Le Parlement a accordé lundi, après une réunion qui aura duré sept heures, sa confiance au gouvernement de Nagib Mikati, formé il y a dix jours. Cette nouvelle étape devrait permettre à la nouvelle équipe ministérielle de commencer officiellement à mettre en application son programme de redressement du Liban, frappé depuis près de deux ans par une crise socio-économique et financière sans précédent, décrite par la Banque mondiale comme l'une des pires depuis la première moitié du 19e siècle.
Le cabinet a obtenu 85 voix en sa faveur, contre 15 députés qui ont décidé de ne pas lui accorder leur confiance, notamment ceux du groupe parlementaire des Forces libanaises ainsi que plusieurs députés indépendants. Le décompte montre que plus d'une dizaine de parlementaires, dont les ex-Premiers ministres Saad Hariri et Tammam Salam, se sont donc absentés de cette réunion.
Générateurs du Hezbollah
La séance a commencé vers midi par une minute de silence en mémoire des victimes de l'explosion d'une citerne sauvage d'essence, le 15 août dans le Akkar, puis par la lecture de la déclaration ministérielle, approuvée jeudi en Conseil des ministres. Le Premier ministre Nagib Mikati a été interrompu par le chef du Législatif, qui lui a demandé de ne pas lire l'intégralité du texte afin de gagner du temps, les heures de courant disponibles étant, selon lui, limitées. Dans ce contexte, le secrétariat général du Parlement a démenti que le palais de l'Unesco a été approvisionné en mazout en provenance d'Iran, en référence aux quantités qui sont arrivées la semaine dernière au Liban par des passages frontaliers illégaux après avoir été commandées par le Hezbollah. Toutefois, c'est bien le Hezbollah qui a fourni en urgence deux générateurs au palais de l'Unesco afin de rétablir le courant. C'est ce qu'a affirmé le député du parti chiite Ibrahim Moussaoui, dans une vidéo relayée sur les réseaux sociaux dans laquelle il apparaît devant les deux générateurs en question, installés dans l'arrière-cour du palais.
Avant de procéder au vote qui a commencé à 21h, un total de vingt députés de différents bords ont pris la parole devant l'Assemblée.
Hassan Fadlallah, député du Hezbollah a ainsi exhorté le gouvernement à "lancer rapidement des projets cruciaux" pour faire face à la crise. "Le gouvernement a hérité d'un lourd fardeau et va devoir prendre des mesures rapides pour mettre un terme à l'effondrement", a déclaré M. Fadlallah en soulignant qu'il avait "une chance d'y parvenir" malgré le "court délai" séparant sa formation de la tenue prochaine des élections législatives, au printemps 2022. "Lancez rapidement des projets cruciaux, afin de provoquer un choc positif et de présenter aux pays qui veulent aider le Liban une meilleure image" Concernant les négociations attendues avec le FMI, le député du Hezbollah a appelé à ce qu'elles aient lieu "en accord entre les deux parties" et invité le cabinet à ne pas accepter de "recette toute prête".
Sethrida Geagea, députée des Forces libanaises (FL) dirigées par son mari Samir Geagea, a annoncé de son côté que sa formation n'accordait pas la confiance au gouvernement de Nagib Mikati, et a appelé le cabinet à organiser les élections législatives prévues en 2022, afin de "changer la majorité au pouvoir qui a déjà prouvé son échec et acheminé (le pays) vers une série de crises". "Ce qui nous importe, ce sont les législatives, parce qu'elles constituent la meilleure chance pour changer la majorité au pouvoir, qui a déjà prouvé son échec et nous a acheminés vers une série de crises", a souligné Mme Geagea. La députée a, en effet, appelé "le gouvernement des missions difficiles", "de la dernière chance" et qui est chargé de "l'arrêt de l'effondrement" dans le pays, à veiller sur l'organisation des législatives prévues en 2022.
Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), a quant à lui déclaré que son groupe parlementaire accordait sa confiance au cabinet, mais que celle-ci était conditionnée à "la mise en œuvre des réformes" attendues pour redresser le pays, et principalement sur cinq dossiers différents. M. Bassil a souligné qu'il accorderait sa confiance parce que le cabinet a été formé "conformément aux usages", dans le respect du principe de "partenariat" entre le chef de l'Etat, Michel Aoun, et le Premier ministre, et de l'équilibre entre les communautés. Le député de Batroun a précisé, à ce propos, que les priorités établies par son bloc sont divisées en cinq grands pôles, à savoir : le devenir des fonds des déposants, bloqués dans les banques depuis deux ans, la sécurité sociale, les réformes financières, l'enquête sur les explosions au port de Beyrouth et les élections législatives prévues au printemps prochain. Son allocution a provoqué une altercation avec le vice-président de la Chambre, Elie Ferzli, lorsqu'il a accusé "la majorité du Parlement de protéger des personnes ayant effectué des transferts à l'étranger", et notamment des députés. M. Ferzli a appelé le chef du CPL à nommer les députés impliqués, sans quoi "il porte son accusation à l'encontre de tous les parlementaires". Le chef du Législatif, Nabih Berry, est intervenu pour mettre fin à cette altercation et a demandé à M. Bassil de lui fournir une liste avec les noms des personnes concernées.
Bahia Hariri, députée du Courant du Futur, a de son côté déclaré que son groupe, dirigé par son neveu l'ex-Premier ministre Saad Hariri, accorde sa confiance au gouvernement afin de "sauver le Liban". Après avoir rappelé les dernières statistiques émises par les instances internationales concernant le taux de pauvreté au Liban, la parlementaire de Saïda a déclaré que le Liban est "face à des échéances nationales, cruciales et déterminantes, et se trouve devant des choix compliqués". Elle a souligné que, dans cette situation "nous sommes tous responsables de mener le pays dans la bonne direction".
Hadi Abou el-Hosn, député de Baabda affilié au groupe parlementaire du leader druze Walid Joumblatt, a annoncé que cette formation accorde sa confiance au gouvernement dans la mesure où il s'agit d'une opportunité de redresser le pays. "Nous ne voulons pas distiller une ambiance négative. Mais rien ne passera sans reddition de comptes", a prévenu le député. Il a ensuite annoncé que son parti allait accorder "une chance au gouvernement". "Le plus important c'est de recouvrer la confiance du peuple et la souveraineté", a-t-il ajouté.
Inaya Ezzeddine, députée du mouvement Amal, a, elle, déclaré que la nouvelle équipe représentait la "dernière lueur d'espoir avant l'effondrement" du pays, qui croule sous les crises depuis près de deux ans. Elle a estimé que, pour faire face à la crise économique, des "mesures radicales" sont nécessaires, et souligné que "le fait que les déposants puissent récupérer leurs fonds dans les banques est le critère principal sur lequel les gens jugeront l'action du cabinet". Les déposants libanais subissent depuis près de deux ans des restrictions drastiques et illégales en l'absence d'une loi sur le contrôle des capitaux, sur leurs fonds en banques, en devises comme en livres libanaises. "Nous sommes convaincus qu'il faut donner à la nouvelle équipe toutes les chances possibles de se mettre au travail, et nous lui tendons donc la main, afin que nous puissions travailler ensemble et suivre l'exécution" des projets de réformes, a-t-elle ajouté.
Jamil Sayyed, député chiite indépendant, a estimé que le cabinet n'est pas, comme l'avait exprimé M. Mikati, "né des entrailles des souffrances des gens, mais plutôt de la politique du partage des quotes-parts" traditionnelle. "Si ce gouvernement était vraiment né de la souffrance du peuple, il aurait vu le jour dès la désignation de Moustapha Adib et de Saad Hariri", nommés Premiers ministres au cours des treize derniers mois mais qui ont échoué à former une équipe face aux revendications des différents blocs. S'adressant à Nagib Mikati, M. Sayyed a estimé que celui-ci était "chanceux parce qu'il arrive toujours avant ou après un désastre", espérant que cette "expérience portera de nouveau ses fruits" avec le nouveau cabinet. Il a annoncé, par ailleurs, qu'il n'accordait sa confiance que si le chef du gouvernement s'excusait officiellement d'avoir, en 2005, autorisé son incarcération et celle d'autres hauts gradés, dans le cadre de l'enquête sur l'assassinat de l'ancien président du Conseil, Rafic Hariri, tué dans un attentat à la camionnette piégée le 14 février 2005. Jamil el-Sayyed, alors directeur de la Sûreté générale, était resté incarcéré de 2005 à 2009.
Oussama Saad , député de Saïda, a fait savoir qu'il n'accordait pas sa confiance au gouvernement. Premier à intervenir lors de la séance qui s'est poursuivie à 17h30, il a critiqué la déclaration ministérielle, lui reprochant de "ne pas plancher sur l'argent que les Libanais ont perdu en banque, et les crises qu'ils subissent dans les circonstances actuelles". "Ce gouvernement, de par sa composition, n'a rien à voir avec les aspirations du peuple", a déclaré l'élu. Selon lui, "la déclaration ministérielle sollicite l'approbation des pays étrangers, et non des Libanais, et ne présente aucune vision pour redresser le pays".
Pour sa part, Georges Adwan, député FL du Chouf, a critiqué la réaction de M. Mikati concernant l'importation de fuel iranien par le Hezbollah via des passages frontaliers illégaux avec la Syrie. "Il ne suffit pas que vous vous disiez attristé", a lancé le député du Chouf à l'adresse du Premier ministre, avant d'ajouter: "Vous devrez réunir votre cabinet et vous entendre avec les ministres proches du Hezbollah autour d'une solution, pour que la souveraineté ne soit plus violée une nouvelle fois". Le Premier ministre est le seul responsable à s'être exprimé sur cette question, lors d'un entretien sur la chaîne CNN au cours duquel il s'est dit "attristé" de ces opérations, estimant toutefois que le pays ne sera pas soumis à des sanctions, l'exécutif n'ayant pas été impliqué dans les importations. La présidence de la République n'a, elle, pas commenté cette affaire.
Le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, a annoncé que sa formation allait accorder la confiance au gouvernement, avant de défendre l'importation du fuel iranien à l'initiative du parti, estimant qu'il s'agit d'une "décision souveraine qui a mis au pied du mur l'administration américaine qui voulait sanctionner les Libanais pour leur attachement à la résistance contre Israël". "L'entente des Libanais autour du gouvernement présidé par Nagib Mikati, est un premier pas sur la voie du sauvetage. Même si M. Mikati est apparu, il y a quelques jours sur la chaîne CNN, attristé", a ajouté le député du Hezbollah.
A l'issue des interventions des députés, le Premier ministre Nagib Mikati, a pris la parole en soirée. L'occasion de dresser une nouvelle fois les grandes lignes de l'action de son équipe. "Il n'y aura pas d'aide à caractère électoral", a-t-il promis, dans une réponse aux critiques formulées par ses détracteurs, qui craignent que la distribution de la carte d'approvisionnement aux familles les plus pauvres ne prenne un tour électoral à quelques mois des législatives de mai 2022.
M. Mikati s'est en outre engagé à suivre de près l'enquête concernant la double-explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, ainsi que l’indemnisation des familles des victimes et des personnes affectées par le drame ainsi que la reconstruction du port. Il a aussi promis qu'une autre enquête portant sur l'explosion d'une citerne sauvage de carburant à Tleil dans le Akkar, qui avait provoqué la mort d'une trentaine de personnes, sera mise sur les rails.
Nagib Mikati a en outre réitéré sa détermination à engager les négociations avec le FMI, passage obligé pour obtenir une aide financière internationale cruciale pour sortir le pays de la crise.
commentaires (22)
Je ne m'y attendais pas, quelle surprise !!!
Zeidan
22 h 43, le 21 septembre 2021