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Société - Social

L’avenir incertain des maisons de retraite, seules face à la crise

Le nombre de pensionnaires augmente au fur et à mesure que la crise s’exacerbe.

L’avenir incertain des maisons de retraite, seules face à la crise

Beit Jdoudna accueille une trentaine de résidents issus principalement de milieux défavorisés. Photo DR

Inédite et violente, la crise qui frappe le Liban depuis plusieurs mois a laissé ses empreintes sur presque tous les foyers à des degrés différents. On se préoccupe aujourd’hui tellement de l’exode des jeunes, au point de lancer déjà des études sur l’impact, à long terme, de ce phénomène de masse sur un pays qui a désespérément besoin de ses jeunes talents, qu’on a oublié une autre frange de la population, plus vulnérable et, surtout, dépendante : les personnes du troisième âge.

Avec l’aggravation de la crise, des maisons de retraite, notamment semi-gratuites, ont vu le nombre de leurs pensionnaires grimper, alors que les ONG qui s’occupent des personnes âgées croulent sous leurs sollicitations. Et pour cause : ces institutions aussi manquent de produits de base et des moyens indispensables à leur survie. À l’approche de l’hiver, et compte tenu des pénuries de mazout et de l’absence de courant électrique, elles n’osent même pas penser à la situation à laquelle elles risquent d’être confrontées si des solutions ne sont pas trouvées.

« Je ne peux absolument rien prédire », lance Souheil Chmaiteli, qui dirige la Maison de retraite islamique à Beyrouth, lorsqu’on l’interroge sur les défis à venir et les moyens envisagés pour les surmonter. « Au Liban, nous ne pouvons même plus savoir de quoi demain sera fait… Dans une situation pareille, il est difficile de faire des plans ou d’affirmer quoi que ce soit. En ce moment, nous luttons pour survivre », soupire-t-il.

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Si le directeur de cette institution beyrouthine est tellement pessimiste, c’est parce que la crise qui ravage le Liban depuis plus d’un an ne fait que gagner en intensité, condamnant ainsi le pays à subir des pénuries de plus en plus fréquentes de biens de première nécessité. « Des représentants de maisons de retraite viennent parfois nous voir et nous demandent de l’aide, comme de la nourriture, des couches et même des médicaments », fait savoir Maya Ibrahimchah, fondatrice de l’ONG Beit el-Baraka, qui a ouvert depuis janvier 2019 un supermarché gratuit à l’intention des seniors les plus désargentés, un service de rénovation de leur logement et des services médicaux à leur intention.

« À Beit el-Baraka, nous tenons bon pour le moment parce que nous produisons notre propre nourriture autant que possible grâce aux partenariats que nous avons avec des entreprises ou des ONG locales et internationales. Mais c’est surtout grâce à la diaspora que nous nous en sortons parce qu’ils nous permettent d’éviter les pénuries en nous offrant des médicaments par exemple », affirme-t-elle en expliquant que c’est ce qui permet à son association de venir en aide aux maisons de repos qui sollicitent son concours. Un soutien précieux, d’autant que ces institutions se livrent à d’innombrables acrobaties pour maintenir leurs prestations sans avoir à augmenter leurs prix de façon substantielle, alors que l’État, pratiquement en faillite, a cessé depuis plus de deux ans de verser sa contribution aux ONG inscrites auprès du ministère des Affaires sociales.


Avec la crise et les pénuries qui s'aggravent, la gestion d'une maison de retraite relève parfois de l'acrobatie. Anwar Amro/AFP)

« Les seniors sont comme des enfants »

L’aggravation de la crise s’est répercutée violemment sur les seniors, à en juger par l’augmentation des effectifs dans les maisons de retraite. « Nous accueillons 450 seniors. La majorité d’entre eux sont installés aux frais du ministère, mais il y a de plus en plus de demandes d’admission, ce qui montre que la crise a même induit un changement important au niveau culturel », affirme Souheil Chmaitelli, en référence au fait que les Libanais en général ne sont pas enclins à installer leurs aînés dans des maisons de retraite. « Certains n’ont plus les moyens financiers de prendre soin de leurs parents, d’autres voyagent et se voient obligés de les intégrer dans des maisons de retraite où des professionnels peuvent prendre soin d’eux », ajoute-t-il, sans pouvoir donner de chiffres sur l’évolution du nombre de demandes.

Mais tout le monde ne finit pas dans une maison de retraite de la même manière. Certaines personnes du troisième âge ont été sauvées de la rue par des bienfaiteurs et installées dans des centres spécialisés. C’est le cas de Beit Jdoudna (La maison de nos aïeux), une ONG accueillant quelque 35 seniors, souvent sans domicile fixe ou vivant dans une précarité extrême. L’organisation, qui permet à ses résidents de mener un train de vie « normal » grâce à des ateliers, des potagers et d’autres activités, a elle aussi connu une forte hausse du nombre de ses pensionnaires.

« En six mois, leur nombre a quasiment doublé. Nous sommes passés de 18 à 35 résidents dans nos quatre maisons de retraite », affirme Yara Bou Aoun, fondatrice de Beit Jdoudna.

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Une hausse qui expose Beit Jdoudna à un autre grand défi, comme d’ailleurs tous les centres de repos, et plus particulièrement ceux qui sont installés en montagne : le froid. Avec la pénurie de mazout et les coupures interminables d’électricité, ces établissements redoutent d’ores et déjà l’arrivée de l’hiver. « Nous sommes localisés à Beit Mery où il fait froid l’hiver. Nous aurons besoin de mazout et d’électricité pour chauffer nos quatre centres. Les personnes âgées sont comme les enfants. Leurs corps ne peuvent pas supporter le froid et elles tombent malades très vite. Nous comptons donc sur la générosité de nos amis pour pouvoir faire face à cette situation, mais je ne suis pas sûre que cela suffise », lâche Yara Bou Aoun. Ce n’est qu’un défi parmi tant d’autres pour Beit Jdoudna, qui doit faire plus avec moins. « Les donations que nous recevons ne couvrent plus que 10 % du coût des produits qu’elles permettaient d’acheter il y a un an », explique-t-elle.

Beit Jdoudna, comme de nombreuses autres ONG qui s’occupent des plus démunis, ne peut pas compter sur le soutien de l’État. « Cela fait des mois que nous frappons aux portes du ministère des Affaires sociales pour obtenir un soutien financier, fixé à 15 000 livres libanaises par résident et par jour. Sans succès », déplore Yara Bou Aoun. « Franchement, je n’attends plus rien de l’État libanais », dit-elle.

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Souheil Chmaitelli affirme, lui, se sentir « seul et laissé pour compte » face à la crise. « Personne ne peut nous aider », s’affole-t-il. « Le Liban est l’un des rares pays n’ayant pas de véritable système de retraite, où les plus âgés sont complètement laissés pour compte. Les individus se voient obligés, à travers des initiatives privées, de prendre le relais », confirme Maya Ibrahimchah.

Or, un rapport de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (Escwa) sur le vieillissement de la population au Liban soulignait en juin dernier l’importance de la solidarité intergénérationnelle au Liban. Mais il y a encore du chemin à faire à ce niveau.

Inédite et violente, la crise qui frappe le Liban depuis plusieurs mois a laissé ses empreintes sur presque tous les foyers à des degrés différents. On se préoccupe aujourd’hui tellement de l’exode des jeunes, au point de lancer déjà des études sur l’impact, à long terme, de ce phénomène de masse sur un pays qui a désespérément besoin de ses jeunes talents, qu’on a oublié...
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