Pas d’essence, pas de médicaments, pas de dollars et… toujours pas de gouvernement. La situation a beau se dégrader à vitesse grand V depuis quelques jours, cela ne semble avoir aucun effet sur les tractations politiques en cours en vue de former un nouveau cabinet.
Le Premier ministre désigné Saad Hariri n’est pas pressé de prendre le taureau par les cornes. Il sait qu’il devrait gérer la question de la levée des subventions et assumer la responsabilité politique qui en découle. « Il est évident que cela risque d’affecter sa popularité », dit un proche du chef du courant du Futur. De l’autre côté de l’échiquier, le chef du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil, essaie de pousser Saad Hariri dans ses derniers retranchements. Il lui a fait une nouvelle offre, assurant qu’il était prêt à soumettre une proposition de loi au Parlement pour trancher la question des subventions s’il obtient en contrepartie tout ce qu’il souhaite au sein du nouveau gouvernement. Un « Donne-moi les clés et je paye l’assurance », en somme. « Hariri pense que c’est un nouveau piège », dit la source précitée.
En résumé : non seulement l’impasse est totale pour former le gouvernement, mais tous les acteurs politiques ont en plus conscience que même si cette étape est franchie, il sera impossible au nouveau cabinet de mettre en œuvre les réformes attendues par la communauté internationale. C’est dans ce contexte que l’idée d’un gouvernement dont la principale mission serait de préparer les prochaines élections législatives prend de l’ampleur. « Même si un cabinet est formé, Hariri ne pourra pas mener de réformes économiques ni organiser des législatives anticipées en raison de l’opposition du Hezbollah », dit le proche du Premier ministre désigné. « Autant faire un gouvernement sans Hariri pour superviser les élections », affirme de son côté un responsable au sein du CPL.
Plusieurs noms circulent
Même les Français se seraient convertis à ce scénario. Constatant l’échec de leur plan A – un gouvernement réformiste –, ils misent désormais tout sur les prochaines élections espérant que celles-ci favorisent l’émergence d’une nouvelle classe politique. « Toutes les grandes chancelleries ont les yeux tournés vers cette échéance », confirme un diplomate occidental, sous couvert d’anonymat. « Ce sera au gouvernement qui en résultera d’entreprendre les grandes réformes », ajoute-t-il. Du côté des pays arabes, ceux qui soutiennent Saad Hariri, à savoir l’Égypte et les Émirats arabes unis, l’encouragent à ne rien céder pour arriver aux élections dans une position plus confortable. Ceux qui, au contraire, espèrent le voir disparaître de la scène politique, à l’instar de l’Arabie saoudite, misent aussi sur les élections pour changer la donne et faire émerger de nouvelles forces. Même le bras de fer entre Michel Aoun et Saad Hariri se déroule désormais dans cette perspective, chacun voulant se positionner comme le champion de son camp afin de renforcer sa popularité.
Dans ce contexte, le gouvernement « transitoire » devrait être présidé par une personnalité qui ne se présenterait pas aux prochaines élections. Face à ces calculs, de nombreuses personnalités ont commencé à se préparer à briguer le poste. Gebran Bassil, qui tente depuis des semaines de se rapprocher de l’Arabie saoudite pour écarter Saad Hariri, a déjà proposé plusieurs noms. Selon un diplomate arabe de haut rang, il a demandé à l’ambassadeur du Liban à Paris, Rami Adwan, dont il est très proche, de tenir une réunion avec l’ambassadeur saoudien dans la capitale française pour discuter de la possibilité de conclure un accord sur une personnalité qui prendrait la tête du gouvernement transitoire. Le nom de Jamal Kebbi, fonctionnaire de la Banque mondiale, a été suggéré. « Mais l’Arabie saoudite n’a donné aucune réponse », dit le diplomate précité. Si les partis ne semblent pas pressés de mettre en place ce cabinet spécial, qui pourrait voir le jour à l’automne, soit à quelques mois du scrutin prévu en mai 2022, la loterie des noms est déjà ouverte donc. Outre le nom de M. Kebbi, circule celui de l’ancien Premier ministre Nagib Mikati. Dans son entourage, on dément la rumeur et l’on assure qu’il est de toute façon trop tôt pour l’évoquer. Un autre nom qui a circulé est celui de l’ancien Premier ministre Tammam Salam, qui ne souhaite pas se présenter aux élections législatives à Beyrouth. Bien sûr, M. Salam ne voudrait pas diriger un gouvernement dans ces circonstances, selon ses dires, surtout sous le mandat de Michel Aoun. « Il pourrait y consentir s’il y a un consensus », nuance toutefois un responsable politique introduit dans ces milieux. « Personne ne lui a officiellement proposé pour l’instant », tempère un proche de M. Salam. Autre nom suggéré : celui de l’ancien ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, qui œuvre à la création d’un mouvement populaire indépendant du courant du Futur et qui a supervisé les précédentes élections. Il y a également l’option de l’actuel ministre de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, capable lui aussi de superviser les élections, d’autant plus qu’il entretient de bonnes relations avec le président de la République et le Hezbollah, qui s’est rapproché du courant du Futur, et compte tenu du fait qu’il a été chargé de gérer de nombreux dossiers de sécurité avec l’Arabie saoudite et les pays du Golfe. Gebran Bassil, de son côté, est déterminé à trouver un remplaçant au Premier ministre désigné. Au cours de ces derniers jours, il a enchaîné les rencontres avec des personnalités sunnites : Fouad Makhzoumi, Fayçal Karamé, Jawad Adra et Abdel Rahman Bizri. Tout, dans son optique, plutôt que Saad Hariri.
commentaires (12)
Ils nous avaient promis un "Liban fort"...nous avons reçu beaucoup plus efficace= une double dictature maronite et chiite ! - Irène Saïd
Irene Said
08 h 09, le 13 juin 2021