
Des manifestants coupant une route à Beyrouth à l'aide de pneus enflammés, le 15 juillet 2021. REUTERS/Mohamed Azakir
Le Premier ministre désigné libanais, Saad Hariri a annoncé jeudi qu'il renonçait à former un gouvernement, près de neuf mois après avoir été nommé et au moment où le pays est confronté à la pire crise socio-économique de son histoire. M. Hariri avait été désigné Premier ministre en octobre 2020 et devait mettre en place une équipe censée lancer des réformes indispensables pour débloquer notamment des aides internationales cruciales. Mais après des mois de marchandages interminables avec le camp du président libanais, il a fini par jeter l'éponge. Quelques minutes après cette annonce, le dollar s'échangeait autour de 21.000 livres libanaises sur le marché parallèle, une dépréciation record de la monnaie nationale dans un pays empêtré dans une crise économique inédite depuis des mois. En début de soirée, plusieurs routes étaient coupées à travers le pays, notamment dans les régions à majorité sunnite, par des protestataires en colère. Des heurts ont eu lieu entre les protestataires et des forces de sécurité qui ont tiré des balles en caoutchouc pour évacuer les routes bloquées, selon des journalistes de l'AFP. La Croix rouge a fait état de blessés, sans en donner le nombre.
Le leader sunnite était arrivé peu avant 16h au palais présidentiel afin de s'entretenir, pour la deuxième fois en 24h, avec le chef d'Etat de la mouture de 24 ministres qu'il lui avait présentée la veille. "Lors de nos concertations, le président a réclamé des modifications que j'estime fondamentales dans la mouture gouvernementale", a expliqué M. Hariri aux journalistes à l'issue de son entretien d'à peine 20 minutes avec M. Aoun. "Nous avons évoqué également les questions de la confiance (parlementaire) et la nomination des ministres chrétiens, a ajouté le chef du courant du Futur. Mais il est évident que la position (de M. Aoun) n'a pas changé et que nous ne serons pas capables de nous entendre, le président et moi". Et de poursuivre : "J'ai demandé au président s'il avait besoin de plus de temps pour réfléchir à la mouture. Il m'a dit que nous n'allons pas pouvoir nous entendre". "C'est pour cela que j'annonce ma récusation. Que Dieu vienne en aide au Liban", a lâché Saad Hariri, avant de quitter la salle.
L'interview télévisée
En soirée, il devait expliquer dans une interview accordée à la chaîne al-Jadeed qu’il a "patienté, pendant neuf mois, pour pouvoir former un gouvernement d’experts, capable de lancer les réformes exigées par la communauté internationale". Il a ajouté ne "pas pouvoir mettre en place une équipe telle que le chef de l’Etat la souhaite parce qu’il lui aurait été impossible dans ce cas de gérer le pays", estimant que s'il devait former "un cabinet Michel Aoun", il ne sauverait pas le Liban qui s'enfonce dans une grave crise économique "Vous ne pouvez pas me demander de faire tout mon possible pendant qu'un autre ne veut rien sacrifier du tout. ", a lancé le leader sunnite. "Il y a une équipe qui a décidé de faire souffrir le pays et de nous prendre en enfer, et tous les obstacles que j'ai rencontrés sont causés par cette équipe", a-t-il accusé. M. Hariri a affirmé que Michel Aoun avait insisté pour disposer d'une minorité de blocage, peu importe la composition du gouvernement. "J'ai rendu visite au président avec un esprit ouvert et lui ai demandé de prendre une décision rapide, car cela faisait longtemps que je me suis porté candidat pour former un gouvernement conformément à l'initiative française, c'est-à-dire un gouvernement d'experts. Aujourd'hui je me suis récusé d'un gouvernement sous le mandat Michel Aoun", a déclaré l'ancien Premier ministre.
Saad Hariri a par ailleurs a assuré qu’il ne nommera personne pour prendre sa relève lors des consultations parlementaires contraignantes, mais qu’il "ne bloquera pas le pays". "Je ne crois pas au vide et je ne me permettrai pas de faire partie d'un vide. Si le président Aoun veut maintenir le vide jusqu'à la fin de son mandat, c'est sa décision", a-t-il encore dit.
En réponse a ceux qui estiment que la raison de l'impasse politique est l'absence de soutien saoudien à sa candidature, Saad Hariri a répondu que ce n'est pas l'Arabie saoudite qui empêche un déblocage dans le pays. "L'Arabie saoudite a un problème avec le Hezbollah et un problème avec le Liban", a-t-il répondu, affirmant que les raisons pour lesquelles il ne se rend pas au royaume ce sont les restrictions imposées en raison du coronavirus.
Le Premier ministre libanais désigné, Saad Hariri, annonçant sa récusation, jeudi 15 juillet 2021, à l'issue d'un entretien avec le président Michel Aoun au palais de Baabda. Photo Dalati et Nohra.
La réaction de Baabda
Dans un communiqué quelques heures après la récusation, la présidence a pour sa part déclaré que Saad Hariri ne s'était pas montré disposé à discuter du moindre changement à la proposition qu'il avait soumise la veille, accusant le leader du courant du Futur d'avoir préalablement décidé de se récuser. "Quel est l'intérêt d'un jour supplémentaire si la porte des discussions est close?", a-t-elle répondu. Selon le communiqué, M. Hariri a aussi refusé de prendre l'avis "des groupes parlementaires afin que le gouvernement obtienne la confiance nécessaire au Parlement". Baabda a enfin précisé que des consultations parlementaires contraignantes pour nommer un nouveau Premier ministre seront organisées "au plus tôt".
Saad Hariri avait présenté mercredi au président Aoun une proposition de gouvernement composé de 24 ministres, dans l'esprit, selon lui, de l'initiative du chef du Parlement, Nabih Berry, et de la feuille de route du président français, Emmanuel Macron. Il avait dit attendre la réponse de M. Aoun jeudi avant-midi, "afin de pouvoir agir en conséquence". "L'heure de vérité a sonné", avait-il lancé. Le chef de l'Etat avait pour sa part assuré que la mouture proposée fera "l'objet d'examen et de concertations pour en tirer les conclusions". Mais le ton était déjà donné : les changements apportés par Saad Hariri n’ont pas tenu compte de ce qui avait été convenu précédemment entre les deux hommes, et le délai de 18 heures pour la réponse exigé par le Premier ministre désigné est un "précédent dangereux", estimaient ici les milieux de Baabda, dénonçant une violation de la Constitution.
Un "épisode dramatique"
Quelques heures avant cette dernière réunion entre MM. Aoun et Hariri, le président recevait les ambassadrices française et américaine au Liban, Anne Grillo et Dorothy Shea. Les diplomates ont informé le chef de l'Etat des résultats de leur réunion à Riyad avec des responsables saoudiens où elles s'étaient rendues pour tenter d'inclure Riyad dans les pressions sur la formation d'un gouvernement. Elles l'ont également tenu au courant des discussions qui avaient eu la veille à Washington entre le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et son homologue américain, Anthony Blinken. A l'issue de cet entretien, Jean-Yves Le Drian a annoncé qu'il coordonnera avec son homologue américain Antony Blinken "des mesures de pression françaises et américaines contre les responsables" libanais du blocage. Mais ce forcing diplomatique international de ces derniers jours n'a finalement pas porté ses fruits.
Réagissant au retrait de Saad Hariri, M. Le Drian a déploré un "épisode dramatique". Le renoncement du Premier ministre désigné est "un épisode dramatique de plus dans l'incapacité des responsables libanais à trouver une issue à la crise (...) par rapport à la réalité économique et sociale" du pays, a déclaré à l'ONU le chef de la diplomatie française. "Cette autodestruction cynique qui est en cours vient d'enregistrer un nouvel épisode mais il est encore temps de se ressaisir", a estimé le ministre français. "Cela ramène les responsables politiques libanais devant leurs responsabilités", a ajouté Jean-Yves Le Drian, en déplorant que ce retrait intervienne à quelques jours de l'anniversaire de la tragédie du port de Beyrouth.
L'ONU a aussi déploré le renoncement de M. Hariri. "Nous regrettons que les dirigeants libanais n'aient pu parvenir à un accord sur la formation d'un nouveau gouvernement. Nous réitérons notre appel aux dirigeants politiques du pays à s'entendre rapidement sur la formation d'un nouveau gouvernement capable de relever les nombreux défis du pays", a déclaré une porte-parole de l'Organisation.
Le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmad Aboul Gheit, a de son côté fait valoir que les conséquences de la décision de Saad Hariri pouvaient être "dangereuses pour le Liban". Le secrétaire général s'est "engagé à ce que la Ligue arabe continue de suivre la situation au Liban et de lui tendre la main en ce moment délicat de son histoire contemporaine". Il a aussi appelé la communauté internationale "à continuer d'aider le peuple libanais dans cette situation délicate".
Le Liban est sans gouvernement actif depuis août 2020, après la démission du cabinet de Hassane Diab intervenue dans la foulée de la double explosion dans le port de Beyrouth. Saad Hariri avait été désigné en octobre et il était, depuis, empêtré dans un imbroglio politico-personnel avec le chef de l'Etat et son camp politique, dirigé par son gendre Gebran Bassil. Les deux hommes s'opposent sur leurs prérogatives respectives en matière de formation. M. Hariri reprochait au président d'entraver la formation du gouvernement en insistant sur une "minorité de blocage" au sein de la prochaine équipe ministérielle et en cherchant à imposer une répartition "confessionnelle et partisane" des portefeuilles. La présidence avait pour sa part démenti toute velléité de "minorité de blocage" et exprimé à plusieurs reprises son "étonnement" quant aux "propos" de M. Hariri. La mise sur pied d'un cabinet est pourtant cruciale pour mettre en œuvre des réformes, condition sine qua non à des aides financières internationales qui permettraient d'aider le Liban à s'extraire d'une crise profonde, marquée par une hyperinflation, la paupérisation de plus de la moitié de la population et des pénuries de produits de première nécessité.
Avant M. Hariri, Moustapha Adib, un diplomate peu connu du grand public nommé fin août pour former un gouvernement, avait lui aussi échoué face à la résistance des partis à sa proposition de cabinet. Aucune personnalité ne se dégageant de manière évidente pour tenter de former un gouvernement, tâche revenant à un sunnite selon la Constitution libanaise, le retrait de Saad Hariri risque de retarder un peu plus la mise en œuvre de réformes exigées par la communauté internationale, notamment la France, pour fournir au Liban une aide à même de le sortir de ce que la Banque mondiale a qualifié de pire récession de l'histoire moderne.
Le Premier ministre désigné libanais, Saad Hariri a annoncé jeudi qu'il renonçait à former un gouvernement, près de neuf mois après avoir été nommé et au moment où le pays est confronté à la pire crise socio-économique de son histoire. M. Hariri avait été désigné Premier ministre en octobre 2020 et devait mettre en place une équipe censée lancer des réformes...
commentaires (28)
M. Le Drian a fait un lapsus: en fait, la démission de M. Hariri ramène les irresponsables politiques libanais devant leurs responsabilités. Il est largement temps que l’on fasse le ménage chez nous. Kellon ya@ni kellon!
Micheline
22 h 30, le 15 juillet 2021