Après onze mois en prison dans le cadre de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août dernier, Nayla el-Hage a été remise en liberté conditionnelle hier par le juge Tarek Bitar. Ingénieure, elle intervenait en tant que contrôleur technique sur le chantier qui avait lieu au hangar numéro 12. Celui-là même qui abritait les centaines de tonnes de nitrate d’ammonium dont la déflagration a dévasté des quartiers entiers de la capitale et causé la mort de plus de 200 personnes. Juste après le drame, la piste d’un incendie accidentel lié à ces travaux de réparation avait été rapidement privilégiée par les autorités libanaises. Onze mois de détention plus tard et malgré sa remise en liberté, Nayla el-Hage, seule femme parmi les 25 personnes arrêtées suite au 4 août, ne sait toujours pas pourquoi elle a été arrêtée et emprisonnée pendant si longtemps. « L’Orient-Le Jour » a pu la rencontrer à sa sortie de prison avant qu’elle ne retrouve enfin son frère et sa mère. Dans un entretien exclusif, elle raconte ses mois de cauchemar. Le doute et la culpabilité d’abord, l’incompréhension et l’isolement ensuite, et enfin la peur de ne jamais sortir de ce qu’elle décrit comme « une pièce de théâtre organisée ».
Comment vous sentez-vous ?
Libre ! Et c’est une drôle d’impression de l’être. J’avais très peur que ce soit parti pour longtemps encore. Juste après le 4 août, les autorités avaient dit que l’enquête serait bouclée en cinq jours. Cinq jours, je me disais que c’était tout à fait supportable. Puis, deux jours après mon arrestation, mon avocat m’a dit : « Ne t’inquiète pas, dans trois jours tu seras sortie, tu n’as rien à voir là-dedans. » Mais voilà, ça a duré onze mois. Onze mois durant lesquels on me disait chaque semaine que je serais libérée lors de la suivante. Ça faisait longtemps que je ne le croyais plus. Ma mère y croyait, ou alors elle faisait semblant pour me donner de la force. Ce vendredi matin, lorsque mon nom a été cité aux informations avec celui du commandant Daoud Fayad (de la sûreté générale, NDLR) pour une remise en liberté, je n’y croyais toujours pas. J’attendais de voir le papier.
Pouvez-vous nous raconter votre arrestation ?
Le soir de l’explosion, la sécurité générale du port m’a contactée pour me dire que je serais appelée le lendemain pour faire une déposition. Ça m’a rendue anxieuse, mais la personne au bout du fil m’a beaucoup rassurée. J’ai demandé si je devais être accompagnée d’un avocat, on m’a répondu que ce n’était pas du tout nécessaire. Le lendemain matin, mercredi, pendant que je nettoyais le verre brisé dans mon appartement complètement détruit par l’explosion, j’ai été convoquée à la direction générale de la sécurité intérieure. Je m’y suis rendue. Et rapidement, les questions ont viré à l’intimidation. Pas de violences, mais des phrases vexantes, provocatrices et parfois des cris. À ce moment-là, j’ai senti qu’il ne s’agissait pas d’une simple déposition. J’ai commencé à sentir que quelque chose se préparait, sans avoir la moindre idée de ce qui allait m’arriver. Le soir-même, des agents sont arrivés avec un bout de papier disant qu’ils avaient reçu l’ordre de m’arrêter. À ce moment-là, le monde s’est écroulé. Je n’ai pas pleuré mais j’allais m’évanouir. On m’a mise dans une cellule en sous-sol à la sécurité intérieure. J’étais très anxieuse, je n’ai pas dormi de la nuit, je ne faisais que fumer. J’étais la seule femme. Puis deux jours plus tard, on m’a transférée à la prison militaire de Rihanyié.
Aviez-vous conscience de travailler, au port, près d’une bombe à retardement ?
Le jour de l’explosion, lorsqu’on m’a appelée pour me dire que ça venait du hangar numéro 12, je n’y ai pas cru du tout. Pendant 20 minutes, j’étais dans le déni total. Il était impossible pour moi de le concevoir puisque je m’y trouvais quelques heures plus tôt. Pendant deux ans, j’ai travaillé à côté d’une bombe sans le savoir. Il n’y avait absolument rien qui pouvait indiquer que cet entrepôt abritait des substances aussi dangereuses. Rien. Il m’est arrivé de travailler dans des bâtiments où se trouvaient des produits dangereux. Normalement, dans ces cas-là, il doit y avoir une barrière de sécurité, des contrôles très stricts pour y accéder, et des formations de sécurité. Là, il n’y avait rien de tout cela.
Avez-vous eu le sentiment d’avoir été responsable de ce drame ?
Les trois premiers jours ont été horribles. J’ai passé 72 heures à me remémorer ce que j’avais fait le jour de l’explosion et les jours d’avant. À essayer de me souvenir si j’avais fait une erreur durant les travaux qui auraient pu conduire à cela. La culpabilité était insoutenable. Ça m’a tuée à l’intérieur. Puis, je me suis rendu compte que non, ce n’était pas moi le problème mais qu’il y a des gens qui sont responsables et qui ne veulent pas être en première ligne. J’ai fini par reprendre confiance, et je n’ai plus douté. Mais j’ai réalisé que je m’étais retrouvée dans une pièce de théâtre organisée, que j’étais prise dans une mascarade montée de toute pièce. J’ai appris, aussi, que certains médias disaient n’importe quoi au sujet de mon poste, par exemple que j’étais responsable de la maintenance au port. Alors que ça n’est pas du tout le cas. J’ai commencé à me dire qu’on essayait de me coller un truc sur le dos. Et même si j’espérais toujours pouvoir sortir, je me disais aussi que si les vrais responsables étaient suffisamment puissants pour arriver à leurs fins, il n’était pas impossible que les gens arrêtés, et dont la responsabilité est bien moindre, finissent par payer le prix de tout cela. Alors je me demandais vraiment si j’allais pouvoir m’en sortir ou pas.
Racontez-nous votre détention.
J’étais dans un conteneur destiné aux prisonnières soldates. Une cellule de 24 mètres carrés. J’étais parfois seule, parfois avec d’autres détenues. Nous étions quatre au maximum. Certaines personnes arrivaient dans des états très compliqués. Il est arrivé qu’une des détenues fasse des crises de manque de drogue et se mette à vomir partout. Avec une autre prisonnière, nous avons passé la nuit à nettoyer derrière elle. Il est arrivé qu’une prisonnière passe une journée entière à se taper la tête contre les murs. C’était difficile, mais j’ai été bien traitée. J’ai passé la plupart de mon temps à lire. On m’a conseillé d’écrire mon expérience mais j’en étais incapable. C’est comme si je n’arrivais pas à aligner les mots sur la feuille, comme si je voulais tout oublier pour pouvoir tenir. Et puis j’ai attrapé le Covid-19 au mois d’avril. C’était dur, mais bien moins difficile que mes trois premiers mois de détention. Pendant cette période, je ne faisais que penser à l’explosion. J’ai refait l’histoire mille fois dans ma tête. Et je me demandais sans cesse comment je m’étais retrouvée dans cette situation. La dernière image que j’avais en tête était celle de mon appartement ressemblant à un champ de ruines. Au lieu d’être un soutient pour ma famille, qui a aussi été touchée physiquement par ce qui s’est passé (l’explosion), c’est elle qui devait me soutenir. Et puis, professionnellement, je n’existais plus. On m’a complètement mise à l’écart, à tous les niveaux. j’ai été marginalisée, on a gelé mes comptes bancaires. Mais, le plus dur, était la solitude et ce besoin de voir mes amis et ma famille.
Pendant cette période, quels ont été vos échanges avec les enquêteurs ?
Jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi j’ai été arrêtée et pourquoi je suis restée si longtemps en détention. On m’a toujours répété que j’étais en prison pour les besoins de l’enquête. Mais ça n’aurait pas dû durer plus de 4 ou 5 jours dans ce cas ! Je ne savais rien. Des enquêteurs m’ont parlé les tout premiers jours. Puis quelques semaines plus tard, j’ai vu le juge Fadi Sawan (premier juge en charge de l’enquête, NDLR) pendant quatre heures. Puis plus rien pendant six mois ! Il ne m’a plus jamais rien demandé ! J’ai senti que les choses ont commencé à avancer lorsque le juge Bitar a récupéré l’enquête. Il était plus rassurant dans son discours, même s’il restait flou. Il me disait : « Inchallah que cette histoire prenne fin un jour. » Moi, je ne savais pas trop comment interpréter ce genre de phrase. Tarek Bitar m’a vue trois fois. Puis j’ai eu le Covid-19, et on a dû me garder en quarantaine. Je suis restée positive pendant 25 jours ! C’était horrible parce que mon avocat me disait que le juge voulait m’entendre à nouveau mais qu’il attendait que je sois négative. J’étais tellement stressée. Je me disais que je ratais les opportunités d’être entendue et de pouvoir me défendre. Finalement, il ne m’a même plus reçue.
Que comptez-vous faire maintenant que vous êtes libre ?
Je n’ai pas le temps de réfléchir à mon avenir. Je mets tout cela de côté pour le moment jusqu’à ce que l’enquête se termine et qu’on sache ce qui va se passer. En prison, j’ai eu le sentiment qu’on m’avait volé une partie de ma vie. Je le sens encore aujourd’hui. Je ne sais pas si j’aurai recours à des voies juridiques pour faire valoir mes droits. Plutôt que d’aller en procès, j’ai envie de pouvoir communiquer mon expérience par le biais de conférences et avec des ONG. J’ai envie de me battre pour ce qu’on m’a volé mais pas avec hargne. Je veux être en paix.
commentaires (10)
11 mois sans mise en examen ni procès Quelle honte pour le pays mais que dire alors des centaines de personnes dites islamistes qui croupissent en prison depuis des années sans jugement ? LA VÉRITÉ LA JUSTICE DANS CE PAYS EST UNE FARCE OU LES PUISSANTS SONT HORS D’ATTEINTE ET LES SANS CONNECTIONS DES PIONS AVEC LESQUELS ON JETTE DE LA POUDRE AUX YEUX AU PEUPLE NB:AUCUNE COMPARAISON ENTRE LE SORT DE CETTE DAME ET LES PRISONNIERS DIT TERRORISTES , LE SEUL CRITÈRE ET LE PROBLÈME COMMUN ÉTANT DE PASSER UN TEMP INTERMINABLE EN PRISON SANS ÊTRE JUGÉ PENDANT QUE LES COUPABLES SONT EN LIBERTÉ . Qui peut croire que les millions de captagons saisie en Arabie Seoudites sont le fait de ceux qui ont avoué ce forfait et pas du tout du. ROI du captagon qui continue à être en liberté ? A QUAND LE GRAND BALAI DES POLITICIENS ET DE LA JUSTICE ?
LA VERITE
12 h 11, le 04 juillet 2021