll patiente et s’adapte. « Le cabinet avait envoyé une offre calculée en fonction de ses tarifs habituels, mais ses interlocuteurs lui ont demandé s’il pouvait faire un effort. D’après mes informations, le cabinet a consenti, parce que cette mission l’intéressait tout particulièrement – essentiellement pour des raisons de prestige et de “challenge” – à réduire de 30 à 50 % le tarif des différentes composantes de sa prestation, pour aboutir à une enveloppe similaire aux 2,2 millions de dollars demandés par A&M des mois plus tard », poursuit la source bien au faîte du dossier, qui ajoute que l’audit pouvait, possiblement, dévoiler des transactions liées de près ou de loin au Hezbollah ou à ses cercles, que ce soit au Liban ou à l’étranger.
Toujours est-il que la possibilité de voir Kroll risquer de retourner le linge gris de la finance régionale tourne court fin juin. Alain Bifani, qui à l’époque avait claqué la porte de l’équipe des négociateurs quelques jours après l’expert financier Henri Chaoul, parle de « sabotage ». Un rapport de la Sûreté générale – rédigé par un responsable proche du Hezbollah et du Amal, assure une seconde source – reproche en effet au cabinet d’entretenir des liens avec Israël, pays avec lequel le Liban est officiellement en état de guerre. Il n’en faut alors pas plus pour qu’une partie du gouvernement, le ministre des Finances Ghazi Wazni (Amal) en tête, rejette la candidature du cabinet new-yorkais.
Le bien-fondé de l’argument ayant entraîné le rejet de Kroll va rapidement voler en éclats. Tout d’abord, parce que les deux autres sociétés qui vont être par la suite évoquées, Forensic Technologies International Consulting (FTI Consulting ou FTI) puis A&M, ont des représentations en Israël. Ensuite, parce que le premier de ces deux candidats, dont le nom faisait partie des sociétés présélectionnées par le ministère des Finances après l’éviction de Kroll mais qui n’était pas intéressé par la mission, est davantage un conseiller en stratégie qu’un auditeur, rappelle une seconde source. Selon celle-ci, FTI a même été employée par le passé par la BDL pour effectuer une mission de communicant.
Cet épisode marque en tout cas l’exclusion définitive de Kroll, malgré son intégration à la liste des cabinets étudiés par l’exécutif et le fait qu’il sera approché une dernière fois« par deux ministres » qui essaieront, en vain, de lui faire encore réduire sa facture, raconte la seconde source. « La ministre de la Justice est la seule qui a alors insisté pour que Kroll soit remis en selle, mais c’est le consensus autour de la nécessité de faire aboutir l’audit, alors bloqué par les désaccords concernant le volet juricomptable, qui a prévalu », révèle la seconde source.
L’abandon d’Alvarez & Marsal
Le nom A&M fait irruption dans le débat public en juillet 2020. Fondé à New York dans les années 1980, le cabinet s’est spécialisé dans le redressement et a notamment conseillé la banque Lehman Brothers après sa faillite. Avec A&M, le contrat est bouclé en deux mois, là aussi de gré à gré. Entre-temps, le Liban est frappé par la tragédie du 4 août 2020 dont les répercussions accaparent l’essentiel de l’actualité.
La signature des contrats avec les trois auditeurs, KPMG et Oliver Wyman inclus, est annoncée le 1er septembre 2020, soit le jour d’une seconde visite d’Emmanuel Macron à Beyrouth post-4 août. Le coût de la mission A&M : près de 2,2 millions de dollars. « C’est à peu près ce que Kroll avait demandé après avoir réduit le montant de sa prestation et avant de se faire écarter », rappelle une des sources précitées. Le contrat d’A&M, dont les termes de la mission sont légèrement plus restrictifs que ceux de Kroll, comprend en outre une clause prévoyant le paiement d’une avance de 840 000 dollars au moment de la signature – qui n’a jamais été réglée – et une indemnité de 150 000 dollars dans le cas où le cabinet décide de jeter l’éponge faute d’éléments suffisants pour mener sa mission à bien.
Une mission qui consiste alors à « vérifier que les fonds provenant des transactions financières opérées au niveau de la BDL, ou qui ont transité par ses comptes durant les cinq dernières années, ont été utilisés dans leur but premier » ; « examiner les transactions provenant des opérations d’ingénierie financière » ayant eu lieu sur la même période ; « analyser la répartition des mouvements des dépôts de clients et de groupes au sein des banques commerciales » en marge de ces mêmes opérations.
Pour KPMG, basée en Hollande mais qui possède un bureau libanais, la facture dépend du temps passé. Les antennes européennes facturent l’heure entre 180 et 550 euros, dépendamment du niveau « de responsabilité, d’expérience et de compétences » de membres, et hors faux frais ; les antennes libanaises facturent entre 160 et 210 dollars l’heure. Oliver Wyman, basé en Suisse, facture pour sa part 200 000 francs suisses (215 515 dollars) pour la première phase (préliminaire) et 750 000 francs (825 759 dollars) la seconde (report covering modules).
Tout est signé, validé, mais le travail qui devait alors commencer est interrompu presque aussitôt. A&M envoie à la BDL une liste de 151 requêtes devant lui permettre de lancer la phase préliminaire de son enquête. Un tableau que celle-ci va renvoyer à moitié vide, tandis que le ministère des Finances, chargé de la coordination et ministre de tutelle du gouverneur, rechigne à forcer la main au gouverneur, Riad Salamé. « La BDL n’a pas simplement refusé de fournir une importante partie des documents demandés. Elle a, entre autres, rejeté les requêtes demandant un accès aux serveurs ou à une salle de réunions à la BDL », rappelle Mike Azar.
La défense de la BDL invoque la lettre du contrat préparée par le ministère des Finances et la loi de 1956 sur le secret bancaire. « Selon le contrat, l’auditeur a accepté d’exécuter sa mission dans le respect des lois libanaises. La BDL a donc accepté de dévoiler ses comptes, mais ne peut dévoiler ceux de ses clients, soit l’ensemble des institutions ainsi que le secteur financier, d’autant plus que l’exécutif a refusé de lui donner une autorisation écrite pour ce faire », répond la banque centrale. Elle soulève également un problème lié à l’article 151 du Code de la monnaie et du crédit, disposant que toute personne appartenant ou ayant appartenu à la BDL, en quelque qualité que ce soit, est tenue au secret bancaire.
Après deux allers-retours entre le cabinet et l’institution, via le ministère des Finances, A&M jette finalement l’éponge en novembre.
L’argument du secret bancaire
La décision d’A&M, qui va encaisser 150 000 dollars pour deux tableaux Excel envoyés à la BDL qui les lui a retournés à moitié vide, n’est pas vraiment une bonne nouvelle pour la crédibilité d’une classe dirigeante qui, pour convaincre ses soutiens étrangers de mettre la main au porte-monnaie, doit au moins faire mine de lancer certaines réformes. C’est donc sans trop forcer le trait que certains de ses membres – dont ceux de la commission des Finances et du Budget – vont s’approprier l’argument du secret bancaire avancé par la BDL afin de justifier les mois et l’argent perdus.
Le 21 décembre 2020, le Parlement vote, avec force autocongratulations, une loi levant de manière exceptionnelle le secret bancaire sur les comptes de la BDL et les comptes de l’État pendant un an. Le texte, qui n’inclut pas expressément les comptes des tiers liés à ces entités, est présenté comme un succès par les députés, tandis que ses détracteurs, parmi lesquels Alain Bifani, évoquent une « fiction juridique » visant à perdre encore plus de temps. Marie-Claude Najm, qui estimait que cette loi était aussi « inutile » que « dangereuse » – parce qu’elle crée un précédent –, tente de faire contre mauvaise fortune bon cœur en tweetant le soir du vote que « tous les prétextes sont tombés ».
Malgré l’enthousiasme ambiant de l’exécutif sortant et du Parlement, Ghazi Wazni va mettre des mois à reprendre contact avec A&M et il faudra attendre le 17 septembre dernier et la formation du nouveau gouvernement pour que le nouveau contrat soit signé. Cette fois-ci, le coût s’élève à 2,7 millions de dollars, soit 500 000 dollars de plus que le précédent, alors même que ce nouveau contrat ne mentionne pas l’audit des institutions publiques que le cabinet est supposé prendre en charge. Entre-temps, Ghazi Wazni avait annoncé que KPMG et Oliver Wyman avaient terminé les phases préliminaires de leurs propres missions. Aucune information n’a toutefois filtré à ce sujet.
Aujourd’hui, il ne reste que 73 jours avant que la loi levant temporairement le secret bancaire n’arrive à échéance. « Non seulement c’est trop court pour auditer sérieusement les comptes de la BDL et ceux des institutions publiques, mais, en plus, cela risque d’innocenter les personnes qui avaient potentiellement quelque chose à se reprocher », regrette une des sources interrogées. Contactés, ni Kroll, ni A&M, ni le ministère des Finances n’ont donné suite à nos demandes d’entretien. La BDL, elle, répète à L’Orient-Le Jour ce qu’elle dit depuis le début : elle ne s’est jamais opposée à quelque audit que ce soit et souligne que le FMI n’a pas fait de l’audit juricomptable une condition pour s’engager auprès du Liban.
Il reste que l’organisation « aurait de bonnes raisons (d’insister), dans la mesure où la BDL retirait des pans entiers des rapports du FMI établis dans le cadre de ses consultations annuelles au titre de l’article IV avant leur publication, selon le circuit habituellement prévu », commente la source précitée. Début octobre, le quotidien suisse Le Temps révélait d’ailleurs que la BDL et son gouverneur avaient supprimé 14 pages issues d’un « rapport intermédiaire » élaboré en 2016 par le FMI qui « pointait l’immense faiblesse financière » du pays du Cèdre. Un caviardage accepté par le FMI, conformément à ses pratiques vis-à-vis des informations « sensibles ». L’autre zone d’interrogation concerne le niveau réel des réserves disponibles de devises à la BDL qui n’ont jamais été dévoilées par l’institution, celle-ci se contentant de publier leur montant global en n’isolant peu ou prou que celles des réserves d’or détenu par le pays.
Plus d’un mois après la signature du nouveau contrat, l’incertitude concernant le succès de l’opération reste entière, d’autant plus que le ministère des Finances n’a pas inclus de clause renvoyant au groupe Egmont au sein des deux contrats signés avec A&M. Or l’inclusion d’une référence à cette organisation – un forum d’échange opérationnel entre les cellules de renseignement financier dont la Commission spéciale d’investigation (CSI) libanaise fait partie – aurait renforcé les moyens mis à la disposition de l’auditeur pour contourner les obstacles juridiques entravant sa mission.
"73 jours insuffisants pour auditer sérieusement" les comptes avant l'échéance de la loi qui lève le secret bancaire.Que va faire le parlement? lever une deuxième fois ce secret pour un an?
04 h 01, le 20 octobre 2021