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Culture - Musique

Beyrouth, Boston, Mashrou’ Leila et Yo-Yo Ma...

Après l’hommage poignant qu’il avait consacré à Mashrou’ Leila lors de son concert à Byblos en août 2019, en gage de soutien face à la vague d’attaques que le groupe avait subie, la légende du violoncelle Yo-Yo Ma a invité les musiciens libanais à collaborer sur son album « Notes from the future » avec « Ha’aoud » (I will return)...

Beyrouth, Boston, Mashrou’ Leila et Yo-Yo Ma...

Dans un studio à Boston, Yo-Yo Ma en compagnie des Mashrou’ Leila et du rappeur Narcy pour une séance d’enregistrement du morceau « Ha’aoud ». Photos Carl Gergès

C’est toujours avec autant d’amertume, avec un dégoût intact, que l’on se souvient, en voulant l’oublier, de « l’incident » du groupe Mashrou’ Leila de l’été 2019. La déformation des paroles de l’une de leurs chansons, Djinn, jugée carrément démoniaque par un certain ultraconservatisme chrétien nauséabond, puis la « découverte », sur le compte Facebook de Hamed Sinno (chanteur du groupe), d’une photo de Madonna en icône byzantine avaient provoqué un tollé dont on ne comprend toujours pas les motifs et les raisons. Montée de toutes pièces, cette levée de boucliers conjointe du clergé chrétien et du Centre catholique d’information s’était aussitôt transformée en une chasse aux sorcières contre un groupe qu’il conviendrait mieux de comparer à de bonnes fées qui se sont sans cesse penchées sur le berceau de la musique underground libanaise et l’ont portée à un niveau qu’elle n’avait jamais connu auparavant. Déferlement d’insultes, lynchage, procès, harcèlement, intimidations, menaces de morts, sous cette pression d’une violence sans nom, le concert prévu le 9 août 2019 au Festival de Byblos avait été annulé. Deux mois plus tard, la révolution d’octobre plantait un premier clou dans le cercueil d’un establishment politique corrompu et aux pratiques proches de celles d’un État policier. Difficile de dissocier ces deux événements. Car en y repensant aujourd’hui, le scandale du concert de Mashrou’ Leila était indubitablement « une révolution avant la révolution », comme le constate Carl Gergès, batteur du groupe.


Dans un studio à Boston, Yo-Yo Ma en compagnie des Mashrou’ Leila et du rappeur Narcy pour une séance d’enregistrement du morceau « Ha’aoud ». Photos Carl Gergès

L’hommage de Byblos

Depuis cet épisode, à part peut-être une collaboration avec Mika sur Promise Land, les membres de Mashrou’ Leila s’étaient retirés de la scène libanaise, chacun dans son coin du globe, pour tenter de se remettre de cette attaque honteuse et traumatisante. Pourtant, « l’idée de départ était que l’on se retrouve à Beyrouth l’été 2019 pour, d’une part, le concert de Byblos qui était tellement important pour nous puisque c’est sur cette scène que nous nous sommes produits pour la première fois en 2010 et cette scène qui nous avait propulsé en tant que groupe. Nous devons cela à la confiance de Nagi Baz. Nous devions y fêter nos 10 ans de carrière. D’autre part, nous voulions profiter de ces retrouvailles pour travailler notre prochain opus. Mais tout est parti en fumée », confie Carl Gergès. Cela dit, Nagi Baz, directeur artistique du festival en question, insiste pour que ce dernier assiste au concert de Yo-Yo Ma qui avait eu vent de la polémique et tenait à rencontrer les membres du groupe pour leur apporter son support.

Pour mémoire

Yo-Yo Ma aux Libanais : J’admire votre esprit et votre courage

Carl Gergès finit par accepter et se rend donc à Byblos le 24 août 2019, où il découvre à l’entrée de la ville son portrait saccagé, les visages des membres de Mashrou’ Leila griffonnés de cornes de diables, menacés de mort. « C’était comme vivre un film d’horreur en réalité. C’était atroce. » Là, il assiste, les poils hérissés, à l’hommage du violoncelliste au groupe, leur titre Tayf caressé par ses cordes veloutées. Impossible d’oublier ce moment. Leur rencontre se fait dans les coulisses après le concert. « Yo-Yo Ma m’a proposé et à Firas Abou Fakher, notre guitariste qui était également au Liban à ce moment, de collaborer sur un titre. Cette sommité de l’art connaissait tout de notre parcours, notre musique et voulait absolument nous encourager comme il le pouvait. C’était très émouvant, raconte Carl Gergès. Nous lui avons donc envoyé l’une des maquettes de notre futur album, le morceau numéro 6, qui était à l’époque sans titre encore, mais où l’on sentait qu’il manquait quelque chose. Nous nous sommes dit qu’avec la touche magique de Yo-Yo Ma, cette chanson pourrait aller ailleurs. »


Dans un studio à Boston, Yo-Yo Ma en compagnie des Mashrou’ Leila et du rappeur Narcy pour une séance d’enregistrement du morceau « Ha’aoud ». Photos Carl Gergès

« Je suis votre instrument »

Aussitôt, le violoncelliste américain d’origine chinoise se prête au jeu. Il se met à envoyer des sortes de brouillons musicaux, à travers lesquels il trame le « morceau numéro 6 » de compositions au violoncelle. « À chaque fois qu’il partageait une mélodie, il nous disait : “Utilisez-moi comme vous le voudrez. Je suis votre instrument”. Qu’un génie pareil soit tellement humble et tellement généreux, c’était une leçon », se souvient le batteur de Mashrou’ Leila. Au gré de ces va-et-vient, le morceau numéro 6 prend forme et devient Ha’aoud (I will return). Un rendez-vous est fixé à Boston, quelques mois plus tard, où le groupe libanais se produisait pour un concert et où le violoncelliste préparait sa compilation Notes for the future. « Nous nous sommes retrouvés en studio avec lui, c’était un moment surréel, à regarder Yo-Yo Ma mettre sa touche magique sur l’une de nos créations. Il était à l’écoute, dans le partage. De son côté, le rappeur Narcy, un ami du groupe, a enregistré son slam.

Pour mémoire

Carl Gerges : une batterie de talents

Le mélange entre le violoncelle de Yo-Yo Ma, notre musique et le parlé de Narcy donnait quelque chose d’équilibré et d’inédit », explique Gergès. Alors, oui, on pourrait longtemps parler du côté technique de la chanson. De la voix écorchée, presque sanguine de Hamed Sinno, tantôt secouée par le beat, le cœur battant des musiciens du groupe, tantôt traversée par les cordes voluptueuses de Yo-Yo Ma et tantôt électrisée par le slam de Narcy. On pourrait parler de cet équilibre auquel Carl Gergès fait référence, et du côté un peu ovni de ce titre, qui refuse de s’enfermer dans un carcan musical, et préfère plutôt brouiller les frontières entre le classique, le rap, la pop, l’électro et peut-être même le tarab. On pourrait également souligner le fait que Yo-Yo Ma a choisi ce single pour lancer son album. Mais, aujourd’hui que le Liban se vide de toutes ces belles personnes qui l’ont construit à la force de leur talent, on ne peut que s’arrêter sur le titre de ce morceau. Ha’aoud, je reviendrai, répète Hamed Sinno, porté par les instruments de ses acolytes du groupe, par les cordes de Yo-Yo Ma et le rap de Narcy. Ce titre en est la promesse. La promesse d’un éternel retour.


« Notes from the Future », une compilation de Yo-Yo Ma avec une collaboration du groupe libanais Mashrou’ Leila. Photo DR

Yo-Yo Ma parmi les lauréats du 32e « Nobel des arts »

Le violoncelliste virtuose Yo-Yo Ma fait partie des lauréats du 32e Praemium Imperiale, considéré comme le « Nobel des arts » qui récompense aussi cette année le photographe franco-brésilien Sebastiao Salgado, célèbre pour ses intenses photos en noir et blanc. Considéré comme l’un des plus grands de son temps, le musicien américain, né de parents chinois établis à Paris, a enregistré plus d’une centaine d’albums et a remporté de nombreuses récompenses, dont 18 Grammy Awards au cours de sa carrière.

Ce prix prestigieux, dont le palmarès a été annoncé mardi à Paris, a été créé en 1988 par la Japan Art Association. Chaque lauréat reçoit la somme de 15 millions de yens (environ 115 000 euros), traditionnellement en octobre lors d’une cérémonie à Tokyo de la part du prince Hitachi, frère cadet de l’empereur Akihito.

En raison de la crise sanitaire, les cérémonies n’auront pas lieu cette année.

Sebastiao Salgado, 77 ans, a été distingué dans la catégorie peinture, pour ses images où il rend compte avec un grand sens esthétique de la condition des plus pauvres et de la dégradation de l’environnement.

Son dernier projet, Amazonia, est une exploration de sept années de l’écosystème amazonien et de la vie de ses populations autochtones.

Ont été également distingués le sculpteur américain James Turrell, qui utilise l’espace et la lumière comme moyens d’expression ainsi que l’architecte australien Glenn Murcutt, connu pour ses maisons modernistes s’intégrant dans leur environnement rural (Pritzker 2002).

Source : AFP


C’est toujours avec autant d’amertume, avec un dégoût intact, que l’on se souvient, en voulant l’oublier, de « l’incident » du groupe Mashrou’ Leila de l’été 2019. La déformation des paroles de l’une de leurs chansons, Djinn, jugée carrément démoniaque par un certain ultraconservatisme chrétien nauséabond, puis la « découverte », sur le compte...

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