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Nos Lecteurs ont la Parole

État et présidence (maronite) de la République

L’étude comparative des sociétés pluricommunautaires débouche sur l’affirmation que le chéhabisme n’est pas un parti ni un courant politique, mais la seule méthode de gouvernabilité du Liban. La genèse de l’article 49 de la Constitution stipule que « le président de la République est le chef de l’État », ce qui exprime la fonction régulatrice suprême du chef de l’État.

Le 11e round des pourparlers libano-syriens (18 janvier-26 mars 1987) tendait à créer de nouveaux postes en vue d’une égalité impossible entre les trois plus hautes charges de l’État.

Après l’accord tripartite de Damas (18/12/1985), la médiation diplomatique allemande, européenne et vaticane (24/9 au 3/10/1986) à laquelle j’ai participé, apporte un éclairage sur le dilemme, tout à fait nouveau en droit constitutionnel comparé et dans des régimes parlementaires pluralistes : celui de la conciliation entre partage du pouvoir (power sharing) et séparation des pouvoirs.

Il avait été question d’ouvrir partiellement les trois plus hautes charges afin de sortir de la quadrature du cercle et éviter que le chef de l’État soit l’homme de Baabda ou le président honoraire. On peut dégager 14 propositions visant à régler la quadrature du cercle en ce qui concerne les trois plus hautes charges. Ces propositions sont incompatibles avec le principe de séparation des pouvoirs et nuisent à la haute fonction présidentielle.

L’article 49 de la Constitution, concernant les 14 propositions, fait du président de la République un roi constitutionnel, porteur en permanence du kitâb, à la manière du président Chéhab, roi constitutionnel, au-dessus des salâhiyyât (attributions), des rapports de pouvoir et des ahjâm (taille). Edmond Rizk, qui a participé à Taëf, dit que des légalistes n’ont pas mesuré la portée de l’article 49 nouveau en vue de libérer le sommet de l’État des rapports de pouvoir et de partage de prébendes.

En présentant la genèse historique de l’article 49 au cours d’un séminaire, il me dit : « Tel est le but. Si on l’avait expliqué de la sorte, certains l’auraient refusé ! » D’aucuns disent que l’article 49, ce n’est rien ! Cela découle de l’aveuglement des Libanais, dupes ou manipulés, et du brouillard dans la psychologie historique sur ce que signifie État.

Il est honteux, aberrant, irresponsable, qu’un chef d’État, dans n’importe quel pays au monde, dise : « Quelles sont mes salâhiyyât (attributions) ? Un directeur d’école se demande-t-il quelles sont ses attributions ? Son rôle est d’assurer le fonctionnement et la marche de l’école. Le président d’un conseil d’administration ou le directeur d’une société se demande-t-il : quelles sont mes attributions ? Sa fonction est que l’entreprise marche ! Le chef de l’État au Liban est au-dessus des salâhiyyât, dans le « style », suivant l’expression de Georges Naccache, du président Fouad Chéhab.

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Il s’agit de théoriser la gouvernabilité chéhabiste, en fait prémonitoire durant un mandat (1958-1964). Les recherches comparatives internationales sur les systèmes politiques pluralistes (Suisse, Belgique, Pays-Bas, Autriche, îles Fidji, île Maurice, Irlande du Nord, Zimbabwe, Afrique du Sud, Inde, surtout Liban…) ont connu un développement depuis 1970. Des constitutionnalistes n’ont pas suivi ces travaux et demeurent figés dans des schèmes de pensée paresseuse, aliénée ou jacobine.

La rencontre Chéhab-Abdel Nasser dans une tente aux frontières libano-syriennes, le 25/3/1959, est une date mémorable et symbolique. Le Liban a besoin d’un chef d’État de l’Indépendance, dans un État libanais indépendant. Il n’a besoin ni d’un chef d’État contraint de recourir à l’armée syrienne pour s’installer au palais de Baabda, ni d’un chef d’État de connivence avec le régime syrien pour proroger son mandat, ni d’un chef d’État bénéficiaire, pour être élu, du soutien de ce régime après une longue période de vacuité, ni d’un provocateur délibéré de la vacuité constitutionnelle et du blocage.

Le Liban vit un nouveau combat pour l’indépendance face à une subordination externe par procuration en vue d’un enjeu hors de l’appartenance arabe du Liban et des engagements internationaux. La lutte contre la corruption, la récupération de l’argent public détourné… sont des problèmes dérivés et sans règlement possible et juste en dehors d’un État souverain. Sans souveraineté, les procédures sont exploitées dans un but d’exclusion, de vengeance et de consolidation de l’occupation.

On ne badine pas avec l’État, avec des divagations, des cogitations et des évasions. L’État, tout État, implique quatre fonctions dites régaliennes (rex, regis, roi) qui sont : monopole de la force organisée (et donc pas d’armée parallèle sous n’importe quelle forme, justification et appellation) ; monopole des rapports diplomatiques ;

imposition et perception des impôts ; et gestion de politiques publiques.

Le président de la République ne peut, et ne doit être « fort », suivant le sloganisme en vogue depuis surtout 2016, que s’il « veille au respect de la Constitution » (art. 49 nouveau), et s’il est au-dessus de l’idéologie des salâhiyyât (attributions).

Tout cela implique un profil personnel et caractériel du président de la République au Liban. Le grand obstacle réside dans une psyché maronite, et malheureusement étendue à d’autres chrétiens. C’est l’étude de la genèse de l’Accord d’entente nationale et de l’art. 49 de la Constitution qui apporte l’explication scientifique et pragmatique.

La gouvernabilité du Liban de demain, la libanologie puisée de l’apport des pères fondateurs, des martyrs et de l’action de grands hommes d’État, exigent non plus des politicards marchands de politique, mais des hommes et femmes d’État.

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Les Mémoires de Louis-Joseph Lebret à propos du Liban débouchent sur une observation d’expérience. L’État, pour des raisons de psychologie historique, est perçu comme un organe externe. Dominique Chevallier en témoigne à propos d’auteurs libanais de thèses de doctorat : « J’ai été choqué en constatant à quel point, chez eux, il y a une dissolution du sens de l’État, une absence de référence à l’État (…) La réalité de l’État est gommée. »

Le fond du problème libanais de l’acculturation de l’État se dégage du témoignage de Fouad Boutros qui écrit : « Dans le cours de l’exposé des circonstances, des développements et des prévisions, il (président Chéhab) me pose la question : « Connaissez-vous un précédent où un politicien libanais devant choisir entre son intérêt privé et celui de la nation a préféré celui de la nation au sien ? » J’ai un peu hésité et je lui ai répondu que je ne m’en souviens pas. Il s’est tu et a hoché la tête. Face à l’acuité des circonstances et des sombres prévisions, il m’a conseillé en le quittant que je porte l’échelle en longueur et non en largeur, signifiant par là la vie et ses dilemmes. Jusqu’à présent, je me trouve ballotté entre la longueur et la largeur. »

Une psyché maronite du passé, et malheureusement propagée aujourd’hui par des légalistes ou des démagogues, doit se rendre désormais à cette évidence empirique : Pas d’avenir pour le Liban pluraliste sans président de la République

« chef de l’État » (art. 49), régulateur suprême au nom de la suprématie de la Constitution, et non de sa suprématie, de la taille de ses partisans ou d’une alliance contre nature.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

L’étude comparative des sociétés pluricommunautaires débouche sur l’affirmation que le chéhabisme n’est pas un parti ni un courant politique, mais la seule méthode de gouvernabilité du Liban. La genèse de l’article 49 de la Constitution stipule que « le président de la République est le chef de l’État », ce qui exprime la fonction régulatrice suprême du chef de...

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l'histoire nous enseigne qu'un triumvirat n'est pas la solution

SATURNE

14 h 54, le 17 juillet 2021

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Commentaires (1)

  • l'histoire nous enseigne qu'un triumvirat n'est pas la solution

    SATURNE

    14 h 54, le 17 juillet 2021

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