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Dans le feu de l’inaction

Tout compte fait, l’État libanais est un piètre assassin. Non point évidemment qu’il fasse dans la dentelle et que son tableau de chasse risque d’être qualifié de modeste : l’an dernier, l’explosion d’un stock de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth faisait 218 morts et des milliers de blessés ; dimanche à l’aube dans la localité de Tleil (Akkar), près d’une trentaine de personnes périssaient et des dizaines d’autres étaient blessées dans l’incendie d’une citerne d’essence clandestine.


Si, en dépit d’un score aussi monstrueux, l’État fait invariablement figure de crétin du crime, c’est parce que dans sa comateuse déliquescence, et assuré de son impunité, il n’a cure des accablants indices qu’il laisse sur les lieux de ses méfaits. Son crime, on jurerait qu’il se complaît à le signer, ne serait-ce que par son absence, son inertie. Dans les tragédies du port comme du Akkar, on retrouve ainsi les mêmes et fatals ingrédients : des matières explosives ou hautement inflammables, illégalement entreposées à des fins inavouables et en l’absence de tout souci de la sécurité publique ; un incroyable manque de professionnalisme, une terrifiante négligence dans la manutention de ces produits ; le congé de vigilance, ou alors la complicité des services censés surveiller et éradiquer ces magouilles ; et pour couronner le tout, cette inévitable, cette omniprésente cupidité qui porte des élus de plus d’un bord, sinon des hauts responsables, à protéger le lucratif racket.


Ce feu qui faisait flamber furieusement les prix et qui, maintenant, s’acharne à tuer les Libanais, l’État, mille fois hélas, ne l’a pas au derrière : même les plus pressantes des urgences s’avèrent impuissantes à le secouer, à le tirer de sa mortelle apathie. Cela fait des mois que le pays se meurt par hémorragie, que les carburants – et avec eux des médicaments, du blé et autres produits essentiels subventionnés – sont acheminés en masse vers la Syrie, alors que les Libanais eux-mêmes en sont cruellement privés ; si le crime des accapareurs et trafiquants confine à la trahison nationale, il n’a d’égal en abjection que celui de passivité, et même de complaisance, commis par ceux qui nous gouvernent.


Nul responsable ne s’est ainsi hasardé à commenter la seigneuriale, l’impériale promesse faite par le chef du Hezbollah de gaver les Libanais de bon carburant iranien, qu’il se propose de faire amener non point en catimini, mais au grand jour. N’allez surtout pas croire, pour autant, que le pouvoir est lui-même en panne de promesses. Comme au lendemain de la catastrophe du port, on nous parle d’une enquête aussi impartiale que rapide sur le brasier de Tleil. Comme pour le port cependant, le cours de la justice est voué à se heurter à ces scandaleuses immunités parlementaires que les responsables de l’énorme bûcher ne manqueront pas d’invoquer. Comme pour le port, on fait miroiter l’avènement d’un nouveau gouvernement ; mais même si celui-ci venait à être formé, aurait-il vraiment la capacité, ou pour le moins la sincère volonté, de procéder à ces réformes vitales auxquelles est réfractaire le gros d’un establishment politique pourri jusqu’à la moelle ?


On vous a tout de même laissé la bonne nouvelle pour la fin. Le président de la République nous garantit des jours meilleurs, comme il l’a affirmé devant des partisans venus de France : meilleurs, oui, si ce n’est tout à fait dans l’immédiat, du moins sous le mandat d’un digne successeur.


Sachant à qui pense le général – suivez mon regard –, vous voilà complètement rassurés.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Tout compte fait, l’État libanais est un piètre assassin. Non point évidemment qu’il fasse dans la dentelle et que son tableau de chasse risque d’être qualifié de modeste : l’an dernier, l’explosion d’un stock de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth faisait 218 morts et des milliers de blessés ; dimanche à l’aube dans la localité de Tleil (Akkar), près d’une...