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Nos Lecteurs ont la Parole

Pour la génération 3G et de la fibre optique, l’attente est insupportable

Dans ma courte existence à l’échelle du temps planétaire, je croyais avoir tout vu… Enfant de la guerre, de la terreur et des abris, j’ai connu les files d’attente devant les boulangeries pour un paquet de pain, les queues devant les stations d’essence et le nœud au ventre devant le sous-fifre syrien qui vous rackette avant de vous laisser passer avec clémence.

J’ai connu aussi la réconciliation boiteuse et l’essor économique fulgurant qui ont suivi, avec les nuits d’ivresse et de folie qui ont fait notre réputation. Et l’amertume de voir les causes de nos malheurs s’ériger en leaders, mettre la main sur les ressources du pays et profiter de la manne de la reconstruction. J’ai connu le silence honteux devant cette abdication qui ne disait pas son nom.Tout sauf le retour à la terreur, aux massacres, aux morts inutiles. Et je me suis tue quand ils ont, année après année, rempilé au pouvoir et aux postes, pillé les caisses de l’État, l’argent des aides internationales et les impôts payés à la sueur de nos fronts, parce que lourdement armés ou pernicieusement menaçants, agitant le spectre de la disparition des minorités et leur protection.

Ils nous ont sortis des abris mais ils nous ont gardés sous leur coupe. Syndrome de Stockholm vécu pleinement et bu jusqu’à la lie. Jusqu’au funeste 4 août qui, en pulvérisant Beyrouth, a fait exploser la chape de plomb hypocrite qui nous asphyxiait. Depuis ce jour, nous sommes véritablement entrés en enfer et chaque jour qui passe nous enfonce encore plus dans des flammes qui rongent plus que nos corps éprouvés par les privations, nos âmes désespérées par la noirceur de notre quotidien, que pas une lueur à l’horizon, pas une prière ne soulage.

Les cartels qui nous gouvernent se sont unis pour nous faire payer cher notre invraisemblable et culotté besoin de justice et désir de vérité. Leur message est clair. Vous voulez la vérité et la justice ? Vous aurez la faim, la misère et la faillite. Alors on attend des heures sous le soleil de juillet les quelques litres d’essence qui nous conduiront au travail pour quelques livres libanaises que nous échangerons avec un peu de chance contre quelques grammes de lait au prix que nous mettions jadis sur le champagne des jours de fête. Le soir, autour d’un bol de labné précieux comme un bol de lait d’ânesse, je tente de calmer les éruptions révoltées de mes enfants qui ne conçoivent pas comment on accepte cette situation aberrante, dégradante, humiliante, en plein XXIe siècle. Pour cette génération qu’on a mise au monde et couvée pour bisquer nos tyrans, qu’on a biberonnée à l’amour du pays, qui a grandi les yeux rivés sur Tiji et Nickelodeon, le monde est une vague qu’ils surfent les yeux fixés sur leurs écrans. Leurs droits sont universels et leurs ambitions et devoirs vont bien au-delà du courant électrique, de l’essence, de la farine et du lait. La planète est en danger et l’espèce est menacée. Ils ont leur vision du changement et leur échelle de priorités. Devoir s’aplatir pour ce qui n’est que besoins de base, ce frein à leur envol et ambitions pour le pays les mine de l’intérieur.

Pendant que nous frémissons à feu doux, ils bouillonnent et sont sur le point d’exploser. J’ai beau leur expliquer que nous assistons à l’agonie de ce système méprisable, que nous devons veiller tout en priant qu’il ne nous entraîne pas avec lui, que comme toute créature néfaste il ne rendra l’âme qu’après s’être joué de nous une dernière fois, tellement l’idée que nous puissions continuer et prospérer sans lui lui est intolérable.

Pour cette génération de la 3G et de la fibre optique, l’attente est insupportable et 2022 est dans une autre dimension. C’est maintenant qu’ils veulent agir, c’est maintenant qu’ils veulent changer. La voix de la sagesse, celle de leurs aînés, n’est que voix de lâcheté et de soumission. Alors ils égrènent leurs choix : partir, attendre 2022 sous des cieux plus cléments, avec le risque de ne plus revenir, rester et militer à la Guevara ou à la Ghandi en regardant leurs parents se flétrir et vieillir prématurément de trop de soucis. Quelle que soit leur décision, leur avenir immédiat est gris. Le nôtre aussi.

Dans ce contexte, la journée pour le Liban, initiée par le pape, n’a pas eu l’effet cataplasme escompté. Pardonnez-moi Saint-Père, mais pour une fois, le saint message du Christ avait un goût bien amer. Laisser aussi notre chemise à qui a pris notre manteau ? Seigneur, nous leur avons donné nos peaux et maintenant ils s’acharnent aussi sur nos os… Seigneur, ayez pitié de nous.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Dans ma courte existence à l’échelle du temps planétaire, je croyais avoir tout vu… Enfant de la guerre, de la terreur et des abris, j’ai connu les files d’attente devant les boulangeries pour un paquet de pain, les queues devant les stations d’essence et le nœud au ventre devant le sous-fifre syrien qui vous rackette avant de vous laisser passer avec clémence.J’ai connu aussi la...
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