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Idées - Point de vue

Audit de la BDL : la dernière ruse du système

Audit de la BDL : la dernière ruse du système

Photo d’illustration : « Nous ne paierons pas la facture », dit cette banderole accrochée par des manifestants devant la Banque centrale du Liban à Beyrouth en 2020. Photo d’archives AFP

Le 21 décembre dernier, après bien des turpitudes, le Parlement a voté une loi afin, dit-on, de permettre l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban (BDL) et des institutions publiques. Cette loi n’était absolument pas nécessaire : le secret bancaire, derrière lequel la BDL s’était abritée pour refuser de remettre certains documents au cabinet d’audit, n’était qu’un prétexte pour torpiller l’opération. Cependant, nous nous sommes habitués à passer des lois pour permettre l’application de lois existantes, tout en sachant que le système n’appliquera ni les lois originelles ni celles qui en découlent. Cela permet à l’illégalité généralisée de gagner du temps, et comme certains banquiers sont devenus les pires ennemis de leurs banques, certains législateurs sont devenus les pires ennemis du peuple qu’ils représentent, sécurisant notamment leurs fortunes de la poche des déposants qui les ont élus.

La loi en question fut saluée comme une véritable avancée, ce qui dénote d’un cynisme sans bornes. Encore une fois, on fait mine d’aller dans le sens de la volonté populaire pour mieux la berner. La durée d’application de cette loi est d’un an, et son bénéficiaire est la seule société d’audit – alors même qu’aucune disposition ne garantit la publicité ultérieure de l’ensemble de ses découvertes. D’autant qu’avec les délais de formation d’un gouvernement, de négociation des termes d’un nouveau contrat et de l’appel d’offres, il faudra clairement revenir au Parlement et reprendre à zéro. En outre, un précédent quant à la nécessité d’une telle loi a désormais été créé, ce qui est en soi scandaleux. De plus, le texte laisse un flou artistique sur les informations concernées, notamment sur les comptes bancaires. Le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, a déclaré avoir remis au cabinet d’audit Alvarez & Marsal tous les comptes de son institution. Mais alors, dans quelle catégorie se trouvent par exemple les « ingénieries financières », sur lesquelles aucune information n’a été donnée ? Et comme la levée du secret bancaire se limite strictement à la société d’audit, qui pourra traiter l’information en aval, voire l’utiliser pour des poursuites éventuelles ?

Sabordage

Pourtant, une partie du Liban officiel a voulu l’audit. Dans la dernière ligne droite du marathon qui opposa quelques réformateurs aux hommes du système, nous avons proposé un plan de sortie de crise via le gouvernement précédent, dans lequel l’audit juricomptable est mentionné à trois reprises. Les pillards se sont alors ligués et ont mobilisé leur machine de guerre financière et politico-médiatique pour saborder ce qui était essentiel au plan gouvernemental, aux réformes et au programme FMI (qui, avec la communauté internationale, a très fortement entériné le plan gouvernemental et s’est inquiété des retombées catastrophiques de son sabotage). Les prédateurs voulaient conserver tous leurs acquis et faire porter les pertes colossales du système aux citoyens, à travers la dépréciation de la monnaie et une inflation (un « impôt » éminemment régressif) à 120 %, et en ponctionnant de manière indiscriminée – entre autres via la « lirification » des dépôts – l’ensemble des déposants, à commencer par les moins nantis, alors que le plan gouvernemental ne prévoyait un « bail-in » que pour les très gros dépôts seulement. Les puissants dépossèdent ainsi la population.

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Un autre point du plan suscita l’hystérie : la récupération de l’argent mal acquis et la correction des effets des « ingénieries financières », ces milliards de dollars qui ont également profité à des individus et à des sociétés non bancaires. Et comme il est impossible, à l’ombre du secret bancaire, de savoir qui a bénéficié de quoi, l’audit juricomptable était essentiel. Prévu dans le plan, cet audit fut demandé par le président de la République et entériné par le gouvernement. La communauté internationale l’attend aussi, après que le président Macron eut qualifié de « pyramide de Ponzi » les opérations de la BDL.

Mascarade

Alors, comment en sommes-nous arrivés à une mascarade ? Selon le Larousse, un audit est une « procédure consistant à s’assurer du caractère complet, sincère et régulier des comptes d’une entreprise, à s’en porter garant auprès des divers partenaires intéressés de la firme et, plus généralement, à porter un jugement sur la qualité et la rigueur de sa gestion ». Dans notre cas, chaque mot pose problème. Parlons du « caractère complet, sincère et régulier des comptes financiers » : j’avais découvert dès mon arrivée à la direction générale des Finances une situation invraisemblable où les comptes du Trésor étaient irréguliers, très largement incomplets, non ou mal documentés, entachés d’erreurs colossales, présentés sans la moindre sincérité et acceptés tels quels. Mes équipes ont travaillé d’arrache-pied pendant des années à reconstituer ces comptes sur une période de vingt-huit ans. Plusieurs experts étrangers nous ont dit que c’était mission impossible vu l’état catastrophique des comptes et vu l’acharnement des politiciens à vouloir saboter cette mission, alors qu’elle était capitale pour redonner de la confiance au citoyen et à la communauté internationale. Nous fîmes face à la vindicte, aux menaces, aux propositions de lois d’amnistie et aux mesures punitives vis-à-vis des fonctionnaires. Bref, le système ne voulait pas des comptes du Trésor reconstitués. Que dire alors d’un audit juricomptable de la Banque centrale, qui établirait des responsabilités irréfutables ?

Le Larousse dit aussi qu’il s’agit de se « porter garant des résultats devant les divers partenaires intéressés ». Notre équipe l’a fait devant les ministres, le Parlement (depuis 2008), et une communauté internationale ravie, et aussi devant nos concitoyens à travers trois conférences de presse que j’ai tenues entre 2014 et 2018. Mais les comptes financiers n’ont jamais été mis à l’ordre du jour du Conseil des ministres, et le Parlement n’a pas voté les lois de clôture, malgré les gesticulations habituelles.

Enfin, le Larousse parle de « porter un jugement sur la qualité et la rigueur de la gestion ». Or il y a en principe deux contrôles sur l’action gouvernementale : celui du peuple via le Parlement et celui de la justice, à travers la Cour des comptes. Cette dernière, minée par la politique clanique, a été gardée avec un minimum d’effectifs pendant une très longue période. Quant au Parlement, il n’est qu’un partenaire du gouvernement au lieu d’en être le censeur.

Qui veut donc d’un audit sérieux des institutions ? En cas d’alternance, les nouveaux venus cherchent à dénoncer et corriger les actes de leurs prédécesseurs. Mais là, on demande à la direction qui est en cause de se prêter de bonne foi à l’exercice. Comment imaginer que des clans aient envie de rendre publics leurs comportements frauduleux, voire franchement criminels ? Quelle raison auraient-ils de discréditer le système qui les maintient solidairement au pouvoir ?

Quelle sortie ?

Les clans prétendent vouloir un audit, tout en l’enterrant. Qui a oublié l’épisode Kroll, écarté sous prétexte d’avoir un représentant en Israël (comme tous les cabinets du monde, y compris ceux qui auditent la BDL). Mieux, on proposa de lui substituer FTI, qui a, lui, tout un bureau en Israël, mais qui avait aussi un contrat de promotion avec la BDL... En termes de conflit d’intérêts, on ne fait pas mieux, et avant qu’éclate le scandale, FTI se récusa. On fit alors mine d’avancer avec Alvarez & Marsal, après avoir perdu de précieux mois. Puis l’audit juricomptable fut torpillé, comme le furent avant lui le contrôle des capitaux et le plan gouvernemental, via les gesticulations grotesques des mêmes petits exécutants. On argua du fait que l’argent public était soumis au secret bancaire face à l’État, son propriétaire. On exigeait aussi que l’équipe d’Alvarez se trouve physiquement à la BDL pour avoir accès aux données (le secret bancaire dépendrait de la présence sur un site particulier ?), alors même qu’on lui refusait un bureau sur place. Puis les habituels parlementaires intervinrent : il faudrait une loi, assuraient-ils. Pourtant, le Parlement n’en vote pas et se fend d’une décision sans effet.

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À l’instar du texte sur le contrôle des capitaux, circulant depuis dix-huit mois entre la BDL, l’exécutif et la commission parlementaire, permettant ainsi à l’hémorragie des dépôts de continuer, un audit juricomptable sérieux ne verra pas le jour à l’ombre de ce système, malgré la loi inutile du 21 décembre. L’élite politique a rendu la crise systémique et les mesures isolées sont devenues inutiles, à supposer qu’elles soient réalisables. Et si, après épuisement des subterfuges, l’audit finissait par se faire, on sait déjà qu’il ne serait suivi d’aucune action tangible, tout comme les dossiers qui attendent toujours les sentences des organismes de contrôle.

Au lieu de perdre du temps en imaginant que ceux qui ont orchestré le pillage de tout un peuple vont subitement jouer la transparence, poussons-les vers la sortie. Cela est inévitable si on veut que le système développe des contre-pouvoirs et des garde-fous. En attendant, une question se pose : « À quoi sert encore un secret bancaire qui fut introduit au temps révolu où le non-droit régissait les pays de notre région et que nous faisions figure de havre de justice ? » Après nous en être débarrassés pour les non-résidents au cours des négociations que j’ai menées avec le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales (et contre la volonté de nos élites), le Parlement devrait arrêter de s’obstiner à conserver le secret bancaire pour les résidents, vu qu’il ne sert plus qu’à aider les délinquants à contourner les lois, à obtenir des faveurs illicites, alors que la majorité des déposants se fait déposséder avec la complicité évidente des autorités, et à ne pas s’acquitter de leurs contributions fiscales. Ce serait un début.

Par Alain BIFANI

Ancien directeur général du ministère des Finances (2000-2020). Dernier ouvrage : « Destructuration » (Saër al-Mashrek, 2020).

Le 21 décembre dernier, après bien des turpitudes, le Parlement a voté une loi afin, dit-on, de permettre l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban (BDL) et des institutions publiques. Cette loi n’était absolument pas nécessaire : le secret bancaire, derrière lequel la BDL s’était abritée pour refuser de remettre certains documents au cabinet d’audit, n’était...

commentaires (8)

Pourquoi M. Bifani ne cite aucun nom de ces mafieux criminels ? Étonnant, non ? Peut-être a t-il peur qu'on le dénonce en retour ? A méditer...

La Colère de Zeus

23 h 14, le 13 janvier 2021

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Commentaires (8)

  • Pourquoi M. Bifani ne cite aucun nom de ces mafieux criminels ? Étonnant, non ? Peut-être a t-il peur qu'on le dénonce en retour ? A méditer...

    La Colère de Zeus

    23 h 14, le 13 janvier 2021

  • je comprends dans un pays mafieux que le commun du mortel ne peut citer des corrompus (avec des fortunes colossales ) qui se sont enrichis sur le dos du peuple par peur des represailles. pourquoi les medias ne les cites pas et enquetter sur leurs fortunes et les cités ? je pense que les médias au liban ne font pas leurs travails , parceque les medias appartiennent à des clans qui doivent protéger , et ne me parler pas de libertés d expressions souvent anonyme .

    youssef barada

    19 h 14, le 13 janvier 2021

  • Mr Biffani, comment un homme hautement qualifié, honnête, et intègre a pu survivre plus de 20 ans dans ce repère de brigands, et à un poste clef ? Vous étiez certainement au courant de toutes les magouilles financières institutionnalisées, et de la dimension énorme de la corruption ambiante et par qui.... Le seul hic, c’est pourquoi et comment vous avez pu vous accommoder aussi longtemps de ce crime organisé en ayant la conscience tranquille et de vous révolter seulement récemment? On dit bien que le poste que vous occupiez était royalement rémunéré et que vous étiez le bras droit de tous les ministres des finances qui se sont succédés, donc dans le secret des Dieux: allez, on vous comprend bien, car le péché de la plupart des Libanais bien nantis mais honnêtes, était de se dire que finalement, ils n’y pouvaient rien, que le Liban a toujours été pareil et qu’il survivra à jamais tel quel, c’était le fameux miracle Libanais, et que c’était mieux de s’en accommoder et même d’en profiter.... Sauf que le réveil est brutal et que la réalité vous rattrape.....Malheureusement, trop peu, trop tard....Aucun espoir de changement sans remplacement de toute cette clique et ce ne sera pas demain la veille, malheureusement!

    Saliba Nouhad

    15 h 32, le 13 janvier 2021

  • D’où le slogan du peuple. KELLOUN YÉNI KELLOUN. LA BANDE DE VOLEURS QUI CONTINUENT À PILLER LE PAYS COMME S’IL ÉTAIT SANS PEUPLE ET QU’ILS NE POURRAIENT JAMAIS ÊTRE JUGÉS. LEUR FIN N’EST PLUS TRÈS LOIN ET C EST AU PEUPLE QU’ILS DEVRAIENT RENDRE COMPTES DE TOUS LEURS CRIMES.

    Sissi zayyat

    15 h 25, le 13 janvier 2021

  • Tous mais absolument tous : des gangsters mafieux et criminels qui ne méritent que le châtiment extrême

    Lecteur excédé par la censure

    15 h 16, le 13 janvier 2021

  • Mouais... Mr. Bifani a été quand meme a la tête du ministère de la finance et représentant de ce dernier auprès de la BdL pendant 20 ans, et il n'a rien décelé la perte colossale dans ses comptes durant toute cette période? Ils sont tous de connivence…

    Fadi Chami

    15 h 04, le 13 janvier 2021

  • si m.bifany veut faire son mea culpa, moi en bon chretien j'admet . si m.bifany au contraire veut se disculper d'avoir tu si longtemps toutes sortes d'irregularites, d'avoir consciemment omis de faire son devoir et souscrit volontairement donc a ces irregularites , ben moi je dis que non. m.bifany se gourre , m.bifany a rate le coche pour bien faire.TROP TARD m.bifany aurait ou et aurait du reagir de mille facons, entre autres demissionner de son poste pour ne pas etre-comme il l'a ete- un faux temoin-dans son cas tres complaisant.

    Gaby SIOUFI

    11 h 49, le 13 janvier 2021

  • DANS LE BORDEL LIBANAIS L,ANARCHIE Y PREVAUT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 02, le 13 janvier 2021

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