Confrontée à d’innombrables tempêtes, économique, sociale et sanitaire, qui la secouent depuis plusieurs mois, Beyrouth tâchait de tenir le coup. Malgré tout. Pourtant, le pire était encore à venir. Il vint mardi 4 août, avec la double explosion au port de Beyrouth. Un drame qui laisse plus de 175 morts, des milliers de blessés, une ville dévastée, des immeubles éventrés, des rescapés traumatisés. Après l’apocalypse, qui venait d’emporter les derniers fétus d’un Liban en lambeaux, nous avons assisté à un élan de solidarité, émouvant et porteur d’espoir, venant des quatre coins du monde, en faveur de Beyrouth sinistrée.
Contacté par L’OLJ, le violoncelliste star, Yo-Yo Ma, qui s’était produit au Festival de Byblos l’été dernier, a livré un message poignant au peuple libanais avant de s’abandonner à la musique qui, selon Victor Hugo, « exprime ce qui ne peut être dit et sur quoi il est impossible de rester silencieux ». « À mes amis libanais à Beyrouth, je suis plein d’admiration pour votre esprit et votre courage face à ce qui s’est passé et qui est abominable. Encore une tragédie, en plus de tout ce que vous avez subi », déclare le violoncelliste américain d’origine chinoise qui avait été nommé en 2006 ambassadeur de la paix des Nations unies. C’est en dédiant la sarabande de la Cinquième suite en do mineur de Jean-Sébastien Bach à tout « individu qui a été blessé ou qui a perdu un membre de la famille ou une maison », qu’il ajoute : « Je suis tellement reconnaissant que vous ayez cet esprit et ce courage parce que c’est finalement votre esprit qui donne du courage à tout le monde qui vous regarde et vous soutient durant ce temps-là. Je voudrais aussi jouer pour vous un petit morceau de musique (qui reflète) les sentiments que je ressens (…) à la suite de cette tragédie. » Le prodige a ensuite laissé les sanglots de son violoncelle dénoncer ce que les mots ne peuvent exprimer. Avec la dextérité qu’on lui connaît, Yo-Yo Ma interprète, avec brio, cet extrait de la suite la plus sombre des six composées par le cantor de Leipzig pour violoncelle. Clairement ému et dans un état de transe absolu, fronçant les sourcils de temps à autre, il fait jaillir toute une hémorragie de sentiments mettant en relief le caractère éthéré de l’onirique sarabande dont la note finale s’étire dans un silence apaisé.
Le prestigieux virtuose, qui a à son actif plus de 100 albums dont 19 ont été couronnés d’un Grammy, avait lancé en 2018 le projet Bach, visant à interpréter les six suites pour violoncelle du compositeur allemand, dont chacune comporte six mouvements, dans 36 endroits à travers le monde. « La culture – la façon à travers laquelle nous nous exprimons et nous nous comprenons mutuellement – peut nous unir en un seul monde », avait déclaré Yo-Yo Ma en indiquant que son objectif était d’initier des conversations locales et mondiales pour mettre en évidence et résoudre des problèmes culturels urgents. Après s’être produit dans 18 différents pays, il avait choisi Byblos comme point médian de sa tournée pour jouer les chefs-d’œuvre de Bach, lors d’une performance envoûtante de deux heures et demie en août 2019. Ce projet, unanimement salué, mettait également en scène deux autres concerts à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et à Beit Beyrouth où les rues de l’intersection Sodeco grouillaient de spectateurs acclamant l’artiste de grand renom. Le joueur de oud Ziad al-Ahmadieh avait alors rejoint Yo-Yo Ma, dans une performance sans précédent sur les balcons de la structure historique de l’ancienne ligne de démarcation qui témoigne, jusqu’à aujourd’hui, des ravages de la guerre civile au Liban.
commentaires (3)
la musique ,les mots ,tout est dit de vous pour le LIban ;merci J.P
Petmezakis Jacqueline
16 h 37, le 21 août 2020