Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

La neutralité, seule planche de salut pour l’avenir du Liban

La neutralité, seule planche de salut  pour l’avenir du Liban

Le printemps arabe a été le prélude à des bouleversements sociaux et géographiques divers dans la région. Patrick Baz/AFP

« Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir », Jean Jaurès (1859- 1914), homme politique.

Le Liban est plongé depuis bientôt quarante ans dans une longue agonie due à la guerre du Liban, à un effondrement progressif et quasi total de la République et de ses institutions, auquel ont largement participé la mauvaise gouvernance et la corruption de la classe dirigeante, l’affiliation extranationale de composantes communautaires à des puissances étrangères, sans oublier une tutelle syrienne lourde de conséquences tant au niveau humain que politique. Le tournant de l’année 2021 plongera-t-il le pays dans les abysses profonds d’une mort comatique ou, au contraire, poussera-t-il son peuple désespéré à entreprendre une lutte sans merci pour sa survie et sa renaissance ?

Pour essayer d’avoir des réponses à ce questionnement et aux causes qui ont entretenu ce mal, il faudrait revenir à la création de l’État d’Israël, en 1948… L’Orient vit alors le drame de la spoliation de l’État palestinien, le renvoi de ses habitants hors de leurs terres et frontières et la mainmise militaire des assaillants sionistes sur tout ce territoire qu’ils baptiseront « Israël » !

Un grand chantier géopolitique a alors été décidé en catimini avec l’Occident et principalement avec les États-Unis. Une vaste opération de démantèlement systématique et progressive de tous les États-nations existant autour de lui en mini-États est mise en place. Conçu à moyen et long termes par Ben Gourion, ce vaste programme régional a été lancé très vite après la création de l’État d’Israël. Il n’a certes pas pu être réalisé sans guerres ni destructions et sans surtout de grands transferts de populations et sans, naturellement, une prolifération du nombre des réfugiés…

Ce projet n’a pas pu être exécuté, aussi, sans le soutien secret et confidentiel d’alliances-clés et d’accords stratégiques entre Israël et certaines minorités régionales, dont principalement les alaouites en Syrie (issus de la communauté chiite), les chiites d’Iran, et le silence « complice » de bon nombre de pays arabes ! Une nouvelle géographie s’est donc développée, des alliances inattendues et improbables ont vu le jour, un nouveau panorama géostratégique moyen-oriental s’est progressivement dessiné et a commencé aussitôt à se substituer à l’ancienne géographie des lieux, préparant de nouvelles implantations de populations dans différentes régions du Machrek arabe.

Pendant ces soixante-dix ans, le monde arabe qui représentait, grâce à la manne du pétrole et du gaz, une force économique et démographique certaine, a sombré dans la luxure et la médiocrité, car il n’a jamais envisagé de vision globale d’avenir et encore moins de plans de développement économique, sur les fronts tant interne que régional. Cette situation a favorisé le déclenchement de révolutions internes, identifiées sous le nom de « printemps arabes », préludes à des bouleversements sociaux et géopolitiques divers. Ces évènements ont affaibli les pays concernés, ont secoué leurs infrastructures et facilité la progression des plans et objectifs israéliens.

L’émergence de la République islamique

Entre-temps, une nouvelle force est apparue sur la scène moyen-orientale, à savoir la République islamique d’Iran, aile perse du chiisme. Elle fut encouragée et poussée par un Occident à la recherche de nouveaux équilibres régionaux (sunnites, chiites et diverses minorités) et des moyens de consolider ses propres intérêts et ceux de la viabilité de l’État d’Israël dans une région hostile à son implantation.

Ce nouveau venu, fort des rapports ancestraux entretenus par les différentes composantes de sa propre population, dont la juive, a cherché à travers sa révolution à s’introduire au sein du Machrek arabe et à jouer un rôle aux côtés des populations chiites arabes résidentes. Renforcé en cela par son alliance avec la Syrie d’Assad, il a cherché à se positionner comme un acteur incontournable de la nouvelle équation régionale en Méditerranée. Il devient très vite le principal représentant du chiisme politique régional ; il se substitue à celui en provenance de l’Irak arabe et s’impose comme l’un des éléments stratégiques du puzzle.

Face à lui se pointe la Turquie d’Erdogan, qui bouscule sur son passage toutes les alliances politiques historiques que son pays entretenait avec ses voisins et avec les pays d’Occident, et s’impose elle aussi comme le principal représentant du sunnisme politique régional, en lieu et place de l’Arabie saoudite !

Parallèlement à cette situation et de manière concomitante, l’État d’Israël continue à évoluer et à consolider son implantation régionale pour s’imposer progressivement, en attendant la fin de la guerre israélo-arabe, comme le futur chef de file et le pivot des États minoritaires du Machrek arabe !

Un nouveau panorama géopolitique moyen-oriental se met progressivement en place. Il provoquera, après l’effritement et le démembrement des grands États arabes de la région, une redistribution géographique et démographique territoriale et humaine à travers des transferts de certaines de ses populations vers d’autres pays riverains ou internationaux. Il occasionnera aussi l’apparition de nouvelles équations identitaires régionales, sociales, communautaires, politiques et économiques.

Parmi les conséquences immédiates de tous les bouleversements susmentionnés qui ont secoué cette région du monde, l’Orient va vivre une dégradation systématique de nombre d’accords fondamentaux et l’érosion de certains traités précédemment signés, entre Israéliens et Palestiniens, et ouvrir la voie à l’adoption par les États-Unis de nouvelles décisions spectaculaires dont, sur le front intérieur, la tolérance de la politique israélienne d’implantation et la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël.

Ainsi, jour après jour, se dessinaient davantage les conditions et les contours géopolitiques de cet État et de celui du futur État palestinien. Cette évolution régionale va s’accompagner aussi de la signature d’accords de paix entre Israël et plusieurs États arabes, dont les Émirats arabes unis ou le Soudan, et d’autres en gestation. Ce train d’accords a été suivi immédiatement d’échanges bilatéraux, dont des investissements dans les domaines touristique et technologique, ouvrant ainsi la voie à une plus grande normalisation entre Israël et le monde arabe, et la consolidation de son positionnement économique régional.

Le cas du Liban

Le Liban, qui vivait depuis 1975 les drames d’une guerre de quinze ans entreprise par les forces syriennes pour assurer le renvoi de la résistance palestinienne vers les territoires occupés, allait subir en contrepartie de ce « sauvetage » une tutelle syrienne durant quinze nouvelles années, dont les conséquences politiques dévastatrices allaient ouvrir la voie à des changements internes importants et créer un environnement sociopolitique malsain géré par une « gent politique » majoritairement corrompue et largement à la solde de puissances étrangères.

Les prémices de cette « aventure » allaient se mettre en place au lendemain de la réunion de Taëf et préparer, dix ans après, les premières secousses, divisions et dissensions verticales entre les composantes politiques, qui vont entraîner des blocages politiques chroniques, tant sur les fronts internes que régionaux, un effondrement social et sécuritaire très substantiel, une crispation de tout le système de gouvernance et une dilution systématique de toutes ses infrastructures fondamentales, administratives, judiciaires, légales, économiques, bancaires, éducationnelles et sanitaires, pour aboutir à une crise financière très aiguë.

À cela sont venus s’ajouter plusieurs évènements, dont la « thaoura » du 17 octobre 2019, et ensuite deux autres, majeurs et dramatiques, la pandémie de Covid-19 et l’explosion du 4 août au port de Beyrouth, enfonçant le pays tout entier dans une crise existentielle très grave, voire presque mortelle !

Le Liban, établi géographiquement entre deux États tampons, n’a jamais pu être vraiment « digéré » par ses deux voisins, pour des raisons d’ailleurs différentes. Depuis sa création, ils ont toujours cherché à le déstabiliser, le diluer, et même à « l’effacer » potentiellement de la carte de cette région du monde ! La Syrie, pour avoir subi un démantèlement de son territoire en faveur de ce nouveau venu, et Israël, pour avoir considéré que la présence de cette nouvelle entité à sa frontière était structurellement et fondamentalement aux antipodes de la sienne et qu’elle était capable de lui faire de « l’ombre », du fait de ses libertés, de son ouverture sur le monde, son rôle de pont entre l’Orient et l’Occident, son vivre-ensemble multicommunautaire et multiculturel, les capacités de ses cadres professionnels, son activité économique et financière débordante, sa richesse humaine, sociale et culturelle et surtout l’importance de sa diaspora largement implantée à travers le monde !

Le projet de neutralité du Liban

Cette parenthèse géopolitique est un rappel nécessaire pour comprendre les conséquences vitales et existentielles concernant la survie du pays du Cèdre, au moment où ce dernier traverse la crise la plus grave de son existence et que l’Orient subit, depuis la création de l’État d’Israël, les démembrements systématiques des principaux États-nations du Machrek arabe. Toutes ces étapes ont amené ces différents pays à vivre des transformations majeures au sein de leurs géographies en mini-États, pour être ultérieurement prêts à subir des restructurations afin de pouvoir être potentiellement intégrés à une future confédération de toutes les « minorités » (Israël inclus), envisageable à l’occasion de futures négociations de paix qui pourraient asseoir et consolider une paix éventuelle entre Israël et les États arabes…

À travers tout ce « vacarme » et ces développements géopolitiques, nous avions depuis l’année 2005, au vu des circonstances régionales et internationales de l’époque, jugé que la conjoncture internationale était bien choisie pour relancer le projet de « Neutralité objective et permanente » du Liban, déjà prévu au moment de sa conception en 1920 et maintes fois envisagé par le passé par des personnalités politiques et académiques, tout au long des différentes étapes traversées par l’histoire du Liban, depuis 1943. Nous y avions vu des garanties constitutionnelles et une ceinture de sécurité, d’indépendance et de souveraineté, de stabilité et de pérennité pour l’instauration, enfin, et presque automatiquement, d’un État civil en vue d’un meilleur équilibre et de plus de justice sociale entre les différentes composantes sociopolitiques.

C’est pourquoi nous nous sommes attelés à y travailler en associant uniquement des citoyens, parce que nous cherchions à obtenir une adhésion nationale et populaire à ce projet. Nous avons cherché ensuite à entreprendre d’officialiser notre démarche par l’enregistrement au ministère de l’Intérieur d’une association à but non lucratif, en 2016, sous le nom de « Rassemblement en faveur de la paix et de la neutralité du Liban ». Mais nous n’avons malheureusement jamais pu obtenir jusqu’à ce jour l’agrément du ministère, du fait de l’obstruction effrontée et clairement déclarée d’une cheffe du service responsable de ces dossiers engagée politiquement dans les rangs du binôme chiite !

Déchéance et décrépitude

Entre-temps, la situation politique intérieure avait évolué sur le terrain. Le régime en place, dans la foulée des précédents, n’a pas cessé d’accumuler les erreurs et les fautes graves, rendant le pays ingouvernable et incontrôlable, du fait de la pression du Hezbollah (porte-parole et bras militaire régional d’une puissance étrangère), lequel n’a pas cessé de prendre en otage le peuple libanais tout entier et de lui imposer les règles de ses commanditaires.

Face à la déchéance et à la décrépitude de cet État décapité à tous ses niveaux et dans tous les domaines confondus, et en l’absence surtout d’une justice digne de ce nom, les amis du Liban, principalement la France, le Vatican, l’Occident et le monde arabe, sont tous très inquiets et se sont mobilisés pour soutenir la cause, le rôle et les objectifs du pays du Cèdre et éviter son effondrement total et sa dilution.

La situation intérieure se détériorant, des voix libres, indépendantes et souverainistes se sont élevées de l’intérieur, avec à leur tête Sa Béatitude le patriarche Raï, qui a exprimé haut et fort à la face du monde deux propositions majeures et indispensables pour essayer de sauver le peuple libanais de cet « enfer » dans lequel le pouvoir en place l’a plongé. S’adressant aux Nations unies, il a exprimé expressément deux souhaits, qui sont l’équivalent d’un appel au secours en faveur d’un « pays en danger de dilution et de décomposition », en leur demandant :

1- Leur intervention directe et d’urgence pour éviter la disparition du Liban, avec ce que cela implique comme actions et dispositions à entreprendre au vu du droit international.

2- Leur décision d’octroyer au Liban une reconnaissance internationale d’un statut de « neutralité objective permanente » afin de consacrer et de garantir définitivement son existence, son identité, son indépendance, sa souveraineté et sa stabilité.

À partir de là, le monde est invité à prendre acte de l’importance, tant pour l’Orient que pour l’Occident, du rôle du Liban en tant que terre de message et de dialogue entre ces deux parties du globe, ainsi que de l’importance du vivre-ensemble, pluricommunautaire et pluriculturel ; sans compter le rôle de terre de refuge et de médiation pour tous les États de la région, surtout après que la paix israélo-arabe aura été définitivement signée.

Israël, qui avait historiquement toujours eu des velléités d’occuper la place économique, culturelle et humaine du pays du Cèdre, et plutôt que de continuer à entretenir avec lui une concurrence et une animosité constantes, devrait réaliser l’importance stratégique de vivre à l’avenir dans une région bientôt pacifiée, aux côtés d’un voisin régional polychrome, bénéficiant d’un statut de neutralité permanente, offrant des atouts régionalement et internationalement, et surtout des capacités et des compétences humaines, tant sur le plan interne qu’au niveau de sa diaspora.

La question qui se pose avec acuité aujourd’hui est de savoir comment le peuple libanais devrait s’investir entièrement sur le terrain pour ne pas avoir à payer le prix de la paix entre Israël et le monde arabe. Ce peuple se doit aussi de résister et d’opérer à travers les prochaines élections législatives des changements profonds au niveau de ses représentants politiques en les choisissant pour leur probité, leur jeunesse, leurs capacités, leur crédibilité, leur transparence et leur nationalisme au-dessus de toute épreuve afin d’éviter l’effondrement économique et financier du pays et la dilution de son identité. Ce peuple libanais « exceptionnel » doit continuer à agir, uni et solidaire, pour garantir sa survie, en militant en faveur de la seule planche de salut pour son avenir, à savoir sa « neutralité objective permanente ».

Personne ne doit désespérer et se laisser tenter par les chemins de l’émigration. Tous les jeunes devraient, malgré les sacrifices, continuer à militer pour une nouvelle république civile, décentralisée, juste, digne, transparente, productive et neutre.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

« Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir », Jean Jaurès (1859- 1914), homme politique.Le Liban est plongé depuis bientôt quarante ans dans une longue agonie due à la guerre du Liban, à un effondrement progressif et quasi total de la République et de ses institutions, auquel ont...

commentaires (2)

Puissante diatribe venant du coeur, et construite par la raison.

SATURNE

15 h 35, le 25 août 2021

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Puissante diatribe venant du coeur, et construite par la raison.

    SATURNE

    15 h 35, le 25 août 2021

  • > POINT, LE RESTE N'EST QUE VOEUX PIEUX. > MERCI DE SORTIR CETTE FAUSSE IDEE QUI DE PLUS DONNE LEGITIMITE A HEZB & LES ACCOLYTES PRO SYRIENS. GRAND MERCI POUR CET OPTIMISME .

    Gaby SIOUFI

    13 h 27, le 25 août 2021

Retour en haut