Le bras de fer concernant l’enquête sur les explosions du port de Beyrouth n’en finit plus de s’envenimer et prend des allures d’affrontement politique de plus en plus marqué. Vingt-quatre heures après le deuxième dessaisissement temporaire, en moins d’un mois, du juge Tarek Bitar, une cinquantaine de militants affiliés à la thaoura ont manifesté hier devant le Palais de justice de Beyrouth, afin de soutenir le magistrat et de dénoncer les pressions politiques du Hezbollah et ses multiples tentatives pour torpiller l’enquête. Les proches des victimes, qui ont exprimé à maintes reprises leur refus de toute politisation du dossier, n’ont pas participé à ce sit-in. « Hezbollah terroriste, Iran dehors », scandaient certains manifestants en brandissant des pancartes dénonçant le parti pro-iranien. « Le Hezbollah veut mettre la main sur toutes les institutions du pays, sur le judiciaire, le secteur bancaire ou encore l’armée », lance Zeina Youssef, militante au sein du soulèvement populaire d’octobre 2019. Elle tient un écriteau sur lequel on peut lire « Nasrallah, mets fin à ton contrôle du Liban... Iran dehors... Pas d’État fort sans justice ». « Le Hezbollah est en train d’interférer au niveau politique et de protéger ceux que la justice veut interroger. Nous devons protéger le judiciaire et faire en sorte que Tarek Bitar puisse continuer à travailler », ajoute Mme Youssef.
Lundi, le juge Bitar a été la cible d’une violente diatribe de Hassan Nasrallah, qui l’a accusé de politiser l’enquête et demandé son remplacement par un magistrat « honnête et transparent ». Le lendemain, le magistrat était contraint de suspendre son enquête après de nouvelles plaintes déposées par les députés et ex-ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, devant la Cour de cassation. « Le Hezbollah veut prendre le contrôle du pays, confie Rafy, la quarantaine, qui a pris part au soulèvement populaire d’octobre 2019. Cela fait des années qu’il tente de mettre la main sur ce qui reste du Liban. Voilà pourquoi il tente d’entraver l’enquête. »
Les proches des victimes mettent en garde
Dans un communiqué publié hier, les proches des victimes, qui s’abstiennent d’entrer en confrontation directe avec les partis au pouvoir, ont mis en garde contre toute tentative de remplacer le juge Bitar. « Ce dossier doit être éloigné des dissensions partisanes, confessionnelles et communautaires. Nous demandons au Conseil des ministres de respecter la séparation des pouvoirs et de ne pas se mêler du travail du juge d’instruction. Nous mettons en garde contre toute tentative de le remplacer ou de l’intimider », indique le texte.Vingt-quatre heures après une implosion du gouvernement qui aurait été évitée de justesse sur fond de divisions profondes autour de l’enquête du juge Bitar, le Conseil des ministres qui était prévu hier après-midi a été reporté à une date ultérieure, faute d’accord.
Pour contrer le soutien affiché par les militants antipouvoir au juge Bitar, le mouvement Amal, le Hezbollah et les Marada, dont certains membres figurent parmi les accusés, ont appelé à une contre-manifestation aujourd’hui à 11h, également devant le Palais de justice de Beyrouth. Pour l’activiste Hayat Arslane, cet appel à manifester est « une tentative de mettre deux rues en confrontation ». « Nous sommes ceux qui veulent un État digne de ce nom et un État de droit tandis que ces partis-là veulent un mini-État et l’hégémonie des milices », dit-elle à L’Orient-Le Jour. Samir Skaff, activiste et journaliste, lance, pour sa part, que « tout le monde savait, à propos du nitrate d’ammonium entreposé au port de Beyrouth, que ce soit le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ou le président de la République, Michel Aoun ».
commentaires (2)
Le juge Bitar est devenu le symbole de la lutte du peuple pour une justice indépendante et la reprise du contrôle de l'Etat. Aujourd'hui, les faits nous montrent à quel point l'état de droit est inexistant et notre juge menacé. Merci au Président Aoun.
El moughtareb
09 h 51, le 14 octobre 2021