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Nos Lecteurs ont la Parole

Le CPL et l’élimination politique : analyse d’une rhétorique

Les partis politiques libanais traditionnels excellent dans l’art de prendre un fait d’une certaine exactitude pour point d’ancrage de leur discours, puis de développer une rhétorique fallacieuse afin de parvenir à une conclusion qui soit au service de leur positionnement politique. Dans l’édition de L’Orient-Le Jour du 27 août 2021, Scarlett Haddad écrit : « Pour le président et son camp, la question est encore plus cruciale, car ils ont le sentiment qu’une véritable campagne destinée à les éliminer du paysage politique est menée contre eux depuis quelque temps déjà. » Mme Haddad reproduit là un discours usité par le camp aouniste qui, lorsqu’il n’adopte pas une posture victimaire, s’emploie à jouer les gros bras, arguant de sa « force », seule capable selon lui de rendre aux chrétiens le rôle qui leur aurait été injustement confisqué. Le président du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil ne répète-t-il pas à l’envi qu’il serait victime d’une « guerre d’élimination » ? L’ancien ministre tente ainsi de susciter des réflexes communautaires au sein de l’électorat chrétien et de mobiliser sa base partisane afin de défendre la place du CPL en prévision des élections législatives de mai 2022 – et qui pourrait le lui reprocher ? La conjuration est ici incarnée par les autres partis traditionnels auxquels s’oppose le CPL : la mobilisation contre ces derniers est devenue vitale, tant la crise a réduit la marge de manœuvre de la classe politique. Pour M. Bassil, l’équation est simple : le CPL, parti-communauté, s’identifie depuis sa fondation à la communauté chrétienne – tout comme, au demeurant, les autres partis traditionnels s’identifient à leur communauté respective – et prétend la représenter. S’il est victime d’une « véritable campagne destinée à (l’)éliminer du paysage politique », c’est donc que le rôle même des chrétiens au Liban est menacé, et c’est contre leur participation au pouvoir que les factions et puissances ont ourdi un complot. Finement argumenté. Le côté spécieux de l’argumentaire tient en quelques lignes : le CPL – tout comme les autres partis traditionnels – n’a jamais représenté de communauté, et n’a jamais défendu que des intérêts propres à ses dirigeants et à leur clientèle, loin des « intérêts des chrétiens » – comment peut-on, du reste, penser que l’ensemble des chrétiens partagent les mêmes intérêts ? Le discours adopté par M. Bassil vise à activer les rouages de l’ultracommunautarisme du jeu politique libanais : les partis politiques traditionnels, en opérant une division verticale prétendument immuable de la société libanaise et en instituant des chasses gardées communautaires propres à chaque parti, ont fait du communautarisme l’unique critère présidant à la marche de la politique libanaise. Tous les différends qui surgissent dans notre république sont donc recouverts d’un vernis communautaire, même lorsqu’ils n’ont aucun enjeu communautaire ; le communautarisme est devenu l’alpha et l’oméga du jeu auquel se livrent les partis politiques traditionnels. En d’autres termes : l’excès de communautarisme a écarté du débat public tous les autres enjeux et divisions, courants et opinions qui traversent la société libanaise. Les partis traditionnels, incapables de discourir autrement que de manière communautaire, ne reflètent pas en réalité les divers intérêts en présence, et sont une bien piètre représentation de la société. Incapables d’être des partis politiques, car ne pouvant changer leur nature de partis-communautés – sous peine de se saborder –, ils s’évertuent à raffermir le système partisan et clientéliste en remettant l’argument communautaire au centre du jeu. Voilà précisément le but de la rhétorique du CPL. Nous avions débuté cet article en précisant que l’argumentaire des partis politiques traditionnels avait pour facteur initial des éléments difficilement contestables. Dans le cadre de l’article de Mme Haddad et des discours de M. Bassil, il s’agit d’une lapalissade : le camp aouniste et son président seraient victimes d’une tentative d’exclusion du champ politique. Sans employer de termes aussi martiaux (« guerre d’élimination », « assassinat politique »), nous leur rétorquerons qu’ils ont parfaitement raison et qu’il n’y a là rien d’anormal. M. Bassil feint-il de découvrir, seize ans après son entrée en politique, que cette dernière est une compétition (encadrée de règles strictes, si elle est démocratique), où chaque camp tente (par des moyens légaux et loyaux, sans refuser à l’autre son droit à la participation) de déloger ses opposants (ce qui n’exclut en rien le dialogue et la coopération) ? Ou alors, M. Bassil prétend-il apprendre que le Liban postoctobre 2019 n’est plus celui qui existait avant, et que ceux qui se sont soulevés ont des raisons de vouloir l’éconduire, afin de remplacer son parti ainsi que tous les autres partis traditionnels par des formations politiques aptes à représenter la société libanaise sous toutes ses coutures ? Nous pouvons donc confirmer à M. Bassil que ses craintes sont fondées : le camp aouniste – de même que les autres partis traditionnels – est bien dans le collimateur de ceux parmi les Libanais sur qui son discours n’a plus d’emprise, sans que cela n’indique toutefois une volonté de marginaliser les chrétiens. Ce discours sur la supposée volonté d’élimination du CPL/d’exclusion des chrétiens traduit autre chose : les partis-communautés ont dévoyé le régime politique libanais par excès de communautarisme et ont donné la priorité absolue à la participation au détriment de la compétition – d’où la division verticale du champ politique libanais en communautés « hermétiques » et la prétention des partis traditionnels à garantir la participation au pouvoir de leur communauté. Point de compétition, et donc point de démocratie : le régime politique libanais, censé être parlementaire, démocratique et libéral, avec un certain biais communautaire – selon les textes – est devenu, par l’action des partis politiques traditionnels, exclusivement communautaire. À notre sens, c’est le parallélisme entre les partis et les communautés – ainsi que tout ce qui en découle – qui entrave nos institutions, et non pas les quelques règles communautaires. Ces dernières, si elles sont correctement appliquées – si elles ne deviennent pas le but du jeu politique –, font partie de l’esprit de la République libanaise qui est avant tout malade de ses partis. Raison de plus pour exclure les partis-communautés et restaurer la compétition !

Gabriel ABOU ADAL

étudiant en droit à

l’université de Zurich

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