L’enquête sur la double explosion du port de Beyrouth a été complètement relancée. Le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, a lancé hier des poursuites contre de hauts responsables politiques et sécuritaires et annoncé son intention d’interroger le Premier ministre sortant Hassane Diab. En fin de matinée, il avait aussi ordonné la remise en liberté sous caution du commandant Daoud Fayad, de la Sûreté générale, et de l’ingénieure Nayla el-Hage, chargée du contrôle technique du chantier de réparations du hangar numéro 12 au port de Beyrouth, où était stocké le nitrate d’ammonium à l’origine du drame.
Alors que son prédécesseur, Fadi Sawan, avait été dessaisi de l’enquête après avoir inculpé plusieurs responsables politiques, Tarek Bitar a frappé fort en engageant le processus de poursuites contre pas moins de neuf responsables. Sont concernés par cette décision : les députés et ex-ministres Nouhad Machnouk, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, l’ex-ministre Youssef Fenianos, l’ex-commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi, le chef de la Sécurité de l’État, Tony Saliba, le chef de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, un ex-chef des renseignements de l’armée, Camille Daher, et d’autres officiers. Toutes ces personnes « ont fait preuve de manquements et ont commis des fautes et elles doivent en répondre », indique à L’Orient-Le Jour une source judiciaire proche du dossier, soulignant que « tous ceux qui étaient au courant du stockage du nitrate d’ammonium et qui auraient dû s’assurer de son évacuation font l’objet de poursuites ».
Fadi Sawan avait déjà inculpé Ali Hassan Khalil, Youssef Fenianos, Ghazi Zeaïter et Hassane Diab. Ce dernier avait refusé d’être interrogé par le magistrat, estimant « qu’au-delà d’une personnalité, c’est sa fonction qui était visée », une manière de jouer sur la fibre communautaire. Le Premier ministre sortant avait immédiatement reçu dans cette affaire le soutien de tout le leadership sunnite. Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter avaient eux aussi refusé de comparaître et avaient porté un recours contre Fadi Sawan pour suspicion légitime auprès de la Cour de cassation. Les deux députés d’Amal reprochaient notamment au juge d’instruction de ne pas avoir respecté leur immunité parlementaire. La Cour de cassation avait satisfait leur demande en récusant le juge le 18 février.
C’est certainement pour éviter que ce scénario ne se répète que Tarek Bitar a décidé de procéder différemment. Le juge d’instruction a adressé une requête au Parlement pour lever l’immunité des députés Machnouk, Zeaïter et Khalil, en vue de leur inculpation. Il a également demandé à l’ordre des avocats de Beyrouth la levée de l’immunité de ces deux derniers, avocats de profession, et requis du conseil de l’ordre de Tripoli une levée immunitaire de Youssef Fenianos, affilié à cet ordre. « Toutes mes convocations sont adressées aux personnes concernées sur base de suspicion et non à titre d’audition de témoins », explique à L’OLJ Tarek Bitar. « Ces mesures sont nécessaires pour auditionner chaque suspect sur une potentielle volonté d’homicide, ainsi que des négligences et manquements qui ont favorisé la survenue de la catastrophe », explique la source judiciaire proche de l’enquête.
Réponse du Parlement
Preuve de l’efficacité de la méthode ou simple volonté de préserver leur image publique, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zaïter, poursuivis pour d’éventuelles infractions alors qu’ils occupaient les portefeuilles respectifs de ministre des Finances et de ministre des Transports et des Travaux publics, se sont dit disposés à comparaître devant le juge d’instruction, pour « l’aider à parvenir à la vérité et à définir les responsabilités ». « Nous avons appris la demande de levée de notre immunité à travers les médias, mais nous sommes prêts à être entendus avant que le Parlement ne donne son autorisation », ont-ils affirmé hier dans un communiqué. À l’heure de mettre sous presse, le chef du gouvernement sortant n’avait pour sa part pas encore réagi. La séance d’audition avec M. Diab a été fixée, mais sa date n’a pas été pour l’instant rendue publique.
M. Bitar doit désormais attendre la réponse du Parlement pour procéder à ses inculpations. « La levée d’immunité des députés sera traitée dans un esprit positif, à condition d’une part qu’elle soit notifiée au bureau de la Chambre selon les règles en vigueur, et d’autre part qu’elle renferme des motifs sérieux témoignant d’accusations sérieuses », affirme à L’OLJ le vice-président du Parlement, Élie Ferzli.
L’immunité dont bénéficient les parlementaires, consacrée par l’article 40 de la Constitution, a permis par le passé aux députés de contourner la justice, dans un pays où le politique intervient régulièrement dans les affaires judiciaires. « Le cas échéant, le chef du législatif, Nabih Berry, pourra réunir le bureau de la Chambre afin d’examiner les indices évoqués dans la requête, avant de transmettre celle-ci à l’Assemblée plénière », ajoute M. Ferzli. Une source proche de M. Berry note que la décision du juge Bitar est intervenue vendredi, doutant que le bureau de la Chambre en ait été notifié en ce début de week-end. La question ne serait donc examinée qu’à partir de lundi, selon la source précitée. À noter que Fadi Sawan avait estimé que les deux députés d’Amal ne jouissaient de toute façon pas de l’immunité parlementaire puisque l’affaire portait sur une éventuelle « négligence intentionnelle ».
Les poursuites contre MM. Khalil et Zeaïter, ainsi que M. Fenianos, sont également tributaires de l’autorisation respective des barreaux de Beyrouth et de Tripoli. « Nous n’avons pas encore reçu la demande du juge Bitar », indique Nader Gaspard, membre du conseil de l’ordre des avocats de Beyrouth. « Elle devrait me parvenir et je devrai l’étudier en qualité de commissaire du Palais de justice », ajoute-t-il, précisant qu’il devra alors entendre MM. Khalil et Zeaïter avant de transférer la demande au conseil de l’ordre. Celui-ci aura un mois pour statuer. Selon une source du conseil de l’ordre, il ne devrait pas être réticent à donner l’autorisation, d’autant que les deux ex-ministres avaient suspendu leur affiliation au barreau durant leurs mandats.
Quant à l’ancien ministre Youssef Fenianos, une source judiciaire proche du dossier indique à L’OLJ qu’en tout état de cause, la loi ne l’inclut pas dans les textes concernant les jugements des ministres et Premiers ministres. N’étant plus en fonction, Youssef Fenianos relève désormais de la justice ordinaire. M. Fenianos avait été également convoqué par Fadi Sawan. Il s’était rendu à l’époque au Palais de justice de Beyrouth afin de comparaître, mais son audience avait été reportée.
Situation cocasse
Le juge Bitar a en outre requis l’autorisation du ministre sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, pour poursuivre le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim. M. Fahmi a assuré hier avoir approuvé la demande du juge. Ce dernier a également demandé à la présidence du Conseil son feu vert pour poursuivre le général Tony Saliba, à la tête de la Sécurité de l’État, créant une situation cocasse où le Premier ministre, lui-même suspecté, doit approuver les poursuites contre un responsable dépendant de sa hiérarchie. « Abstraction faite de sa convocation, M. Diab doit répondre à la requête concernant Tony Saliba dans les 15 jours à dater de sa notification, à défaut de quoi l’autorisation est considérée comme délivrée d’office », explique un magistrat ayant requis l’anonymat. Le chef de la Sécurité de l’État avait été convoqué vers la mi-décembre par l’ancien juge d’instruction Fadi Sawan mais son audience avait été reportée. Pour l’ex-commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi, l’autorisation de la ministre sortante de la Défense, Zeina Acar, n’est pas requise. « M. Kahwagi est désormais un officier retraité », explique Paul Morcos, fondateur du cabinet d’avocats Justicia. Tarek Bitar a enfin demandé au parquet général près la Cour de cassation de « faire le nécessaire concernant plusieurs juges », sans préciser ce que cela impliquait.
« Quel que soit le prix »
À peine nommé, Tarek Bitar avait affirmé « qu’il ne laisserait pas l’enquête dévier », dans une claire volonté de ne pas prendre en compte les lignes rouges qui semblaient avoir été imposées à son prédécesseur. Plus de dix mois après la déflagration, l’enquête n’a encore donné aucun résultat, au grand dam des familles des victimes. Tarek Bitar avait annoncé début juin qu’il se donnait deux mois pour déterminer les causes du drame et que sur les trois hypothèses sur lesquelles portait l’enquête, l’une avait été écartée à 70 %. Il n’avait toutefois pas précisé laquelle. « La première hypothèse est celle d’une erreur lors de travaux de soudure sur la porte du hangar 12 et qui aurait provoqué l’incendie puis l’explosion. La deuxième est celle d’un acte militaire ou terroriste intentionnel à l’intérieur du port, et la troisième est celle d’une frappe aérienne à l’aide d’un missile », avait expliqué le juge. Face aux « failles » de l’instruction locale, des dizaines d’organisations, ainsi que des survivants et proches de victimes, avaient envoyé mi-juin une lettre au Conseil des droits de l’homme de l’ONU afin de réclamer qu’il se saisisse de l’enquête, dénonçant la « culture d’impunité » dont jouissent les dirigeants libanais. Une délégation de proches des pompiers tués lors de la double déflagration tandis qu’ils tentaient de lutter contre l’incendie doit se rendre lundi pour une énième visite auprès du juge d’instruction. Celui-ci les avait réunis la semaine dernière et leur avait assuré que l’acte d’accusation ne devrait plus tarder et qu’il allait le rendre quel que soit le prix que cela pourrait lui coûter, d’après William Noun, frère de l’une des victimes.
Tarek Bitar a engagé hier un bras de fer avec quelques-uns des hommes les plus puissants du pays. Son issue pourrait avoir un impact bien au-delà de l’affaire, dans une atmosphère de colère populaire et de demande générale de reddition des comptes.
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"Tarek Bitar avait annoncé début juin qu’il se donnait deux mois pour déterminer les causes du drame et que sur les trois hypothèses sur lesquelles portait l’enquête, l’une avait été écartée à 70 %. Il n’avait toutefois pas précisé laquelle. « La première hypothèse est celle d’une erreur lors de travaux de soudure sur la porte du hangar 12 et qui aurait provoqué l’incendie puis l’explosion. La deuxième est celle d’un acte militaire ou terroriste intentionnel à l’intérieur du port, et la troisième est celle d’une frappe aérienne à l’aide d’un missile », avait expliqué le juge. " Qu'est-ce que ça peut bien nous foutre de savoir la cause de l'incendie puis l'explosion d'une quantité de nitrate d'ammonium QUI NE DEVAIT PAS SE TROUVER SOUS LE HANGAR No 12 LE 4 AOUT 2020, NI MEME A N'IMPORTE QUELLE AUTRE DATE!!! LE NITRATE D'AMMONIUM A PLUS DE 30% D'AZOTE EST UN EXPLOSIF, REGI PAR LE DECRET 137 ET QUI NE DOIT PAS ETRE IMPORTE SANS UN PERMIS DU CONSEIL DES MINISTRES!!! ALORS CHER MONSIRUR BITAR, AU LIEU DE VOUS ACHARNER SUR LE PAUVRE HASSANE DIAB QUI N'A RIEN A VOIR AVEC TOUTE CETTE HISTOIRE, ALLEZ INCULPER LES PERSONNES SUIVANTES: -PRIMO, LE JUGE JAD MAALOUF QUI A ORDONNE LE DECHARGEMENT DE LA CARGAISON EN OCTOBRE 2014 -SECUNDO, LES MINISTRES DU CABINET TAMMAM SALAM QUI ONT OCTROYE UN PERMIS D'IMPORTATION DE NITRATE D'AMMONIUM A LA SOCIETE LIBANAISE DES EXPLOSIFS EN OCTOBRE 2014 JUSTEMENT! BANDE D'ABRUTIS!!!
Georges MELKI
11 h 02, le 05 juillet 2021