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Nos Lecteurs ont la Parole

Libanais... vous n’avez plus d’État

Une promesse de liberté faite par un dictateur est similaire à un chèque sans provision et l’espoir de liberté que caresse un rêveur est similaire à une inflation monétaire.

Ernest Hemingway

Même avant son indépendance, le Liban passait par une période normale et aisée, devenant après 1943 un îlot de liberté, de diversification et de culture où tous les Arabes venaient pour le tourisme et l’éducation ! Cette période a pris fin lorsque le général Émile Boustany a signé l’accord du Caire et l’a présenté au chef de l’État de l’époque, Charles Hélou, pour qu’il le signe. Ce dernier lui demanda d’attendre afin de prendre l’avis de Fouad Boutros qui lui dit : « Si tu ne le signes pas aujourd’hui, une guerre civile éclatera. Mais, si tu le signes à la fin de ton mandat, la guerre civile commencera à la fin de ton mandat. »

C’est ainsi que Charles Hélou signa l’accord du Caire. Le chéhabisme perdit les élections à une seule voix après la fin du mandat de Charles Hélou, qui était un mandat chéhabiste ! Avec la venue de Sleiman Frangié de Zghorta à la tête de l’État, la voie vers la guerre civile s’est dessinée. Parce que le chéhabisme l’aurait retardée par sa résistance, alors que Zghorta a accéléré l’arrivée de la guerre civile qui éclata avec le « bus » de Aïn el-Remmaneh, mais qui se préparait avec l’élection de Sleiman Frangié, à une seule voix de différence !

Suite au massacre relatif au « bus » de Aïn el-Remmaneh, le Liban perdit son indépendance et la guerre civile commença, avec la mini-tutelle de Yasser Arafat et la tutelle totale de Hafez el-Assad. Il y avait un conflit entre les deux tutelles, et les efforts politiques arabes et internationaux déployés pour éteindre les premières étincelles de la guerre étaient colossaux. Mais les manœuvres ont fini par rejeter sur Sleiman Frangié la responsabilité de la guerre. Le jour où Élias Sarkis prit les rênes du pouvoir, le Liban perdit son indépendance en faveur de la tutelle totale de Hafez el-Assad et de la mini-tutelle de Yasser Arafat ! La guerre civile était à la libanaise : entre les musulmans et les chrétiens, mais aussi entre la gauche et la droite. Cette guerre entre la droite et la gauche, qui est en réalité une guerre entre les politiciens, s’est dit révolution, telle celle qui a éclaté contre Michel Aoun le 17 octobre 2019.

Au Liban, toutes les guerres civiles sont révolutionnaires et toutes les révolutions sont des guerres civiles ! Ce qui nous fait penser au concept de la révolution et à la conversation qui s’est déroulée entre Gamal Abdel Nasser et Che Guevara !

Ce dernier était en visite au Caire et les deux hommes eurent une longue conversation sur la révolution. Après les courtoisies d’usage, la première question que Che Guevara posa à Abdel Nasser fut : « Combien de réfugiés égyptiens ont été obligés de quitter le pays ? » Abdel Nasser répondit que leur nombre était négligeable vu que la majorité était des « égyptiens blancs », c’est-à-dire des personnes ayant des nationalités étrangères devenues égyptiennes en raison de leur résidence en Égypte. Cette réponse ne plut pas à Che Guevara qui commenta en disant : « Cela reflète le fait que votre révolution n’avait pas tant d’importance. Je mesure l’ampleur de la transformation sociale par le nombre de personnes qui en sont affectées de sorte qu’elles sentent qu’elles n’ont plus de place dans la nouvelle société. » Abdel Nasser lui expliqua alors que ce qu’il fait est « l’élimination des privilèges d’une certaine classe, non l’élimination des membres de cette classe », ajoutant qu’il veut fragmenter le pouvoir des féodaux sans pour autant priver les membres de cette classe féodale de devenir des membres actifs dans la nouvelle société, s’ils le veulent. « C’est un concept civilisé qui laisse les gens aimer la révolution ! »

L’effondrement actuel du Liban, avec sa classe politique issue de la tutelle et de ses services secrets, pose plusieurs questions :

1- La Constitution, dans sa rédaction de 1943, l’accord de Taëf et l’Exhortation apostolique postsynodale du Vatican garantissent-ils la continuité du Liban ?

2- Ce modus vivendi est-il une vérité ou une fiction ? La coexistence des Libanais en 1958 et lors de la guerre civile permettra-t-elle la continuité du Liban ?

3- A-t-il été possible pour le Liban, suite à l’assassinat de Rafic Hariri et la sortie de l’armée syrienne, de trouver une formule consensuelle après l’apparition des deux camps du « 8 mars » et du « 14 mars » ?

4- Le Liban est-il capable et réussira-t-il à choisir un président de la République et des Premiers ministres, ou à procéder aux nominations aux postes administratifs ? Est-ce que ce choix après la tutelle ou par la force de cette dernière permettra la continuité du Liban, ou est-ce la tutelle et ses services secrets qui ont mené le Liban à cet effondrement ?

5- La décision de la guerre ou de la paix sur la frontière sud est-elle une décision souveraine ou est-ce une décision entre les mains du mini-État du Hezbollah, comme elle l’était autrefois entre les mains du mini-État palestinien ? Et en tout cas, est-elle une décision prise sous la tutelle syro-iranienne ?

6- Les stratégies de la sécurité nationale libanaise et de la sécurité intérieure du pays sont-elles mises au point par ses services nationaux ou dépendent-elles d’autres forces de sécurité et de services secrets ?

7- Le projet de l’État de « wilayat al-fakih », auquel sayyed Hassan Nasrallah a déclaré son allégeance, est-il applicable sur tout le territoire libanais ?

8- Serait-il possible de trouver une formule où les allégeances politiques sunnites conviennent au Golfe arabe, les allégeances politiques chiites conviennent à l’Iran et les allégeances politiques chrétiennes conviennent à la France et aux États-Unis ?

9- Après l’effondrement financier ainsi que l’effondrement du système bancaire, cette économie nationale aurait-elle un quelconque avenir, surtout avec la levée imminente des subventions accordées aux denrées, aux médicaments, aux carburants et aux services ?

10- Le club politique contrôlant le système de quota relatif à la corruption peut-il continuer de gérer les affaires du pays et gagner la confiance du peuple ? (À noter les résultats des élections aux universités, syndicats, unions et ordres).

11- La révolution populaire peut-elle changer le contrôle de la classe politique ?

12- L’armée libanaise peut-elle s’emparer du pouvoir et gérer les affaires du pays sans qu’elle ne soit divisée selon les confessions et sans qu’elle n’entre en collision avec le Hezbollah, alors qu’elle souffre de la politisation des nominations ?

Les réponses aux questions précitées montrent que le Liban d’aujourd’hui n’a aucune continuité et ne peut être réformé, et que tout va de mal en pis. Le Liban d’aujourd’hui n’est pas le Liban que les Français voulaient en 1943, ni le Liban que les Saoudiens voulaient au Taëf, ni le Liban que les Américains voulaient lors de l’entrée des marines, ni le Liban que les Israéliens voulaient lors de toutes leurs opérations militaires, mais le plus important c’est qu’il n’est pas le Liban que veut son peuple. Le Liban d’aujourd’hui ne plaît ni aux décideurs locaux, ni à ses appuis régionaux, ni à ceux qui y ont des intérêts internationaux. Il n’y a aucun vrai espoir, que ce soit à Paris, Washington, Berlin, Londres, Damas ou Téhéran, de voir la continuité ou la viabilité de la formule actuelle. Il se peut que l’effondrement actuel soit bénéfique, temporairement, pour certains acteurs nationaux et régionaux, mais tout le monde est conscient de l’échec du projet d’État : la chute du système est inévitable, la désintégration des institutions étatiques est une réalité, et la probabilité de la continuité économique et financière est nulle, comme le confirment les chiffres. Donc, nous sommes devant des scénarios qui mènent tous à la chute de l’État, à la désintégration de ses institutions, à un chaos et à un effondrement total.

Si la réponse à toutes les questions fondamentales précitées est négative, nous serons alors devant une réalité amère dont il nous serait impossible d’échapper à ses conséquences et de modifier ses répercussions. En bref, nous faisons face à un État désintégré, gouverné par une classe politique incompétente et corrompue dépourvue de la volonté patriotique, sous un parapluie régional conspirant contre la souveraineté du Liban dont les acteurs ont décidé de donner le Liban en échange de leurs propres intérêts.

Cette situation nous rappelle l’histoire de l’Espagne avant Franco ! Le vingtième siècle approchait et, contrairement à ce qui s’était passé, ce siècle aurait pu être le siècle de la liberté, de l’indépendance, de la prospérité et de l’entente. Comme tous les pays, l’Espagne avait les mêmes rêves. La force des ouvriers apparut comme un acteur principal et influant dans la vie politique. La droite apparut représentée par les hommes d’affaires, les féodaux et les religieux. Les sages ont intervenu, établissant l’union de « La défense de la République » qui a publié une déclaration commençant par une expression qui fut constamment répétée par les Espagnols et qui est « Espagnols… vous n’avez plus d’État ». Cette expression résume parfaitement la situation actuelle au Liban, mais ne fut dite par aucun des députés qui ont démissionné, plus particulièrement les indépendants. L’Espagne a passé aussi par ce qui se passe actuellement au Liban : ralliement de jeunes cultivés et d’officiers qui ont publié à leur tour une déclaration qu’ils ont commencée en disant : « Lorsque nous avons demandé la justice, ils nous ont pris la liberté. Lorsque nous avons demandé la liberté, nous n’avons reçu qu’un cirque parlementaire pitoyable. » C’est exactement ce qui se passe au Liban ! Des voix s’élevèrent disant ce que disent les Libanais ces jours-ci : « Ne nous leurrons pas. Tout pays peut vivre sous un régime monarchiste, républicain, parlementaire, présidentiel, communiste ou fasciste, mais aucun pays ne peut vivre dans le chaos. Nous assistons aujourd’hui aux obsèques de la démocratie. » La démocratie a besoin de démocrates, le système parlementaire a besoin de parlementaires et le Liban a besoin de Libanais ! Nous assistons aux obsèques de l’État libanais. Il est dommage que le Liban soit divisé sur lui-même et que la bande d’Ali Baba le gouverne, et ce à un moment où les pays arabes sont divisés entre partisans de l’Iran d’une part et partisans de l’Arabie saoudite d’autre part ! Quant aux révolutionnaires, ils sont partagés en plusieurs groupes qui ont des points de vue, des idées et des histoires tout à fait différents. C’est un mélange intellectuel et idéologique qui a émergé depuis qu’a débuté la tutelle syrienne au temps du « bus » de Aïn el-Remmaneh. Pourquoi cette incapacité chez les personnes cultivées ? Pourquoi la révolution est-elle morte après avoir disparu ? Pourquoi les personnes cultivées se sont suicidées ? Ce mélange intellectuel qui paralyse le mouvement du peuple nous rappelle les événements du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle. Les idées et idéologies de l’Europe ne se sont-elles pas infiltrées dans un monde arabe qui plongeait dans l’ignorance et qui cherchait un nouveau cadre pour le protéger après que l’idée et l’État du califat en Istanbul se soient effondrés ? En fait, nous assistons aux « obsèques du Liban », aux « obsèques de l’arabité », aux « obsèques de la liberté », aux « obsèques de la culture » et aux « obsèques des rêves ». Libanais, il est temps d’avouer que « nous n’avons plus d’État ».

La bande d’Ali Baba nous gouverne en toute tranquillité ! Il est temps d’établir un État. Est-il possible que l’État libanais ne sache toujours pas qui sont les coupables de l’explosion destructrice au port de Beyrouth du 4 août 2020 ? Un État fictif qui prétend avoir accompli 97 % des œuvres de l’État. Libanais, ils ont volé votre État et nous assistons à ses obsèques, dans l’attente de vrais hommes qui pendront Ali Baba et restitueront à l’État ses fonctions ! Et surtout méfiez-vous des promesses. Hemingway a bien pu exprimer la déception de l’Espagne en disant qu’« une promesse de liberté faite par un dictateur est similaire à un chèque sans provision et l’espoir de liberté que caresse un rêveur est similaire à une inflation monétaire ».

Abdel Hamid EL-AHDAB

Avocat

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Une promesse de liberté faite par un dictateur est similaire à un chèque sans provision et l’espoir de liberté que caresse un rêveur est similaire à une inflation monétaire.Ernest Hemingway Même avant son indépendance, le Liban passait par une période normale et aisée, devenant après 1943 un îlot de liberté, de diversification et de culture où tous les Arabes venaient pour le...

commentaires (1)

- Le club politique contrôlant le système de quota relatif à la corruption peut-il continuer de gérer les affaires du pays et gagner la confiance du peuple ? QUI DES 2 CONTROLE L'AUTRE, EST CE LES DIVERS CARTELS, BANQUIERS INCLUS OU EST CE LE CLUB POLITIQUE ? YAANI AVEC LES CHANGEMENTS DRASTIQUES SURVENUS AU MO, TELS L'INFLUENCE MARQUEE DES KHOMEYNISTES ,L'ACCORD ABRAHAM PAYS ARABE/ISRAEL,A SUPPOSER L'ELECTION DE 30 MPs PATRIOTIQUES SUR 128... SERAIT CE ASSEZ POUR UN CHAMBOULEMENT REEL CHEZ NOUS ? JE SUIS DE L'AVIS-PESSIMISTE - DE Mr.A H AHDAB .

Gaby SIOUFI

09 h 59, le 18 septembre 2021

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  • - Le club politique contrôlant le système de quota relatif à la corruption peut-il continuer de gérer les affaires du pays et gagner la confiance du peuple ? QUI DES 2 CONTROLE L'AUTRE, EST CE LES DIVERS CARTELS, BANQUIERS INCLUS OU EST CE LE CLUB POLITIQUE ? YAANI AVEC LES CHANGEMENTS DRASTIQUES SURVENUS AU MO, TELS L'INFLUENCE MARQUEE DES KHOMEYNISTES ,L'ACCORD ABRAHAM PAYS ARABE/ISRAEL,A SUPPOSER L'ELECTION DE 30 MPs PATRIOTIQUES SUR 128... SERAIT CE ASSEZ POUR UN CHAMBOULEMENT REEL CHEZ NOUS ? JE SUIS DE L'AVIS-PESSIMISTE - DE Mr.A H AHDAB .

    Gaby SIOUFI

    09 h 59, le 18 septembre 2021

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