L’autoplaidoirie développée hier par le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, mis en cause par le juge d’instruction dans l’affaire de la double explosion meurtrière du 4 août au port de Beyrouth, Tarek Bitar, s’apparente, dans la forme du moins, à celle qu’avait orchestrée, il y a quelques mois, le Premier ministre sortant Hassane Diab, également impliqué dans cette affaire. Si Hassane Diab a fait prévaloir une « politisation » de la procédure dénonçant le ciblage du poste qu’il occupe, le directeur de la Sûreté lui a évité de mettre en jeu, pour sa défense, son appartenance communautaire et préféré accuser le juge Bitar de comportement arbitraire. Connu pour sa proximité avec le Hezbollah, Abbas Ibrahim a repris hier presque mot pour mot les propos du secrétaire général du Hezb, Hassan Nasrallah. Ce dernier avait dénoncé, lors de son dernier discours, une instrumentalisation de la justice. Le dignitaire chiite avait justifié sa position par le fait que les mises en cause de neufs hauts responsables politique et sécuritaire (anciens et actuels) dans cette affaire ont été connues « via les médias » et non selon les canaux officiels.
Un argument repris par Abbas Ibrahim qui a critiqué, dans des déclarations, les rumeurs « portant atteinte » à sa réputation qui ont largement circulé « avant même qu’(il) ne soit informé de toute décision, conformément aux usages ». Hassan Nasrallah avait en même temps dénoncé le fait qu’aucun « rapport technique » sur les causes des explosions n’a encore été publié par la justice. À son tour, le directeur de la SG a appelé la justice à « présenter à l’opinion publique son rapport sur les causes de l’explosion ».
Bref autant de similitudes qui ont alimenté les rumeurs selon lesquelles ce puissant responsable sécuritaire ne pouvait défier de la sorte la justice s’il n’avait pas obtenu au préalable la couverture de son parrain, le Hezbollah. L’histoire dit qu’après avoir donné son accord de principe autorisant la comparution de M. Ibrahim, le ministre de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, son supérieur hiérarchique, s’est ravisé. Une attitude qui lui aurait été dictée par le Hezbollah, avait rapporté le site Assass, un média financé par l’ancien ministre Nouhad Machnouk, lui-même mis en cause dans ce dossier.
« Ce n’est pas à (Abbas Ibrahim) de dire ce que doit faire le juge d’instruction ni comment il doit le faire », lance Antoine Saad, avocat et spécialiste en droit international et constitutionnel. Le directeur exécutif de l’Agenda légal, Nizar Saghiyeh, ne mâche pas ses mots, lui non plus. « C’est une rébellion contre la justice, un mépris de la loi et une trahison à l’égard des victimes (du drame du port) et de la souveraineté judiciaire », dit-il.
Sollicités par L’Orient-Le Jour pour confirmer ou infirmer les accusations adressés à leur parti, plusieurs responsables du Hezbollah étaient injoignables hier. Rana Saheli, chargée de communication au sein du parti chiite, a pour sa part indiqué que le Hezb ne répondra probablement pas à ces propos. « Qu’on se le dise une fois pour toutes : Abbas Ibrahim est l’homme qui sert de lien entre l’Iran, la Syrie, le Hezbollah et le président du Parlement, Nabih Berry », dit-il.
Ancien membre des services de renseignements de l’armée, Abbas Ibrahim a fait au cours des dernières années une ascension fulgurante au sein de l’appareil de l’État. Candidat pressenti dans certains milieux pour succéder à Nabih Berry, dont il était initialement proche, cette posture a fini par affecter leur relation, le chef du Parlement souhaitant que la succession se fasse au sein même du mouvement Amal, qu’il dirige, alors que le Hezbollah pourrait en décider autrement. Abbas Ibrahim jouissait également de la confiance du chef de l’État, Michel Aoun, qui lui confiait souvent des missions ardues, dont récemment celle d’effectuer la médiation entre le Premier ministre désigné Saad Hariri et le camp aouniste pour débloquer le nœud gordien de la formation du gouvernement. Une relation qui se serait cependant détériorée, le chef de l’État étant aujourd’hui disposé à le lâcher dans son bras de fer avec la justice, relate-t-on dans certains milieux informés.
Tribunal militaire
Dans sa défense, Abbas Ibrahim a par ailleurs affirmé qu’il se présenterait devant la justice dans le cadre de l’instruction quand les procédures respecteraient « les cadres administratifs et judiciaires ». « Je suis un fils de l’institution militaire et j’ai toujours respecté le pouvoir judiciaire. Je comparaîtrai devant la justice quand les choses seront faites en conformité avec les cadres administratifs et judiciaires », a justifié M. Ibrahim. Dans ses propos, il insinuait ainsi que c’est au tribunal militaire que revient la compétence de le juger dans cette affaire et non à la Cour de justice.
Des juristes rappellent à ce propos que le directeur de la SG, la soixantaine, a de toute manière dépassé l’âge requis, 58 ans, pour être considéré comme faisant encore partie de l’institution militaire et donc faire valoir la compétence du tribunal militaire. Cette cour exceptionnelle, dont l’existence est remise en cause depuis des années par les activistes et juristes réformateurs, a souvent été critiquée pour sa compétence injustifiée dans certaines affaires civiles à cheval avec des dossiers impliquant des militaires. On dénonce également ses décisions « biaisées » et souvent « parachutées par les services de renseignements de l’armée », note M. Saad.
Ce nouvel imbroglio politico-judiciaire pourrait se compliquer un peu plus sachant que la loi sur les fonctionnaires prévoit un recours en appel de la décision du ministre. L’article 61 de cette loi prévoit en effet qu’en cas de refus du ministre de l’Intérieur d’autoriser son subalterne à comparaître, le juge d’instruction Tarek Bitar peut réitérer sa demande et intenter un recours en invalidation de la décision de Fahmi. À ce moment-là, la balle se retrouverait dans le camp du procureur près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, qui doit trancher dans un sens ou dans un autre.
Ce dernier s’était récusé dans le cadre de cette affaire pour éviter un conflit d’intérêt, sachant que son parent Ghazi Zeaïter est mis en cause et l’un des neufs responsables convoqués par le juge Tarek Bitar. Sauf qu’il continue de jouir de cette prérogative administrative qui sera pour lui un véritable test de loyauté envers la justice qu’il s’est juré de servir.
Dans un tweet cinglant qui a sonné comme une mise en garde, Nizar Saghiyeh a écrit hier : « Le juge Bitar ne chôme pas. Il a d’ores et déjà présenté un recours en invalidation de la décision du ministre de l’Intérieur (...) Le chef du parquet a 15 jours pour trancher. À défaut, l’immunité (dont se prévaut Abbas Ibrahim) est considéré de facto levée. »
commentaires (19)
Mon premier message semble avoir été censuré je remet le point le plus important MR BITAR CONVOQUEZ HASSAN NASRALLAH QUI EST DANS L’OPINION DE TOUS PROPRIÉTAIRE DU NITRATE ET VOYONS QUEL SERA SON IMMUNITÉ POUR ÉVITER DE SE PRÉSENTER À VOTRE BUREAU
LA VERITE
18 h 03, le 11 juillet 2021