Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Les gouvernements « exécutoires » au Liban

Qu’ont fait toutes les périodes d’occupation depuis 1975 au niveau de la violation des normes fondatrices de la formation des gouvernements et de leurs fonctions ? Ce qu’on réclame à propos d’un gouvernement de mission et de spécialistes constitue un retour aux sources, après une longue expérience de déboires.

La révolution non visible au Liban est celle des pères fondateurs de la Constitution libanaise depuis 1926 et tous ceux qui s’étaient engagés à en respecter le texte et l’esprit, dont Michel Chiha, Béchara el-Khoury, Riad el-Solh, Kazem el-Solh, Abdel Hamid Karamé, Saëb Salam, Rachid Karamé, Fouad Chéhab !...

L’édifice constitutionnel libanais est une œuvre géniale en perspective internationale à la lumière des recherches comparatives depuis les années 1970. Quant à l’application, elle est la pire au monde !

Le pouvoir exécutif est délibérément qualifié depuis 1926 dans la Constitution libanaise, non pas de sulta tanfîziyya (pouvoir exécutif) comme dans toutes les Constitutions du monde, mais de sulta ijrâ’iyya (pouvoir exécutoire), ce qui signifie, d’après Lisan al-‘arab, « qui fait que les choses marchent » et, d’après d’autres dictionnaires : « Qui doit (sic) être mis à exécution, qui donne le pouvoir d’exécuter » (Littré) et « qui doit être mis à exécution », « qui donne pouvoir de procéder (sic) à une exécution »,« assurer l’exécution » (Le Robert).

Cela signifie que dans la société libanaise une et plurielle, le gouvernement n’est pas un pôle de rapports de forces et de dialogue débridé mais, comme dans le cas judiciaire de « jugement exécutoire », qu’il est chargé non de palabrer mais d’exécuter. Le pouvoir exécutoire est incompatible avec les slogans de « tiers », de « parts », de « blocage »… En conséquence, un gouvernement libanais constitutionnel groupe des ouvriers (fî’ âlî) qualifiés pour l’effectivité des lois et répondre aux exigences vitales de la population. Tel est le fondement de la Constitution dans le régime parlementaire pluraliste libanais, alors que le Parlement est et doit être le lieu permanent du dialogue, d’après tous les écrits de Michel Chiha et des pères fondateurs.

À propos des membres de l’équipe gouvernementale, « les communautés (sic) seront représentées équitablement dans la formation du gouvernement » (art. 95 A), et non des forces politiques, ni les ahjâm (taille) de ces forces ! Le but de la représentation communautaire équitable (‘adila) n’est pas la représentativité en tant que rapport de pouvoir ni de droits (huqûq), mais la sécurisation psychologique en tant que garantie (damânât).

Le gouvernement, dans aucun pays au monde, quelle que soit la nature du régime, n’a pas un caractère représentatif au sens électoral du terme. Quand le gouvernement devient un mini-Parlement, le principe universel de séparation des pouvoirs est violé (Préambule constitutionnel, al. E). Il devient alors impossible au Parlement d’exercer son pouvoir de contrôle. Il n’y a plus alors d’opposition efficiente. La décision en Conseil des ministres devient aussi impossible, sinon sur base d’une entente interélite aux dépens du droit et grâce à un partage de prébendes.

Dans les cas où le fédéralisme est territorial, comme en Suisse, en Belgique et ailleurs, il est possible que le gouvernement soit collégial, du fait que la plupart des décisions sont prises dans les provinces. Mais dans le cas d’un État unitaire et d’un fédéralisme personnel comme au Liban, la formation d’un gouvernement collégial bloque le processus décisionnel, en dépit de l’article 65, fort génial, de la Constitution qui exige la majorité qualifiée en Conseil des ministres pour 14 affaires spécifiquement énumérées en vue d’éviter à la fois l’abus de majorité et l’abus de minorité.

★ ★ ★ ★ ★

L’imposture revient à l’autorité d’occupation et ses collaborateurs internes, en vue du blocage des décisions importantes, en application de la théorie de « minority control », comme en Israël par rapport à la composante arabe et dans certains pays arabes, en Afrique du Sud durant le régime d’apartheid, en Irlande du Nord avant le Friday Agreement, le Rwanda… La théorie de « minority control » est développée par l’auteur israélien Sammy Smooha. Dans le cas du Liban, la décision est bloquée avec l’ingérence de la Sublime Porte.

L’art. 66 est explicite : « Les ministres sont solidairement (sic) responsables devant la Chambre des députés de la politique générale du gouvernement et individuellement de leurs actes personnels. » Cette solidarité a été accentuée dans l’amendement du 21/9/1990.

Pas de distinction, ni dans un texte constitutionnel ni en pure logique, entre ministères souverainistes (siyâdiyya) et non souverainistes ! Une telle épluchure (une distinction est par essence intelligente !) est aberrante parce qu’elle signifie que certains portefeuilles ministériels sont des déchets ! Des postes ministériels deviennent ainsi des pôles de trafic d’influence et non de gestion de l’intérêt général. La souveraineté est aussi réduite à un attribut personnel et partisan, et non une souveraineté nationale.

À propos des portefeuilles ministériels, il est explicitement spécifié dans toute la genèse de l’accord d’entente nationale de Taëf et dans la Constitution libanaise : « Sans réserver une quelconque fonction (sic) à une communauté déterminée. » (art. 95 B).

★ ★ ★ ★ ★

Des vomissements contribuent à la pollution des plus nobles notions et concepts laborieusement forgés par les pères fondateurs depuis l’Antiquité et par des génies constitutionnels libanais dont la sagesse est remarquable dans une approche internationale et comparative aujourd’hui.

Dans des mémoires d’hommes d’État et politiques, on rapporte des débats sur « la part » (hissa) du chef de l’État et celle du chef du gouvernement, avec cependant la dénonciation de cette pratique, comme on le relève dans les mémoires de l’ancien ministre prof. Ibrahim Najjar (Fi wizârat al-‘adl, 2019), et de propos de Dr Walid Moubarak et d’autres.

Aujourd’hui, les désastres à propos de l’électricité, l’eau, les carburants, les médicaments, les universités, les banques doivent nous renvoyer, par expérience, aux gouvernements « exécutoires ».

C’est dire aussi que les palabres en cours servent de camouflage à l’occupation.

Ancien membre du Conseil constitutionnel, 2009-2019

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Qu’ont fait toutes les périodes d’occupation depuis 1975 au niveau de la violation des normes fondatrices de la formation des gouvernements et de leurs fonctions ? Ce qu’on réclame à propos d’un gouvernement de mission et de spécialistes constitue un retour aux sources, après une longue expérience de déboires. La révolution non visible au Liban est celle des pères fondateurs de...

commentaires (1)

a noter aussi qu'un probleme UNIQUE & MAJEUR se pose chez nous : c'est le sens a donner a divers qualificatifs, a diverses appellations tels que: souverainete, allegeance, independance, honnetete meme, nationalisme,interets de la nation,leadership et autres notions qui faconnent constitutions, lois et surtout, surtout appartenance a la nation.

Gaby SIOUFI

10 h 02, le 28 août 2021

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • a noter aussi qu'un probleme UNIQUE & MAJEUR se pose chez nous : c'est le sens a donner a divers qualificatifs, a diverses appellations tels que: souverainete, allegeance, independance, honnetete meme, nationalisme,interets de la nation,leadership et autres notions qui faconnent constitutions, lois et surtout, surtout appartenance a la nation.

    Gaby SIOUFI

    10 h 02, le 28 août 2021

Retour en haut