Les membres du bureau du Parlement et de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice se sont réunis hier en commission mixte lors d’une séance présidée par le chef du législatif, Nabih Berry, à Aïn el-Tiné, pour discuter de la demande de levée de l’immunité des trois députés et ex-ministres Ali Hassan Khalil, Ghazi Zeaïter et Nouhad Machnouk. Ils n’ont pas statué sur cette requête formulée par le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar, qui les a mis en cause dans l’affaire de la double explosion au port de Beyrouth, affirmant que les documents que leur a envoyés ce dernier ne sont pas suffisants pour adopter une décision aussi importante que celle de la levée immunitaire. Une position que plusieurs observateurs ont décrit comme une fuite en avant.
« Nous avons demandé à M. Bitar de nous fournir des documents propres à confirmer les suspicions invoquées, pour que la commission mixte se réunisse à nouveau, une fois ces preuves disponibles, pour poursuivre l’examen de la demande de levée immunitaire et transmettre un rapport accompagné de recommandations à l’Assemblée plénière », a affirmé le vice-président du législatif, Élie Ferzli, qui participait à la réunion en tant que membre du bureau du Parlement. La commission mixte dispose d’un délai de quinze jours pour transmettre son rapport au Parlement, qui devra décider à une majorité relative d’accepter ou de refuser de lever les immunités. En réponse à une question d’un journaliste, M. Ferzli a indiqué que le délai ne court qu’à partir de la réception d’« un dossier complet ».
Aussitôt que Tarek Bitar avait annoncé (le 2 juillet) la liste des députés, ex-ministres, responsables sécuritaires et militaires qu’il suspecte, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l’avait critiquée, qualifiant l’enquête sur la double explosion au port d’« exploitation politique ». De nombreux observateurs craignent ainsi que la classe au pouvoir ne coopère pas avec la requête de M. Bitar, tandis que les proches des victimes font pression tous les jours pour empêcher les députés de rejeter la demande de levées de l’immunité. Ils ont dans ce cadre tenu hier un sit-in en concomitance avec la réunion, dans une atmosphère de très vive tension (voir par ailleurs).
Prévoir les dommages
Interrogé par L’Orient-Le Jour, Hadi Hobeiche (courant du Futur), qui fait partie de la vingtaine des députés réunis, affirme que l’exigence de « documents sérieux » est imposée par le règlement intérieur du Parlement. En l’espèce, le document expédié par M. Bitar évoque une lettre envoyée en 2014 par la Sûreté générale aux différents responsables, les notifiant de la présence au port d’un navire chargé de nitrate d’ammonium, en provenance de Géorgie et à destination de Mozambique, qui a fait l’objet d’une saisie judiciaire par une société dont le propriétaire du navire est débiteur. Dans cette missive, le juge d’instruction indique que les responsables « n’ont rien fait pour écarter le danger, alors qu’ils ont pu prévoir les dommages considérables que pourraient causer les matières dangereuses ». Il base essentiellement ses accusations sur le Code pénal en vertu duquel une infraction est réputée intentionnelle lorsque son auteur en avait prévu l’effet délictueux et en avait accepté le risque.
« Lors de la séance, M. Zeaïter (ancien ministre des Travaux) nous a assuré qu’il n’avait jamais réceptionné la lettre de la Sûreté générale sur laquelle le juge Bitar a basé ses accusations », affirme M. Hobeiche. Quant à Alain Aoun (Courant patriotique libre), il rapporte à L’OLJ que l’ex-ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, qui a également été auditionné hier à Aïn el-Tiné, a assuré que contrairement à MM. Zeaïter et Khalil, entendus par le prédécesseur de M. Bitar, Fadi Sawan, il n’a été convoqué par aucun des deux juges pour témoigner. « En tout état de cause, Tarek Bitar aurait dû et devrait convoquer les trois anciens ministres pour recueillir leurs dépositions afin qu’il soit en mesure d’envoyer à notre commission un dossier détaillé et complet sur lequel celle-ci pourrait baser son rapport », martèle M. Hobeiche.
Selon M. Ferzli qui répondait à un journaliste à l’issue de la séance, aucun des députés présents n’a évoqué la possibilité de rejeter les levées immunitaires. Pour sa part, Alain Aoun affirme à L’OLJ que certains ont mentionné que c’est la Haute Cour chargée de juger les présidents et les ministres qui serait compétente pour juger MM. Machnouk, Khalil et Zeaïter. L’Assemblée plénière pourrait en effet arguer que les actes reprochés à ces derniers ont été commis dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions de ministres, et constituent « des manquements graves à leurs charges » sans qu’ils ne comportent les éléments de « négligence intentionnelle », sur laquelle s’est basé M. Bitar et qui relève de la justice ordinaire. Elle pourrait alors se saisir de l’affaire et décider de mettre en accusation les responsables concernés devant la juridiction exceptionnelle. Une manière de les faire échapper à toute sanction. Une telle décision nécessite en effet un vote des deux tiers de l’Assemblée, un chiffre impossible à atteindre vu les alliances politiques. La Haute Cour de justice n’a d’ailleurs jamais procédé à une condamnation, laquelle exige le vote de 10 des 15 membres qui la composent, un chiffre également difficile à atteindre.
Scruté par l’opinion publique qui l’attend au tournant, l’establishment politique pourrait-il encore une fois torpiller l’enquête ? Alain Aoun reconnaît que « la responsabilité de l’État ne peut plus être occultée cette fois-ci ». « Personne ne peut prétendre qu’il n’a aucun lien avec la catastrophe », affirme-t-il. Il se prononce même pour une abolition des immunités, notant que celles-ci sont prévues par la loi de manière restrictive pour « empêcher seulement qu’un député soit visé en raison de ses convictions politiques ».
commentaires (9)
il n'est pas permis d'accuser hezb de tous nos maux. plutot accuser ceux qui s'y conforment et qui s'y complaisent . l'index de nasrallah ne saurait faire n'etait ce leur complicite.
Gaby SIOUFI
09 h 12, le 11 juillet 2021