Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a estimé vendredi que le projet américain présenté il y a une dizaine de jours par l'ambassadrice US à Beyrouth, Dorothy Shea, et visant à trouver des solutions aux pénuries d'électricité au Liban prouve que c'est Washington qui, jusqu'à présent, empêchait toute réforme du secteur de l'électricité, dans le cadre de son "embargo" imposé au pays du Cèdre, en pleine crise socio-économique. Le dignitaire chiite a dans ce contexte annoncé qu'un troisième navire iranien chargé de mazout serait prochainement appareillé à destination du Liban, qui souffre d'une grave crise et de sévères pénuries de carburant, sans toutefois confirmer si les deux pétroliers précédemment annoncés étaient déjà en route.
Le numéro un du Hezbollah a fait ces déclarations lors d'un discours télévisé prononcé à l'occasion du quatrième anniversaire de la fin des combats menés par le parti chiite contre les jihadistes du Front Fateh el-Cham (ex-al-Nosra) qui s'étaient installés dans les jurds (arrières-pays) de Ersal, dans la zone frontalière avec la Syrie. Le Hezbollah avait entamé les combats quelques jours avant l'opération "Aube des jurds" lancée par l'armée libanaise dans les jurds de Qaa et de Ras Baalbeck (dans la Békaa). Le conflit s'était terminé sur un accord qui permettait aux jihadistes de se replier en Syrie et est considéré par le parti chiite comme la "deuxième libération" du Liban, après le retrait de l'armée israélienne du Sud, en mai 2000. Concernant ces combats de l'été 2017 et la présence des groupes jihadistes dans la région frontalière, Hassan Nasrallah a accusé l'ambassade américaine d'avoir "fait pression" sur le gouvernement libanais pour l'empêcher de prendre des "initiatives" visant à éliminer ces groupes, dénonçant le fait que l'ambassade leur avait fait parvenir des armes et des fonds sous couvert "d'aides humanitaires", en plus du soutien "international et régional" dont bénéficiaient ces combattants jihadistes. Le résultat de la bataille contre les extrémistes installés dans les jurds a, selon lui, "prouvé une nouvelle fois "la victoire du triptyque +armée-peuple-résistance+".
"Summum de l'embargo"
Réagissant aux déclarations de certains responsables, comme le chef du parti Kataëb Samy Gemayel, qui estiment qu'"il n'y a pas d'embargo sur le Liban" mais que la crise actuelle est due aux armes du Hezbollah, le chef du parti chiite a rétorqué que le pays vivait actuellement "le summum de l'embargo" et que les Etats-Unis "interdisent l'arrivée de denrées, bloquent les retraits de fonds" des Libanais à partir de l'étranger et empêchent les investissements au Liban "en brandissant la menace de sanctions". "Ceux qui disent qu'il n'y a pas d'embargo ne ressentent pas que les gens ont faim et soif", a-t-il lancé.
Le Hezbollah accuse régulièrement l'Occident, Washington en tête, d'imposer un blocus au Liban et d'aggraver la crise que traverse le pays. C'est face à cette crise qui s'est traduite par des pénuries de carburant et de mazout étouffant les Libanais que le chef du Hezbollah avait annoncé il y a quelques jours le départ d'Iran de deux premiers navires chargés de carburant à destination du Liban. D'après le site indépendant de suivi en ligne des pétroliers Tanker Tracker, le premier navire aurait quitté les eaux territoriales iraniennes jeudi tandis que le second bateau n'aurait pas encore été entièrement chargé mais pourrait appareiller samedi matin.
Veto américain
Dans son discours, Hassan Nasrallah n'a pas confirmé ces données, se contentant de déclarer que "face aux rumeurs et aux mensonges propagés dans les médias arabes, le peuple libanais verra bien dans les prochains jours quelle est la vérité concernant l'arrivée des navires iraniens". Il a annoncé avoir en outre conclu un "accord" avec ses "frères iraniens" pour qu'un troisième navire contenant du mazout soit chargé et appareillé, de manière à approvisionner le pays "avant l'arrivée de l'hiver", laissant entendre que plus de pétroliers seraient envoyés vers le Liban. "Lorsqu'au moins un navire sera arrivé en Méditerranée, nous donnerons plus de détails" à ce propos, a-t-il souligné.
Le dignitaire chiite s'est en outre penché sur l'initiative annoncée par l'ambassadrice américaine Dorothy Shea concernant l'importation soit du gaz égyptien pour les centrales libanaises, soit de l’électricité produite en Jordanie via la Syrie. Mme Shea avait évoqué ce projet quelques heures à peine après l'annonce du départ d'Iran - pays sanctionné par l’administration américaine - d'un premier navire de carburant. "Cette initiative prouve une fois de plus que les Américains avaient préalablement mis un veto sur de tels mécanismes", a affirmé Hassan Nasrallah. Il a indiqué que, jusqu'à présent, il s'agissait uniquement de déclarations et qu'aucune décision n'avait encore été prise par l'administration US. Cette "exception" que pourrait octroyer Washington à la loi César - ciblant depuis 2019 le régime syrien, ainsi que toute personne, société, institution ou tout gouvernement faisant du commerce avec le régime de Damas ou contribuant à la reconstruction de la Syrie - est une "reconnaissance implicite" que ce pays a empêché d'améliorer la situation du secteur de l'électricité au Liban, ce qui a creusé le déficit budgétaire pendant des années" et donc aggravé la crise socio-économique et financière, a-t-il accusé.
Formation du gouvernement
Par ailleurs, face à la crise qui frappe le Liban depuis près de deux ans et a poussé plus de 70% de la population sous le seuil de pauvreté, le chef du Hezbollah a à nouveau insisté sur la formation rapide d'un nouveau cabinet. "Il faut commencer à résoudre la crise", a-t-il lancé, regrettant que "toutes les douleurs" du peuple n'aient pas encore pu pousser les responsables à mettre sur pied une équipe gouvernementale. Il a également écarté "tout lien entre la naissance du cabinet et des facteurs externes comme les négociations de Vienne" sur le nucléaire iranien. "N'est-il pas temps pour que les débats sur les portefeuilles se terminent ?", a-t-il lancé.
Plus d'un an après la démission du cabinet de Hassane Diab, le Liban reste sans gouvernement. Un nouveau cabinet est pourtant essentiel pour mener les réformes attendues par la communauté internationale et qui doivent débloquer des aides financières, cruciales dans un pays en plein effondrement. Les tractations entre le président Michel Aoun et le Premier ministre désigné Nagib Mikati, qui a été chargé il y a plus d'un mois de la mise sur pied de son équipe, butent sur plusieurs obstacles au niveau de l'attribution des portefeuilles, notamment de la vice-présidence du gouvernement et des ministères de l’Intérieur et de la Justice, qui obstruent le processus depuis le début des pourparlers, des Affaires sociales, un poste essentiel alors que l'Etat planche sur un système d'aides à distribuer aux familles grâce, notamment, à un prêt de la Banque mondiale, et des Télécoms. La volonté du chef de l'Etat que le futur cabinet se penche également sur une éviction du gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, semble également entraver les tractations.
"Clientélisme et politisation"
Le numéro un du parti chiite a en outre de nouveau critiqué le juge d'instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur la double explosion au port de Beyrouth, notamment le mandat d'amener que ce dernier a émis jeudi à l'encontre de l'ancien Premier ministre Hassane Diab, poursuivi pour négligence dans ce drame. M. Diab avait refusé de comparaître jeudi devant le magistrat, qui a fixé au 20 septembre la date de cette audience et chargé les forces de sécurité de l'interpeller.
"Le mandat d'amener prouve les craintes que nous avions préalablement exprimées" concernant la politisation du dossier, a déclaré Nasrallah, accusant le juge Bitar de chercher à "affaiblir et sous-estimer" le Premier ministre sortant. Selon lui, le juge Bitar a violé la Constitution, notamment les dispositions concernant le jugement des présidents et des ministres. "L'enquête est soumise au clientélisme et à la politisation", a-t-il lancé, disant rejeter "au nom du Hezbollah" les mesures prises par le juge contre Hassane Diab" et appelant les instances judiciaires à "intervenir pour empêcher l'affaiblissement de tout poste" à responsabilité dans le pays. "Si le juge veut mener son enquête avec le chef du gouvernement, il nous faut amender la Constitution, tel que nous l'avons préalablement proposé", a-t-il poursuivi, affirmant que "tout le monde sait qui a refusé de telles propositions".
La classe dirigeante, qui a catégoriquement rejeté une enquête internationale, est accusée de tout faire pour torpiller l'enquête sur la double explosion au port de Beyrouth et éviter certaines inculpations. Plus d'un an après l'explosion de plusieurs centaines de tonnes de nitrate d'ammonium qui a fait 214 morts et plus de 6.500 blessés, dévastant des quartiers entiers de la capitale, l'enquête locale n'a pas donné de résultats.
commentaires (19)
Pas un seul commentaire qui évoque la deuxième libération qui doit être fêtée à juste titre.Quelle ingratitude! Ceux qui disent que les jihadistes ont étés transportés par des cars climatisés ne savent-ils pas que cette opération était la seule possible pour sauver des soldats libanais de l'égorgement? M.Z
ZEDANE Mounir
14 h 27, le 29 août 2021