Rechercher
Rechercher

Culture - Cimaises virtuelles

« One Night Only », entre fantasmes, voyeurisme et revendications

Dans cette exposition en ligne curatée par Amar A. Zahr et Nathalie Ackawi pour Beirut Art Residency sur la plateforme new-yorkaise Artfizz, les artistes Mohamad Abdouni, Omar Khouri, Magali Massoud, Lara Nasser et Lara Tabet lèvent le rideau sur la sexualité tapie dans le noir, sous ses différents aspects.

« One Night Only », entre fantasmes, voyeurisme et revendications

Mohamad Abdouni, « Andrea I », Beyrouth, 2019, jet d’encre sur papier Hahnemuhle, 50 x 70,5 cm, édition de 5. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Dans la lignée de leurs aînés pionniers qui ont représenté le nu sans aucun tabou ou préjugé, cinq jeunes artistes libanais ressortent du placard les libertés des Swinging Sixties, se réapproprient et célèbrent les thématiques liées aux représentations de la sexualité.

Dans « One Night Only », curatée par Amar A. Zahr et Nathalie Ackawi pour Beirut Art Residency sur la plateforme en ligne new-yorkaise Artfizz*, les artistes Mohamad Abdouni, Omar Khouri, Magali Massoud, Lara Nasser et Lara Tabet explorent les thèmes du fétichisme et de l’intimité, chacun à travers ses propres pratiques artistiques.

C’est après avoir remarqué des intérêts communs et des explorations autour de l’idée de la sexualité et la notion du corps dans les œuvres de plusieurs artistes que les curatrices ont eu l’idée de cette exposition virtuelle. « Le point de départ, indiquent-elles, a été les portraits de nu de Magali Massoud, réminiscent de l’école classique italienne de peinture. Ils soulèvent de multiples questionnements autour de la domination, la soumission, et l’image du corps. »

Lire aussi

Colette et Gabrielle Roy, la liberté en partage

L’œuvre de Lara Nasser représente une vision plus moderne de la nudité comme moyen et outil permettant d’acquérir de l’argent et une promotion sociale. Lara Tabet explore ce même esprit de flirt avec les échanges monétaires, mais dans le contexte de l’espace public à travers sa découverte d’une sous-culture à Beyrouth, ces lieux publics où des personnes de la communauté LGBT trafiquent leurs charmes. Mohamad Abdouni raconte, pour sa part, la culture arabe queer, sa mode et ses fétiches. Quant à Omar Khouri, il propose une vision actuelle de la nudité dans le monde arabe.

« L’exposition ne vise pas à briser des tabous, elle cherche plutôt à apporter de nouvelles perspectives sur les images de la sexualité dans le monde arabe, estiment Zahr et Ackawi. Les artistes libanais sont audacieux. Il faut le reconnaître et l’applaudir. Ils sont les briseurs de tabous et apportent leur témoignage sur l’époque qu’ils côtoient. »

L’exposition a été très bien reçue, notamment dans les milieux culturels. « Il est important d’offrir aux artistes des plateformes où ils peuvent exposer librement, sans aucune censure. Nous espérons que les spectateurs apprécieront ces œuvres et verront, au-delà de la qualité esthétique, l’intention intrinsèque de chaque artiste. »


Lara Tabet (en collaboration avec Michelle Daher), « The Reeds, Untitled 07 », 2012, impression pigmentaire, 100 x 150 cm, édition 1/4 + 2 AP. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Lara Tabet, le corps intime et l’espace public

Cela fait des années que l’artiste et photographe Lara Tabet emploie son appareil photo comme un outil pour exploser les parois épaisses qui séparent les genres, ainsi que les codes qui figent les sexualités dans des cases étriquées. C’est donc une évidence de retrouver deux images de sa série The Reeds dans « One Night Only ». Pour ce projet, Tabet, en collaboration avec Michelle Daher, s’est rendue dans ce qui était une zone de cruising gay à Beyrouth. Là, la photographe s’est approprié cet espace qui, sous son objectif, se transforme en un espace de performance où, par le biais d’un jeu de séduction et de transgression, les genres sont inversés, à tel point que cette zone de cruising se dénue presque de son énergie masculine, traversée qu’elle est par ces corps féminins en filigrane. Plus que cela, à la force d’une caméra seulement, Tabet interroge surtout les frontières de l’intime, de l’intimité, en transposant celles-ci dans un espace public.


Magali Massoud, « Yomi », 2017, acrylique sur toile, 125 x 75 cm. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

La chair est triste chez Magali Massoud

« L’intime, c’est ce qu’on a tendance à garder caché, ce que l’on nous apprend, en fait, à garder caché. Comme notre nudité, nos organes génitaux, nos pensées obscènes, obscures, obsessionnelles ou lubriques… C’est ce qui est voué à rester secret chez l’individu. Mais c’est aussi sa nature profonde et sa vérité », affirme Magali Massoud. Cette artiste libanaise de 25 ans, qui poursuit son doctorat à la Sorbonne Paris I, privilégie l’expression humaine dans ses peintures et sculptures. C’est dans cet esprit qu’elle présente dans cette exposition virtuelle deux grands autoportraits, à l’acrylique, en totale nudité. En s’exposant elle-même sur la toile, en y dévoilant sa chair dans une palette de tons bruns, terre et ocre peu flatteurs, elle transgresse l’image pudique du corps de manière crue et exagérée… « Dans un désir de montrer ce que l’on a tendance à cacher et le fait qu’on les cache », soutient-elle. Et même si ses postures dans ces autoportraits dissimulent les parties intimes de son corps, elles n’en révèlent pas moins une facette furtive de sa personnalité, de sa vision du monde et de son être profond. On décèle d’ailleurs dans ses représentations charnelles et tourmentées la forte empreinte de Lucian Freud et d’Edvard Munch, deux maîtres de l’expressionniste introspectif et des passions tristes…

Dans la vraie intimité de la communauté queer

Mohamad Abdouni, réalisateur et photographe de mode, travaille depuis dix ans sur un projet très personnel qui lui tient à cœur : mettre la lumière, à travers une documentation très élaborée, sur la communauté queer dans les pays arabes. « Cela vient de la frustration d’un garçon de quatorze ans qui s’est senti à cet âge tout seul au monde. » L’intimité pour Mohamad Abdouni est une affaire très personnelle qu’on ne partage qu’avec un cercle de personnes choisies. Ce travail photographique, qui a fait par la suite l’objet d’un dossier dans un magazine qu’il publie depuis 2017, raconte les histoires d’une communauté queer bien dans sa peau. Pas de drame ni de traumatisme, mais simplement un certain bien-être qui transparaît à travers les photos de Abdouni chargées de belles histoires émotionnelles. Le portrait d’Andréa fait partie d’une série témoignant de sa belle relation avec sa maman Doris. L’artiste s’invite dans leur intimité et met l’accent sur des situations réelles. Un témoignage positif qui est souvent déformé par la presse à sensation. Cette photo, exposée à l’Institut des cultures de l’islam à Paris, a aussi fait la couverture de Télérama.


Lara Nasser, « Estimation Function », 2018, impression à jet d’encre, 40 x 30 cm. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Lara Nasser et l’homme oriental « positivé »

Lara Nasser est une artiste libanaise multidisciplinaire qui vit et travaille à Brooklyn, aux États-unis. Son œuvre Estimation Function a été réalisée en 2018 à partir d’une manipulation numérique sur une photographie imprimée où elle a remplacé la photo de l’acteur américain Willem Dafoe par un visage anonyme de couleur verte qu’elle a intitulé « Baba ». L’œuvre prend sa source dans le féminisme et le pouvoir que l’artiste revendique et exige en tant que femme arabe, pour tenter de modifier le regard que l’on porte sur l’homme oriental. Elle questionne sa masculinité et son essence intrinsèque qui, dans l’inconscient collectif, renvoient le plus souvent à l’homme voyou, au machiste, à l’arrogant. Et le sexe masculin ne revêt plus que des attributs négatifs. Son but est d’établir la comparaison entre la représentation d’un homme occidental et l’homme oriental. Pour elle, l’acteur occidental demeure un acteur respectable quand bien même il afficherait un parcours moyen, alors qu’un acteur oriental est vite mis sur la touche s’il rate un rôle.

Elle ajoute que cette résultante négative est le produit de la culture orientale. Personne ne naît voyou ou machiste. C’est le modèle de la société qui le modifie. La couleur verte est en référence au fond vert dans le monde cinématographique, une technique d’effets visuels qui permet d’apposer les images désirées en arrière-plan. Elle ouvre ainsi des possibilités, la liberté de choix pour permettre à l’homme de se fondre dans un moule positif, de retrouver sa féminité perdue, de s’humaniser. Aujourd’hui, c’est aux femmes de retourner la situation pour permettre à l’homme oriental d’évoluer, semble dire Nasser.


Omar Khouri, « Artifact no.1 », 2021, huile sur iPhone, 6,5 x 14 cm. Avec l’aimable autorisation de l’artiste

Omar Khouri : ces nus qui se cachent dans les portables

Peintre, bédéiste mais aussi scénariste et acteur, Omar Khouri est cofondateur de Samandal Comics, le premier collectif de bandes dessinées expérimentales au Moyen-Orient. Il possède à son actif des expositions au Liban, au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Japon. L’artiste pluridisciplinaire, diplômé en illustration du Massachusetts College of Art and Design, propose dans « One Night Only » une percutante plongée dans la pratique du sextage, ou l’échange de messages à caractère sexuel, de photographies ou de vidéos par l’intermédiaire de dispositifs technologiques, surtout le téléphone portable. Il interroge cette pratique très actuelle et en vogue. Pour ceux qui s’y adonnent, elle permet peut-être de découvrir leur sexualité, leurs limites, la confiance et l’intimité. Mais elle comporte également de gros risques, notamment pour les adolescents, car dans certains cas, ces messages et images sont utilisés dans le cadre d’intimidations, d’abus ou de chantage.

Khouri peint ses images de nus sur les écrans de vieux téléphones portables, comme une couche de vernis qui dégage ce qui pourrait être tapi dans le noir. Des images qui pourraient illustrer ce qui se cache dans la mémoire de ces appareils gardiens de l’intime.

https://artfizz.com/exhibitions/one-night-only/

Dans la lignée de leurs aînés pionniers qui ont représenté le nu sans aucun tabou ou préjugé, cinq jeunes artistes libanais ressortent du placard les libertés des Swinging Sixties, se réapproprient et célèbrent les thématiques liées aux représentations de la sexualité.
Dans « One Night Only », curatée par Amar A. Zahr et Nathalie Ackawi pour Beirut Art Residency sur...

commentaires (1)

Dieu, que tout cela est laid.

Christine KHALIL

07 h 59, le 14 août 2021

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Dieu, que tout cela est laid.

    Christine KHALIL

    07 h 59, le 14 août 2021

Retour en haut