
Le porte-parole des proches des victimes de l'explosion du 4 août au port de Beyrouth, Ibrahim Hoteit. Capture d'écran vidéo
Le porte-parole des proches des victimes de l'explosion au port de Beyrouth, Ibrahim Hoteit, a demandé dans une vidéo que le juge Tarek Bitar, en charge de l'investigation, soit écarté du dossier. Cette demande aurait été vraisemblablement formulée sous la menace, selon plusieurs sources, alors que M. Hoteit et les familles des victimes ne cessent de soutenir le magistrat face aux pressions et intimidations du Hezbollah et du mouvement Amal, dont plusieurs membres qui sont députés ou ex-ministres sont poursuivis par le magistrat. Réagissant à la vidéo d'Ibrahim Hoteit, les familles des victimes se sont désolidarisées de ses propos et renouvelé leur confiance dans le juge Bitar.
Cette vidéo, qui circule sur les réseaux sociaux depuis vendredi soir, intervient après des combats miliciens meurtriers jeudi à Beyrouth, lorsqu'une manifestation du Hezbollah et d'Amal contre le juge Bitar a dérapé près du palais de Justice. L'Orient-Le Jour a tenté de joindre Ibrahim Hoteit, mais sans succès. L'AFP a toutefois réussi à le joindre. Ibrahim Hoteit a nié auprès de l'agence toute "pression" ou "intimidation" à l'origine de cette vidéo, affirmant l'avoir enregistrée "à titre personnel". "La seule pression que j'ai subie sont les incidents de jeudi et la crainte d'un glissement vers une guerre civile. J'ai donc décidé de renoncer à mon rôle de porte-parole", a-t-il affirmé.
"Les criminels des Forces libanaises"
"J'ai été contraint d'écrire un communiqué, afin de ne pas me tromper en parlant dans l'enregistrement", explique Ibrahim Hoteit dans cette vidéo, alors qu'il jette des regards furtifs à plusieurs reprises hors champs. "Tandis que la politisation de l'enquête est devenue flagrante (...) et que certains partis veulent se venger d'autres en exploitant notre cause (...), nous présentons nos condoléances aux familles des martyrs tués lors des incidents de Tayouné par les criminels des Forces libanaises et leur chef faussement surnommé Hakim", affirme M. Hoteit, dans une réthorique familière du Hezbollah et d'Amal depuis les combats dans le sud de Beyrouth. "Nous présentons également nos condoléances à nos frères au sein du Hezbollah et d'Amal et affirmons nous tenir à leurs côtés dans leur cause juste", poursuit M. Hoteit, qui habite dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. "Nous continuons d'insister à savoir ce qui s'est passé au port de Beyrouth, s'il s'agit d'une attaque ou d'une explosion accidentelle (...)", lance ensuite le porte-parole. "Nous voulons la vérité et rien que la vérité, suivie des sanctions contre tous ceux impliqués dans cette affaire. Nous refusons catégoriquement toute politisation de notre cause, et nous craignons que l'un des objectifs de cette politisation provienne des compagnies d'assurance pour des motifs financiers", explique également M. Hoteit, reprenant un argument brandi par le Hezbollah. "Au juge Bitar nous disons : ce qui se passe montre qu'il y a partialité et politisation de manière flagrante et que du sang innocent a été versé. C'est pourquoi nous te demandons de te récuser, afin de laisser la place à un autre juge d'instruction qui soit fidèle au sang que nous avons versé (...)", affirme enfin Ibrahim Hoteit, avant de tenir un discours dans lequel il défend la ''Résistance", en allusion au Hezbollah. Ibrahim Hoteit se désolidarise enfin du groupe des proches des victimes, l'accusant d'être politisé, et appelle à fonder un nouveau collectif.
Le parti chiite et ses alliés exigent le départ du juge Bitar qui, malgré les fortes pressions, veut poursuivre plusieurs responsables dans le cadre de son enquête sur l'explosion au port de Beyrouth du 4 août 2020, qui a fait plus de 200 morts. Mais les responsables politiques refusent d'être interrogés même si les autorités ont reconnu que les énormes quantités de nitrate d'ammonium qui ont explosé avaient été stockées au port pendant des années sans précaution. Jeudi, la situation a explosé dans la rue, lorsqu'une manifestation contre le juge Bitar devant le palais de Justice a Beyrouth a dégénéré en affrontements armés entre miliciens du Hezbollah et d'Amal, d'un côté, et d'autres postés dans les quartiers chrétiens adjacents, d'un autre côté. Les affrontements de jeudi ont fait sept morts et 32 blessés, dont certains sont dans un état critique et font craindre d'autres dérapages sécuritaires. La manifestation de jeudi s'est produite après que la Cour de cassation a rejeté des plaintes de députés et ex-ministres à l'encontre de M. Bitar, lui permettant de reprendre ses investigations. Ces violences viennent s'ajouter aux multiples graves crises politique, économique et sociale dans lesquelles est plongé le Liban, où la classe dirigeante, inchangée depuis des décennies est accusée de corruption, d'incompétence et d'inertie.
Les familles se désolidarisent de Hoteit
Ibrahim Hoteit a perdu son frère, Tharwat, dans le drame du 4 août. Depuis, il est le porte-parole des familles et ne cesse de réclamer justice et n'hésite pas à afficher son soutien au juge Bitar. Récemment, il avait a été physiquement agressé et menacé par des partisans du chef du Parlement, Nabih Berry, lors d'un rassemblement près de la résidence de ce dernier.
Plusieurs internautes, observateurs et proches des victimes ont mis en doute la sincérité des propos d'Ibrahim Hoteit dans la vidéo qui circule depuis vendredi soir. Parmi, eux, Karlen Hitti Karam, mère de deux filles de quatre et trois ans, et sœur de Nagib Hitti, ainsi que l’épouse de Charbel Karam, tous deux pompiers tués lors de l'explosion. "Ibrahim, nous le connaissons bien. Il ne parle pas comme cela d'habitude", raconte la jeune femme à L'Orient-Le Jour. "Nous n'arrivons pas à le joindre depuis ce matin. Le communiqué qu'il a lu n'a pas été préparé en coordination avec les familles, alors que d'habitude, aucun communiqué n'est publié sans coordination entre nous", explique-t-elle au téléphone. "Nous n'adoptons pas les propos qu'il a tenus. Nous sommes avec le juge Bitar", insiste-t-elle. "Nous ne faisons confiance à personne et nous attendons de pouvoir communiquer avec Ibrahim Hoteit pour en savoir plus. Ibrahim est comme notre frère. S'il a décidé de faire scission du collectif des familles et qu'il réclame vraiment le départ du juge Bitar, cela serait très regrettable", ajoute-t-elle.
Les familles des victimes ont dans ce contexte tenu samedi une réunion. Dans un communiqué publié par la suite, elles ont affirmé qu'elles "ont confiance dans le juge Bitar, elles et Ibrahim Hoteit qui a toujours tenu un discours dans ce sens". "Il semble que les derniers événements l'ont poussé à publier son dernier communiqué, qui nous étonne en tant que familles", poursuit le document. "La prise de position d'Ibrahim Hoteit ne nous représente pas du tout. Nous maintenons notre confiance dans le juge Bitar (...)", conclut le communiqué des familles.
"La vie d'Ibrahim Hoteit est en danger"
Selon William Noun, frère de Joe Noun, un des pompiers tués dans le drame, le porte-parole a sans aucun doute été menacé. "Les propos qu'Ibrahim Hoteit a prononcés l'ont été sous la menace. Il ne parle d'habitude pas de la sorte", a regretté le jeune homme originaire du village de Qartaba. "Mais nous ne pouvons pas lui en vouloir pour ses dernières prises de position", ajoute-t-il.
Sur Twitter, Lina Khatib, directrice du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord au think-tank britannique Chatam House, a affirmé qu'Ibrahim Hoteit "se trouvait chez lui lorsque des hommes y sont entrés et l'ont forcé à publier un enregistrement vidéo dans lequel il demande que le juge soit écarté". "La vie d'Ibrahim Hoteit est en danger", affirme-t-elle. M. Hoteit a affirmé au quotidien An-Nahar ne pas avoir été menacé pour tenir les propos enregistrés, des affirmations qui ne permettent toutefois pas d'écarter cette hypothèse.
Bitar entendu mardi par le CSM
Sur le plan judiciaire, la chaîne LBCI rapporte que le juge Bitar sera entendu mardi par le Conseil supérieur de magistrature "afin qu'il exprime son avis au sujet de l'enquête en cours". Pour sa part, le Premier ministre, Nagib Mikati, qui s'est entretenu samedi avec le ministre de la Justice, Henri Khoury, le président du Conseil supérieur de magistrature, le juge Souheil Abboud, et le procureur général près la Cour de cassation, le juge Ghassan Oueidate, a affirmé que son gouvernement "ne se mêle pas des dossiers entre les mains de la justice". En soirée, un groupe de manifestants s'est rassemblé sous le domicile du ministre de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, afin de lui demander d'appliquer les mandats d'arrêt émis par le juge Bitar contre plusieurs suspects.
Le porte-parole des proches des victimes de l'explosion au port de Beyrouth, Ibrahim Hoteit, a demandé dans une vidéo que le juge Tarek Bitar, en charge de l'investigation, soit écarté du dossier. Cette demande aurait été vraisemblablement formulée sous la menace, selon plusieurs sources, alors que M. Hoteit et les familles des victimes ne cessent de soutenir le magistrat face aux...
commentaires (28)
Quand on voit la grossierté des methodes employées, on se dit que soit le hezbollah est mediocre et grottesque en tant qu’organisation terroriste, soit completement paniqué devant les consequences de ce qui pourrait ressortir d’une enquete impartiale sur le 4 Aout.
Phenix
11 h 36, le 17 octobre 2021