Le Parlement libanais s'est penché vendredi après-midi sur la lettre que lui a envoyée samedi dernier le chef de l'État Michel Aoun, dans laquelle il demandait que le Législatif débatte de la situation socio-économique catastrophique du pays, surtout après la décision de la Banque du Liban d'arrêter les subventions sur les carburants sans attendre la mise en place d'une carte d'approvisionnement pour les plus pauvres. Une décision qui a paralysé la plupart des secteurs du pays déjà en crise.
A l'issue de la réunion qui a duré environ une heure et demi, la Chambre s'est prononcée en faveur de l'accélération de la mise en place de la carte d'approvisionnement, la formation rapide d'un nouveau gouvernement, et la libéralisation du marché de l'emprise des monopoles. La Chambre ne s'est toutefois pas clairement exprimée sur la fin ou non des subventions.
Carte d'approvisionnement et gouvernement
"La majorité des positions exprimées ont montré que la solution passait par la formation rapide d'un nouveau gouvernement, l'accélération de la mise en place de la carte d'approvisionnement et la libéralisation du marché de l'emprise des monopoles", a souligné le président de la Chambre Nabih Berry, selon des propos rapportés par notre correspondante Hoda Chedid.
La carte d’approvisionnement avait été adoptée fin juin mais ses contours n’ont été finalisés que récemment par le comité ministériel chargé de le faire. Depuis, le processus ne semble pas avancer, alors que les fonds de la Banque centrale ne suffisent plus pour maintenir les subventions coûteuses sur les carburants dont de grandes quantités finissent en Syrie voisine en raison de la contrebande.
Dans sa missive envoyée au Parlement la semaine dernière, le chef de l'État demandait au Parlement de "débattre de la situation socio-économique survenue après la décision du gouverneur de la Banque du Liban d'arrêter les subventions des matières et denrées essentielles sans attendre la mise en place d'une carte d'approvisionnement, et les conséquences engendrées par cette décision". Le chef de l'État avait également rappelé que le gouvernement n'avait pas pu se réunir pour étudier ce dossier "suite au refus de son chef de le convoquer". En effet, le Premier ministre sortant, Hassane Diab, avait rejeté l'appel du chef de l'État à convoquer un Conseil des ministres, estimant que cela était contraire à la Constitution.
Depuis l'annonce par la BDL le 11 août de la levée des subventions sur les carburants, une décision contestée par le gouvernement et le chef de l'État et qui devrait entraîner une hausse de plus de 300% des prix de l'essence et du mazout, de nombreuses stations-service avaient arrêté de vendre leurs stocks en attendant que les nouveaux prix soient fixés, tandis que des files interminables de centaines d'automobilistes se pressaient devant les quelques établissements encore ouverts. L'armée avait ensuite forcé à partir du week-end dernier les établissements à vendre leurs stocks aux tarifs officiels. Le pays souffre également de pénuries de gaz et de mazout, ce qui a poussé de nombreux commerces et secteurs essentiels à tout simplement fermer leurs portes. Conséquence désastreuse de cette crise : une cuve où l'essence était illégalement stockée dans le Akkar avait explosé dimanche dernier, tuant une trentaine de personnes et provoquant un tollé dans le pays et la colère de la population de cette région pauvre du Liban.
Berry rejette les "menaces" de Bassil
Prenant la parole pendant la séance, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil a estimé que le gouverneur de la Banque centrale "a pris une décision unilatérale et nous sommes à quelques jours, trois ou cinq, d'une explosion (de la situation) en raison des carburants. Nous devons intervenir. Le Parlement doit prendre une décision aujourd'hui. A défaut de quoi, nous, en tant que minorité, nous nous interrogeons sur notre place au sein de cet Hémicycle, et si notre présence sert encore à quelque chose, ou s'il faut réduire le mandat du Parlement et organiser des législatives anticipées".
La réponse de Nabih Berry, avec qui M. Bassil entretient des rapports en dents de scie, n'a pas tardé : "Que personne ne menace le Parlement. Ceux qui veulent démissionner peuvent le faire. Mais je n'accepte absolument pas que l'on menace le Parlement". M. Berry a en outre plaidé pour que soit décrété l'état d'urgence sanitaire afin de permettre aux hôpitaux d'importer le matériel médical et les médicaments nécessaires et pour que "soit mis fin aux cartels des médicaments".
Quant au député Ibrahim Moussaoui, membre du Hezbollah, il a fait savoir que son parti "rejette la décision de Riad Salamé et réclame la formation rapide d'un nouveau gouvernement".
Le député Georges Adwan, membre du parti chrétien des Forces libanaises, a pour sa part accusé le Premier ministre sortant Hassane Diab et "certains ministres, de n'avoir rien fait alors que les Libanais se noient dans les crises". "Votre participation au futur gouvernement faciliterait la formation de celui-ci", lui a répondu Nabih Berry.
Samir Jisr, député du Courant du Futur, a de son côté plaidé pour la "mise en place de la carte d'approvisionnement pour les familles les plus pauvres, la libéralisation du marché, et la formation rapide d'un gouvernement".
Hadi Abou el-Hosn, membre du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt, a aussi plaidé pour la mise en place de la carte d'approvisionnement "sous 45 jours, afin que celle-ci ne se transforme pas en carte électorale". Il s'est également dit opposé à "toute loi qui autoriserait à dépenser ce qu'il reste des dépôts des Libanais" en banque, en référence à une demande du gouverneur de la BDL d'une loi du Parlement pour pouvoir puiser dans les réserves obligatoires des banques pour continuer à financer les subventions.
Les députés du Courant Marada de Sleiman Frangié, ainsi que le député Farid Haykal el-Khazen, ont boycotté la séance.
Le chef du CPL, Gebran Bassil, a tenu une conférence de presse suite à la séance parlementaire dans laquelle il s'est à nouveau prononcé en faveur d'un arrêt "progressif" des subventions, tout en plaidant en faveur d'un soutien aux personnes en besoin.
Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah avait annoncé jeudi qu'un premier navire transportant "des tonnes" de mazout iranien prendra la mer "d'ici quelques heures" en direction du Liban. Les opposants au parti chiite ont critiqué cette initiative qui fait craindre des sanctions américaines contre le Liban. Washington avait pour sa part affirmé, selon la présidence libanaise, vouloir approvisionner le pays du cèdre en gaz afin de lui fournir du courant électrique en provenance de Jordanie.
commentaires (13)
Si je comprends bien, les FL sont le seul parti réservé à une communauté religieuse? J'ignorais par ailleurs qu'il existait des monopoles dans le pays et que le CPL était minoritaire dans le parlement. Il a raison M. Berri, le symbole de l'honnêteté, il ne faut pas attaquer ni menacer le parlement car il s'agit de l'institution la plus efficace dans le pays où tout ce qui est comptable et financier est rigoureux et d'une transparence parfaite.
Georges Olivier
22 h 59, le 20 août 2021