
Le président du Parlement et chef du mouvement Amal, Nabih Berry, lors d'un discours, le 31 août 2021, à l'occasion de la commémoration de la disparition de l'imam Moussa Sadr. Photo tirée de la page Flickr du Parlement
Dans un discours devenu un rendez-vous annuel à l'occasion de la commémoration de la disparition de l'imam Moussa Sadr le 31 août 1978, le président du Parlement et chef du mouvement Amal, Nabih Berry, connu pour ses rares prises de parole publiques, a appelé mardi à la formation rapide d'un gouvernement "au plus tard cette semaine", sans tiers de blocage, dans une pique évidente au président Michel Aoun et son camp, accusés de chercher à contrôler l'action de la future équipe attendue depuis maintenant un an alors que le pays se noie dans une crise socio-économique inédite. Concernant l'épineux dossier de l'enquête sur la double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, Nabih Berry s'en est violemment pris au juge Tarek Bitar, l'accusant de partialité et l'appelant à appliquer la Constitution.
Plus d'un mois après la nomination, le 26 juillet dernier, de Nagib Mikati pour former la nouvelle équipe, qui bute encore sur plusieurs obstacles, notamment l'attribution du tiers de blocage au sein de la future équipe, c'est presque un cri d'alarme qu'a lancé Nabih Berry : "J'appelle à mettre de côté toutes les divergences et à former, cette semaine au plus tard, un gouvernement qui œuvrerait avant tout à libérer les Libanais des files de l'humiliation", a déclaré le président de la Chambre. "Certains présentent les Libanais comme incapables de respecter la plus simple des échéances, en l'occurrence former un gouvernement... sans tiers de blocage", a-t-il martelé, dans une flèche décochée en direction de Baabda, accusé par ses détracteurs de bloquer le processus ministériel pour obtenir cette minorité qui lui permettrait de contrôler l'action du cabinet. Un appel qui intervient alors que les Libanais paient le prix des pénuries en série en matières de première nécessité en attendant des heures dans des files pour obtenir quelques litres d'essence, des médicaments ou un paquet de pain.
Et Nabih Berry de poursuivre : "Nous avons présenté des initiatives, en public et en secret. Et en attendant un sursaut de conscience, nous assurons que nous ne serons pas de faux-témoins de cette exécution collective que subit le pays chaque jour". Pour le chef du Législatif, "il faut former un gouvernement dont la déclaration ministérielle serait axée sur la lutte contre la corruption, la mise en place des réformes et la tenue des législatives dans les délais prévus (mai 2022)". Et le leader chiite de réitérer son appel à l'adoption d'une loi électorale prévoyant la proportionnelle appliquée au Liban en tant que circonscription unique, une bataille que le bloc berryste avait déjà lancée en mai 2019, soit un an après les dernières élections parlementaires.
Ces propos interviennent à l'heure où les efforts pour aplanir les obstacles empêchant la naissance du cabinet se poursuivaient. C'est dans ce cadre qu'il conviendrait de placer la rencontre qui aurait eu lieu mardi entre Nagib Mikati et le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, qui semble avoir repris son traditionnel rôle de médiateur en matière de gouvernement. A la lumière de ces contacts, le président de la Chambre aurait incité M. Mikati à renoncer à l'idée de se récuser alors que ce dernier avait l'intention de jeter l'éponge cette semaine au vu de l'intensité de son bras de fer avec Baabda, rapporte une source bien informée.
Au-delà du dossier gouvernemental, c'est toute la politique menée par le pouvoir sous le mandat de Michel Aoun que Nabih Berry a critiquée dans son discours. Cette politique "a anéanti les pouvoirs exécutif et judiciaire et a empêché la tenue des partielles (destinée à pourvoir à onze sièges vacants au sein de la Chambre). Mais, il faut le reconnaître, elle n'a pas manqué de bloquer la nomination de gardes forestiers. Peut-être parce qu'en enfer, on n'en n'a pas besoin", a tonné le chef du législatif, dans une allusion à l'opposition des aounistes à ces nominations qui, selon eux, ne respectaient pas le principe de la parité islamo-chrétienne. Dans un discours daté de septembre 2020, le président Aoun avait déclaré que le pays se dirigerait vers l'enfer si un gouvernement n'était pas formé rapidement. Et le leader chiite de tonner : "Nous sommes devant une tentative de prendre le Liban en otage et de le détruire de l'intérieur".
M. Berry a également tiré à boulets rouges contre le groupe parlementaire du Liban fort, dont le Courant patriotique libre (fondé par Michel Aoun et aujourd'hui dirigé par Gebran Bassil) est la principale composante. "Les menaces formulées de temps à autre de démissionner du Parlement et de paralyser la dernière institution encore active au Liban au niveau législatif sont dans l'intérêt de qui ?", a-t-il lancé alors que lors de la dernière séance plénière, Gebran Bassil avait menacé de claquer la porte de la Chambre si celle-ci ne se prononçait pas clairement contre la décision émise par le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, le 11 août, de lever les subventions sur les carburants.
Les messages à Tarek Bitar
Sur un autre registre, le président de la Chambre a évoqué l'enquête actuellement en cours autour du drame au port de Beyrouth, accusant le juge Tarek Bitar, en charge du dossier, de partialité et l'appelant à respecter la loi. Plus d'un an après l'explosion de plusieurs centaines de tonnes de nitrate d'ammonium qui a fait 214 morts et plus de 6.500 blessés, dévastant des quartiers entiers de la capitale, l’enquête piétine et se heurte aux tergiversations d’une grande partie de la classe politique, qui a réussi à détourner ce dossier de son cadre judiciaire pour s’en servir afin de régler des comptes et de multiplier les surenchères politiciennes, dans la perspective des prochaines législatives.
"Nous sommes les premiers à avoir soutenu les familles des victimes et nous avons à maintes reprises assuré que nous ne sommes pas contre la levée des immunités", a souligné Nabih Berry. "Aucune personne impliquée ne devrait bénéficier d'une immunité, à commencer par la tête de la pyramide", a-t-il ajouté dans une claire référence au président Aoun dont le camp qui lui est opposé mène un forcing pour réclamer la suspension des immunités de tous les responsables, chef de l’État inclus.
"Ce que nous avons exigé, c'est l'application de la loi. Mais malheureusement, certains au Liban sont habitués à utiliser des causes justes à des motifs électoraux et peut-être en application d'agendas suspects", a-t-il insinué. Et Nabih Berry de lancer : "Le juge d'instruction est appelé à respecter les lois, à commencer par la Constitution, et non à les outrepasser ou à prendre partie". S'adressant par la suite directement à Tarek Bitar par des termes assez forts, il a lancé : "Ecoutez la voix de la justice, et non ce qu'on vous souffle à l'oreille".
Début juillet, le juge Tarek Bitar avait demandé la levée d'immunités de plusieurs responsables sécuritaires et politiques afin de pouvoir les poursuivre en justice. Mais la classe dirigeante, qui a catégoriquement rejeté une enquête internationale, est accusée de tout faire pour torpiller l'enquête et éviter certaines inculpations. C'est dans ce cadre que plusieurs parlementaires, dont certains issus du bloc de Nabih Berry, avaient signé une pétition pour s'opposer à toute éventuelle levée des immunités et pour que les responsables concernés soient jugés devant la Haute cour chargée de juger les présidents et les ministres. Sur ce plan Nabih Berry s'est voulu clair dans son discours : "C'est le Parlement qui est compétent (pour statuer sur la levée des immunités) et vous le savez, M. Bitar".
Jeudi dernier, le juge a émis un mandat d'amener à l'encontre du Premier ministre sortant Hassane Diab pour l'interroger le 20 septembre, après qu'il n'a pas répondu à une convocation. Le ministre de l'Intérieur sortant a également refusé d'autoriser l'interrogatoire du chef des services de renseignement, Abbas Ibrahim.
Enfin, Nabih Berry s'est prononcé pour la toute première fois au sujet des navires iraniens dont le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait annoncé l'arrivée au Liban pour combler le déficit du pays en carburants et pallier aux fortes pénuries que subissent les Libanais. "Nous ne trouvons pas embarrassant d'accepter toute aide au peuple libanais, surtout (si elle provient) d'Iran, d'Egypte, de Syrie ou de tout pays arabe et frère", a-t-il lancé.
Le secrétaire général du Hezbollah a annoncé dernièrement l'arrivée prochaine de trois pétroliers iraniens transportant du mazout, nécessaire à l'approvisionnement des générateurs privés du pays qui compensent la pénurie d'électricité. Ne se prononçant pas sur l'itinéraire de ces navires, leur destination finale ni les mécanismes via lesquels le carburant importé sera utilisé, le chef du parti chiite avait juste indiqué qu'il donnerait plus de détails dès l'arrivée d'au moins un de ces pétroliers en Méditerranée.
Dans un discours devenu un rendez-vous annuel à l'occasion de la commémoration de la disparition de l'imam Moussa Sadr le 31 août 1978, le président du Parlement et chef du mouvement Amal, Nabih Berry, connu pour ses rares prises de parole publiques, a appelé mardi à la formation rapide d'un gouvernement "au plus tard cette semaine", sans tiers de blocage, dans une pique évidente au...
commentaires (11)
Mr Berry qui veut un vite à la proportionnelle avec une seule circonscription qui englobe tout le Liban. Vraiment de quoi donner le coup de grâce à un pays déjà détruit par le bons soins de ces mafieux qui ne respectent rien
CAMAYOU / INEOS
21 h 52, le 01 septembre 2021