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Société - Rentrée scolaire

Salaires, transport, santé : les enseignants du public seront-ils entendus ?

S’ils n’obtiennent pas gain de cause, les enseignants du public menacent de bouder la rentrée fixée au 11 octobre, laquelle avait déjà été reportée in extremis dimanche par le ministre de l’Éducation.

Salaires, transport, santé : les enseignants du public seront-ils entendus ?

Alors que le secteur privé a déjà fait sa rentrée, l’école publique, elle, attend toujours un dénouement aux revendications salariales des enseignants. Mohamed Azakir/Reuters

Le ministre de l’Éducation, Abbas Halabi, ne chôme pas depuis le refus catégorique des enseignants du secteur public de reprendre le chemin de l’école, le 27 septembre dernier, et multiplie les rencontres avec les représentants du corps enseignant, cadrés ou contractuels, académiques ou techniques. Alors que la rentrée scolaire du secteur privé a bien eu lieu, les 39 516 enseignants du public, sur un total de 92 908 professeurs en 2020-2021, selon le Centre de recherche et de développement pédagogique (CRDP), conditionnent en effet leur retour en classe à l’amélioration nette de leurs conditions salariales et de leurs indemnités de transport. Deux exigences qui figurent en tête de leurs revendications, alors que le Liban s’enfonce dans une crise économique marquée par une dépréciation record de la livre libanaise, une hausse dramatique des prix et la quasi-levée des subventions sur l’essence.

S’ils n’obtiennent pas gain de cause, les enseignants du public menacent de bouder la rentrée fixée au 11 octobre, laquelle avait déjà été reportée in extremis dimanche par le ministre de l’Éducation. Ce délai de deux semaines devrait permettre à Abbas Halabi de trouver des solutions rapides pour pallier, ne serait-ce que partiellement, la perte du pouvoir d’achat des enseignants. Ces solutions pourraient passer par des primes mensuelles en dollars accordées par la communauté internationale (entre 60 et 90 USD), par des avances exceptionnelles plutôt qu’une hausse de salaires (décriée par le Fonds monétaire international) et par une révision des indemnités journalières de transport. Mais pour l’instant, ces propositions ne sont que des idées émises par M. Halabi lors de ses réunions en rangs dispersés avec les différents syndicats. Des réunions qui lui permettent de prendre connaissance des nombreuses revendications et de tâter le terrain quant à la résolution des grévistes à poursuivre leur mouvement.

Enregistrer les élèves pour rassurer les parents

Sauf qu’à ces tractations difficiles dans un contexte de faillite financière étatique et de réticence internationale à aider un Liban qui n’a toujours pas engagé les réformes attendues, s’invitent des facteurs de taille. D’abord les pressions politiques exercées sur les syndicats d’enseignement cadrés, connus pour être proches de partis au pouvoir, et qui font craindre un lâchage de leurs confrères contractuels, nettement défavorisés. Ensuite, la détermination du ministre Halabi, rompu à l’art du dialogue (islamo-chrétien), de convaincre ses interlocuteurs et particulièrement le personnel administratif d’accepter ne serait-ce que de lancer les inscriptions d’élèves. Un processus qui, estime-t-il, rassurerait des parents particulièrement inquiets, après deux années d’apprentissage à distance raté, sans pour autant saboter le mouvement de grève. Mais qui suscite l’inquiétude des syndicats de contractuels et les enseignants indépendants. « Le ministre Halabi tente clairement de diviser, de cloisonner le problème, observe Siham Antoun, enseignante du secondaire et syndicaliste. Preuve en est, il demande aux administratifs de procéder aux inscriptions d’élèves. » « Cette demande pourrait fort bien présager d’un compromis avec les syndicats proches du pouvoir », craint de son côté Mountaha Fawaz, représentante du syndicat des enseignants contractuels du secondaire sous toutes ses composantes.

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Chacun s’accroche pour l’instant à ses revendications. Et elles sont multiples. « Comment peut-on nous demander de nous présenter à l’école le 11 octobre pour y donner des cours, alors que nous n’avons même pas de quoi remplir nos réservoirs d’essence ?

Que nous avons faim ? » lance le président du syndicat des enseignants cadrés de l’éducation de base (primaire et complémentaire), Hussein Jawad, évoquant notamment le prix de l’essence, qui a atteint cette semaine le prix de 206 400 LL les 20 litres, et « les salaires de misère ». « Un enseignant du secondaire avec une quinzaine d’années d’expérience et un diplôme universitaire touche un salaire maximal de 3 500 000 LL, soit 233 USD pour un dollar à 15 000 LL »,

avance-t-il, à titre d’exemple.

Salaires, transports, santé

Dans ce cadre, « aucun retour à l’école sans que les trois revendications essentielles des enseignants cadrés soient accordées, à savoir une revalorisation des salaires, une hausse conséquente des indemnités de transport et une couverture de santé, vu que les hôpitaux rejettent les assurés à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) à moins qu’ils ne règlent la facture comptant », maintient Hussein Jawad. Des demandes auxquelles s’ajoute la nécessité d’augmenter les frais de fonctionnement des établissements, afin d’assurer des conditions de vie scolaire acceptables. « Dans ces circonstances exceptionnelles, où la vie de l’enseignant est devenue insupportable, l’État doit mettre la main à la pâte », martèle le président du syndicat des enseignants du secondaire, Nazih Jebbaoui. Et pas seulement pour les 16 465 enseignants cadrés, mais aussi en englobant les 17 575 contractuels et les 3 476 intermittents (embauchés pour l’éducation des élèves syriens l’après-midi, notamment), même si cette dernière revendication va à l’encontre de l’appel du FMI qui souhaiterait une contraction du nombre de fonctionnaires. « Nos revendications sont valables pour les contractuels. Et nous ne ferons pas de compromis sur leur dos », promet-il. Il n’en reste pas moins que les deux syndicalistes « étudient la possibilité » de répondre par la positive à la requête du ministre de l’Éducation d’ouvrir les inscriptions des élèves. D’autant que ce processus ne requiert que « quelques administratifs par établissement ».

Du côté des contractuels justement, les doléances sont nettement plus nombreuses, car les droits de cette catégorie d’enseignants sont totalement bafoués. Ils ne bénéficient pas d’indemnités de transport, ni de couverture médicale, ni d’aide à la scolarité de leurs enfants, ni d’affiliation à la CNSS. Ni même d’un salaire régulier, les plongeant dans une grande précarité, puisque les contractuels sont payés quelque trois fois l’an, avec de longs mois de retard. Et lorsque l’année scolaire se voit raccourcie pour une raison ou pour une autre (Covid-19, manifestations, grèves, guerre) ou que les enseignants tombent malades, les heures perdues ne leur sont pas comptabilisées. « Notre revendication la plus importante est notre droit à un contrat de travail complet, autrement dit de 30 semaines de travail minimum, conformément à la loi », souligne Nisrine Chahine, au nom du Comité des enseignants contractuels et intermittents. « Sans les indemnités de transport, la hausse du salaire horaire et le paiement mensuel des salaires, nous ne reprendrons pas les classes », assure-t-elle. « Il ne s’agit pas de revendications, mais simplement de nos droits », renchérit sa collègue Mountaha Fawaz, du syndicat des enseignants contractuels du secondaire.

« Tout nous est interdit »

Si la situation des contractuels n’a rien d’enviable, celle des intermittents est encore plus précaire. Ces enseignants, que l’Éducation nationale recrute selon ses besoins, ont été embauchés pour assurer l’éducation des petits réfugiés syriens, les après-midis. Nombre d’entre eux servent aussi de bouche-trou, le matin, dans certains établissements publics. « Non seulement nous souffrons des mêmes conditions que les contractuels, mais tout nous est interdit, nous ne pouvons ni dépasser un certain nombre d’heures d’enseignement ni surveiller les examens officiels », gronde le syndicaliste Hassan Serhan, représentant les enseignants contractuels et intermittents. Cerise sur le gâteau, pour embaucher ces enseignants et scolariser les petits réfugiés syriens, l’État reçoit des aides financières en devises de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés notamment (HCR). « L’État encaisse les aides en dollars et nous verse nos salaires en livres libanaises au taux de 1 500 LL, en retard, tous les six à sept mois », dénonce-t-il, évoquant « une humiliation permanente ».

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Pourtant, des solutions existent, au moins à court terme. Sont-elles seulement envisageables ? Il est à craindre qu’avec cette crise qui menace de se prolonger, « le fossé ne se creuse davantage » entre les écoles privées nanties, capables de payer leurs enseignants en devises fraîches, et cette école publique mal-aimée qui scolarise pourtant 384 741 élèves (sans compter les réfugiés syriens), fait remarquer Siham Antoun. « Mis à part les aides internationales, les solutions sont limitées », constate-t-elle. Il n’en reste pas moins que certaines solutions ponctuelles peuvent être privilégiées au sein des communautés éducatives et régionales, comme celle de « faire bénéficier les enseignants du transport scolaire » ou de « privilégier la solidarité ». L’enjeu est de taille, il y va de la survie de l’éducation publique.

Le ministre de l’Éducation, Abbas Halabi, ne chôme pas depuis le refus catégorique des enseignants du secteur public de reprendre le chemin de l’école, le 27 septembre dernier, et multiplie les rencontres avec les représentants du corps enseignant, cadrés ou contractuels, académiques ou techniques. Alors que la rentrée scolaire du secteur privé a bien eu lieu, les 39 516...

commentaires (1)

It is unlikely that the IMF is asking the Lebanese state to lay off teachers and school administrators who are essential workers. Instead, employees in the public sector with little productivity will unfortunately bear the brunt of these layoffs.

Mireille Kang

03 h 39, le 02 octobre 2021

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Commentaires (1)

  • It is unlikely that the IMF is asking the Lebanese state to lay off teachers and school administrators who are essential workers. Instead, employees in the public sector with little productivity will unfortunately bear the brunt of these layoffs.

    Mireille Kang

    03 h 39, le 02 octobre 2021

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