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Politique - Analyse

Pourquoi la récusation de Hariri ne change pas fondamentalement la donne

La scène politique libanaise est aujourd’hui prisonnière d’un système que seules des élections peuvent, en théorie, briser.

Pourquoi la récusation de Hariri ne change pas fondamentalement la donne

Saad Hariri, hier, à Baabda. Photo Nabil Ismaïl

Neuf mois pour rien. Toutes les gesticulations politiques, les initiatives internes et externes, les pressions diplomatiques, la colère populaire et, surtout, la déliquescence du pays n’y auront rien changé. Saad Hariri a annoncé jeudi sa récusation après avoir pris acte de son incapacité à s’entendre sur une formule gouvernementale avec le chef de l’État, Michel Aoun. Ce constat sans appel, le Premier ministre désigné aurait pu le formuler il y a déjà des mois, tant il était évident qu’aucune autre issue n’était possible dans le contexte actuel. Mais le chef du courant du Futur a préféré s’accrocher, d’une part par ambition, d’autre part en raison de considérations politiques internes et régionales dont lui, et plus généralement la scène politique locale, sont totalement prisonniers. Et c’est bien là tout le drame de cette séquence qui a en fait débuté le jour de sa démission dans le contexte du soulèvement d’octobre en 2019 : qu’elle soit interprétée comme une bonne ou une mauvaise nouvelle en fonction des préférences politiques de chacun, la récusation de Saad Hariri ne change en fait pas fondamentalement la donne.

On s’explique. Le paysage politique libanais est aujourd’hui construit de telle sorte que pour ne serait-ce que former un gouvernement, il est nécessaire que tous les grands leaders politiques participent au processus, ou à défaut au moins un leader de chaque communauté. Le système – qui est en fait en soi une dérive puisque cette logique n’a rien de constitutionnel – ne peut ainsi « fonctionner » qu’avec des gouvernements de coalition qui reposent sur le plus petit dénominateur commun et qui ont pour principal effet de neutraliser tous les désaccords et de faire le jeu de l’immobilisme. Or, il est désormais impossible pour toutes les parties de s’entendre sur une formule commune, la révolution d’octobre ayant rebattu les cartes et poussé chacun à faire son propre calcul. Autrement dit : les dirigeants libanais ne sont plus aujourd’hui en mesure de « faire semblant » de gouverner. Il leur est d’autant plus difficile d’y prétendre que les enjeux sont dantesques et que les pressions locales et internationales sont tous les jours un peu plus fortes.

Absence d’alternative
La communauté internationale a conditionné l’aide financière structurelle – seule façon de donner un peu d’oxygène au pays – à une série de réformes. En raison des intérêts contraires qui l’animent, sans même prendre en considération l’incompétence de ses membres, le gouvernement d’union nationale n’est pas en capacité de les mettre en œuvre, encore moins dans une situation propice à la surenchère politique. Demandez à dix personnes de scier, ensemble, la branche sur laquelle ils sont assis, et le résultat le plus probable est qu’ils se disputeront à la fois pour savoir qui doit tenir la scie et quelle partie de la branche doit être amputée en priorité. Voilà ce qui se joue, en partie, depuis des mois au Liban.

Saad Hariri pouvait, au mieux, former un gouvernement miné par les conflits internes et très peu susceptible de mettre en œuvre les réformes attendues par la communauté internationale. Certains pourraient ainsi voir sa récusation comme une bonne nouvelle, la fin d’un jeu de dupes auquel personne ne croyait vraiment. Le problème, outre la flambée du dollar qui s’en est suivie, c’est que l’alternative n’est pas vraiment plus réjouissante, à condition même qu’elle existe.

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On peut légitimement dénoncer l’attitude crasse et obscène dont fait preuve la classe politique libanaise à un moment où le pays s’effondre à une vitesse vertigineuse. Mais elle demeure, au moins pour l’instant, la seule à pouvoir faire la pluie et le beau temps au niveau politique. Une fois Hariri écarté, le retour à la case départ signifie de facto celui des vieilles pratiques. Les formations politiques vont devoir s’entendre sur un nom pour le remplacer. Puis, dans le meilleur des cas, sur une répartition des portefeuilles. Et autant le dire tout de suite : il n’y a aucune raison pour que cela fonctionne cette fois-ci. Le tandem chiite (Amal-Hezbollah) ne va pas renoncer à sa volonté d’obtenir le ministère des Finances et de nommer ses ministres. Michel Aoun et son gendre Gebran Bassil ne vont pas renoncer à leur volonté d’obtenir, au moins, le tiers de blocage. Et les sunnites ne vont pas renoncer à leur volonté de retrouver au moins une partie de leurs prérogatives. Autrement dit, les seuls Premiers ministres susceptibles de s’entendre avec Michel Aoun seraient ceux qui sont privés, dès l’origine, de l’appui du leadership de leur communauté. Une situation tout simplement intenable.

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Dans ce contexte, trois scénarios sont envisageables. Le premier est un remake de l’expérience Diab. Il supposerait que les aounistes et le Hezbollah, constatant qu’il est impossible de trouver un terrain d’entente avec le camp Hariri, choisissent de former un gouvernement sans lui. Cela paraît tout de même très improbable. Le gouvernement de Hassane Diab a payé cher l’absence de « légitimité » sunnite. Le président du Parlement, Nabih Berry, qui y était déjà opposé la première fois, fera sans doute tout pour éviter de répéter le même scénario. Un tel gouvernement serait non seulement inapte à mettre en œuvre les réformes nécessaires, mais en plus perçu comme le cabinet du Hezbollah par plusieurs puissances régionales et internationales. Or, le parti de Dieu n’a pas intérêt à se mettre en première ligne dans un tel contexte et semble peu susceptible de privilégier son alliance avec le Courant patriotique libre à celle qui le lie depuis des décennies à Amal. Quel intérêt, par ailleurs, de s’épuiser à former un cabinet qui ne fera pas grand-chose de plus que le gouvernement démissionnaire de Hassane Diab ? Le deuxième est la mise en place d’un gouvernement dont la seule tâche serait de préparer les élections de 2022. Ce scénario est en discussion depuis déjà quelques semaines et plusieurs noms ont déjà été évoqués pour le diriger, comme celui de l’ancien Premier ministre Nagib Mikati. Il serait effectivement plus facile aux différentes parties de s’entendre si la mission de départ est limitée. Mais cela suppose deux choses très peu évidentes. Un : une certaine forme de garantie que ce gouvernement ne tentera pas ou ne sera pas contraint de faire autre chose. Deux : la tenue effective des élections…

Le troisième scénario est le pire et en même temps le plus probable. Celui d’un vide gouvernemental jusqu’aux prochaines législatives, à condition qu’elles se tiennent, qui permettrait à chaque partie de prétendre incarner l’opposition. C’est certainement la stratégie qui a déterminé la récusation de Saad Hariri, lequel pense pouvoir revenir en position de force.

Peut-on imaginer, à la vitesse où la situation se dégrade, que tout le monde attende patiemment encore dix mois avant d’espérer sortir de cette spirale de l’enfer ? Rien n’est moins sûr. La combinaison d’une forte pression interne et externe, notamment via la mise en place de sanctions contre les responsables politiques, pourrait pousser certains d’entre eux à revoir leurs calculs. Mais seules des élections peuvent permettre, en théorie, de véritablement lancer une nouvelle dynamique. En théorie seulement car, si elles ont une chance d’aboutir à un tremblement de terre politique, il est loin d’être impossible que les dirigeants fassent en sorte de les repousser ou refusent, au moins pour certains d’entre eux, d’en assumer les conséquences concrètes. Le comble de l’ironie serait que les élections n’aboutissent qu’à des changements limités et que l’on se retrouve à leur issue dans une situation où Saad Hariri, en tant que leader des sunnites, soit le plus « légitime » à former un gouvernement, à condition de s’entendre avec… Michel Aoun.

Neuf mois pour rien. Toutes les gesticulations politiques, les initiatives internes et externes, les pressions diplomatiques, la colère populaire et, surtout, la déliquescence du pays n’y auront rien changé. Saad Hariri a annoncé jeudi sa récusation après avoir pris acte de son incapacité à s’entendre sur une formule gouvernementale avec le chef de l’État, Michel Aoun. Ce constat...

commentaires (10)

C'est difficile à écrire quand on n'est pas Libanais, mais il y a plus de 60.000 Libanaises et Libanais qui l'avaient signé l'an dernier. A vouloir jouer avec l'argent public du pays au-delà de toute décence; à vouloir passer en force pour bénéficier de la générosité internationale sans faire la moindre réforme essentielle... Le Liban va se retrouver en protectorat. Ce jeu cynique et criminel (car la population civile Libanaise en souffre énormément) est celui de politiciens Libanais, mais également celui des puissances régionales, comme l'Arabie Saoudite et l'Iran, pour ne nommer qu'elles. Ces puissances régionales sont en train de se heurter aux grandes puissances mondiales, et ensuite, fort logiquement à tous les pays qui dans la communauté internationale ont des intérêts moraux ou matériels au Liban. Si - ce qui n'est pas à souhaiter - "la rue" se soulève à nouveau contre "ses" élus la situation deviendra vite incontrôlable sauf à remplacer les institution défaillantes par une nouvelle intervention de l'ONU, avec, peut-être une juridiction pénale internationale comme cela a déjà été fait pour un certain nombre de pays depuis la fin du XXe siècle. Le Liban ne mérite pas cela. Le Liban mérite mieux. Mais c'est aux Libanaises et aux Libanais de le dire clairement et si possible pacifiquement. En tous cas rapidement. La montagne a déjà accouché d'une souris. Inutile d'en refaire une portée avec les mêmes personnes en essayant de ne pas mourir de faim d'ici l'an prochain.

CODANI Didier

17 h 54, le 16 juillet 2021

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Commentaires (10)

  • C'est difficile à écrire quand on n'est pas Libanais, mais il y a plus de 60.000 Libanaises et Libanais qui l'avaient signé l'an dernier. A vouloir jouer avec l'argent public du pays au-delà de toute décence; à vouloir passer en force pour bénéficier de la générosité internationale sans faire la moindre réforme essentielle... Le Liban va se retrouver en protectorat. Ce jeu cynique et criminel (car la population civile Libanaise en souffre énormément) est celui de politiciens Libanais, mais également celui des puissances régionales, comme l'Arabie Saoudite et l'Iran, pour ne nommer qu'elles. Ces puissances régionales sont en train de se heurter aux grandes puissances mondiales, et ensuite, fort logiquement à tous les pays qui dans la communauté internationale ont des intérêts moraux ou matériels au Liban. Si - ce qui n'est pas à souhaiter - "la rue" se soulève à nouveau contre "ses" élus la situation deviendra vite incontrôlable sauf à remplacer les institution défaillantes par une nouvelle intervention de l'ONU, avec, peut-être une juridiction pénale internationale comme cela a déjà été fait pour un certain nombre de pays depuis la fin du XXe siècle. Le Liban ne mérite pas cela. Le Liban mérite mieux. Mais c'est aux Libanaises et aux Libanais de le dire clairement et si possible pacifiquement. En tous cas rapidement. La montagne a déjà accouché d'une souris. Inutile d'en refaire une portée avec les mêmes personnes en essayant de ne pas mourir de faim d'ici l'an prochain.

    CODANI Didier

    17 h 54, le 16 juillet 2021

  • C’est un autre crime que de faire attendre les libanais pendant dix mois très inutilement.

    Wow

    15 h 49, le 16 juillet 2021

  • CAR DANS LE BORDEL, MONSIEUR SAMRANI, ET JE M,EXCUSE DU TERME, SI ON NE CHANGE PAS LA PATRONNE LE BORDEL RESTERAIT UN BORDEL ! RIEN NE CHANGE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 14, le 16 juillet 2021

  • grave erreur d'avoir permis a m aoun d'acceder a baabda, lui qui avait fait une guerre effroyable pour justement y faire face. grave erreur de croire que lois et constitution seraient un jour appliquees au Liban tant que les politiques n'ont aucune moralite& honnetete, essentielles a leurs applications.

    Gaby SIOUFI

    10 h 02, le 16 juillet 2021

  • Il n'y a pas eu de revolution d:octobre maiis un soulevement qui s'est essoufle

    Tabet Ibrahim

    07 h 14, le 16 juillet 2021

  • Ce pauvre Liban a bien prouvé au monde qu'il est incapable de se gouverner lui-même. Malheureusement seule une tutelle internationale est de nature à relever ce pays du naufrage.

    Georges Airut

    03 h 55, le 16 juillet 2021

  • Très bonne analyse.

    Kaldany Antoine

    03 h 30, le 16 juillet 2021

  • Je ne reconnais plus le Liban , il est à la merci du Hezbollah, Iran et Arabie Seoudite , pauvre Liban ….

    Eleni Caridopoulou

    00 h 36, le 16 juillet 2021

  • Les deux sont fautifs et responsables de la situation actuelle , pourquoi Hariri, sachant pertinemment et ce depuis neuf mois qu'il lui serait impossible de composer un gouvernement dans ces conditions, neuf mois de perdus ....Quand à l'autre illuminé d'en face que pourrait on ajouter de plus, sauf que l'on sait qu'il apparaît ,avec sa clique, en tête de liste des responsables sanctionnés par l'Union Européenne et les USA

    C…

    23 h 24, le 15 juillet 2021

  • Est ce que le ministre actuel de l’intérieur a les compétences et le savoir faire pour organiser des élections législatives ? J’en doute. Circulation alternée, ça va ! Ne lui en demandez pas plus.

    Lecteur excédé par la censure

    20 h 34, le 15 juillet 2021

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