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Politique - Éclairage

La loi électorale peut-elle permettre l’émergence d’une opposition politique ?

Le seuil d’éligibilité, le vote préférentiel et les alliances seront des facteurs déterminants lors des prochaines législatives.

La loi électorale peut-elle permettre l’émergence d’une opposition politique ?

Un homme dépose son bulletin de vote lors des élections législatives au Liban, le 6 mai 2018, à Byblos, au nord de Beyrouth. Photo AFP

À un an des élections législatives, et alors que la situation se détériore un peu plus chaque jour, les partis d’opposition ont déjà les yeux rivés sur le scrutin. La plupart des formations issues de la société civile espèrent que cette échéance sera la clé du changement. Mais, avec la loi en vigueur, concoctée à la mesure des partis traditionnels, le défi s’avère immense. Le texte actuel prévoit un mode de scrutin proportionnel appliqué à 15 circonscriptions et doté d’un seuil d’éligibilité variant de très élevé dans une région à carrément prohibitif dans une autre et d’un vote préférentiel qui aiguise au maximum la concurrence individuelle au sein d’une même liste. Mise à l’œuvre lors des législatives de mai 2018, cette loi a démontré son côté pervers en déformant en quelque sorte les effets directs de la proportionnelle. En conséquence, la classe dirigeante traditionnelle s’est vue réinvestie avec peu de surprises dans l’ensemble. D’où, craignent les experts, une grande difficulté pour les forces de l’opposition et mouvements de contestation issus de la révolte du 17 octobre d’effectuer une vraie percée, encore moins d’espérer un tsunami dans un contexte de crise ultime qui aurait pourtant pu l’augurer. Le premier défi à relever est d’ordre éminemment technique, c’est-à-dire que les candidats indépendants devront sécuriser ce fameux seuil d’éligibilité, alors que dans certaines régions il peut atteindre les 20 % des voix recueillies. Le seuil d’éligibilité est fixé par la loi au « coefficient électoral » dans chaque circonscription. Ce coefficient est obtenu, a posteriori, en divisant le nombre total de suffrages exprimés dans une circonscription sur le nombre de sièges qu’elle comprend. C’est une véritable barrière qui est ainsi érigée dans le cadre de la loi pour faire le jeu des formations traditionnelles en empêchant les « intrus » d’emporter des sièges. C’est l’une des raisons qui fait penser que l’émergence des partis de l’opposition sera particulièrement compliquée dans les régions du sud à dominantes chiites où le seuil d’éligibilité est très élevé en raison du ration votants/nombre de sièges. A contrario, celui-ci est beaucoup moins élevé dans une circonscription comme Beyrouth I (moins de 10 %, ce qui reste tout de même haut) et laisse plus de place aux forces nouvelles. Dans ces conditions, plus l’opposition se présentera en rangs dispersés plus elle aura du mal à percer. En 2018, dans la circonscription du Chouf-Aley, deux listes d’opposition s’étaient présentées chacune de son côté. Celle de Tahalouf Watani avait obtenu 9 000 voix tandis que celle de Madaniya en avait récolté 2 500. Avec un seuil d’éligibilité d’environ 2 000 voix, aucune des deux listes n’a pu obtenir de sièges ce qui aurait pu être possible en cas d’union en amont.

« Les ego vont diminuer »

La question des alliances, aussi bien au sein des partis traditionnels que des forces émergentes, mais aussi entre les deux, sera probablement la clé de l’élection. Si, par exemple, au Metn, l’alliance des Kataëb avec une partie des mouvements issus de la contestation se confirmait, et qu’en plus ce front s’adjoignait le candidat qui serait choisi pour reprendre le siège de Michel Murr, dont la machine électorale reste performante, la menace serait sérieuse pour la suprématie déjà entamée des aounistes dans cette région, note un spécialiste, qui a souhaité garder l’anonymat. En 2018, selon les régions, les alliances s’étaient multipliées entre le Courant patriotique libre et le courant du Futur ou entre ce dernier et les Forces Libanaises, mettant en place un véritable bulldozer. Des rapprochements difficilement envisageables aujourd’hui entre ces trois forces politiques qui sont à couteaux tirés.

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L’exemple de Zahlé est symptomatique : il y a des candidats du CPL, du Futur, du Hezbollah, des FL, des familles traditionnelles et des candidats de l’opposition probablement. Qui va s’allier avec qui cette fois-ci ? s’interroge l’expert précité. Autre donnée à prendre en compte : la question du vote préférentiel. Il faut savoir que la compétition se déroule entre des listes fermées dans chacune des circonscriptions, ce qui veut dire que l’électeur doit voter pour l’une des listes en présence telle qu’elle est, sans importation, ni échange, ni soustraction de noms de candidats. L’électeur doit également sélectionner par le biais d’un « vote préférentiel » son candidat favori. Comprendre que plusieurs des candidats sur une même liste doivent réaliser d’avance qu’ils ne seront pas nécessairement élus. « C’est l’une des épreuves les plus rudes à passer, surtout lorsqu’on connaît les ego qui sont en place parmi les candidats potentiels de l’opposition », dit un expert. « Je peux vous garantir que les ego vont diminuer au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’échéance », promet Saïd Sanadiki, un expert proche de la contestation.

« Le système reste verrouillé »

Tout en reconnaissant la difficulté de la tâche, M. Sanadiki affirme que le plus important est, pour cette opposition multiple, de bien gérer sa campagne pour précisément atteindre le seuil électoral recherché et concocter des alliances pertinentes et efficaces. D’où, explique-t-il, l’idée d’une plateforme qui puisse faire office de machine électorale à disposition des groupes de contestation. Soutenue par des personnalités de la diaspora, cette plateforme aura pour fonction de rassembler les données, d’enrôler des ressources humaines capables de faire du porte-à-porte entres autres, d’effectuer des statistiques et de mettre toutes les données utiles à la disposition des groupes de l’opposition, aujourd’hui coalisés en deux grandes formations. C’est l’outil qui a probablement fait défaut en 2018 aux forces de l’opposition qui avaient avancé en rangs dispersés, n’ayant réussi à faire élire qu’une députée, Paula Yacoubian. « Une machine électorale bien huilée et disciplinée est prioritaire pour la réussite d’une campagne électorale, plus que l’argent qui reste certes important mais non l’élément décideur », commente un autre expert qui a lui aussi requis l’anonymat.

L’humeur de la rue a certes changé depuis 2018, et le ras-le bol est notoire un peu partout. Le slogan phare de la révolution Kellon yaané Kellon (Tous veut dire tous) risque cependant de se heurter à la résurgence de la fibre communautaire et du savoir-faire des mastodontes traditionnels. Ces derniers disposent toujours de machines bien rodées qui ont fait leur preuve à travers le temps ainsi que de relais sur le terrain, que sont les conseiller municipaux et les moukhtars. « Le système reste verrouillé et ils ont encore plus d’un tour dans leur poche », commente Karim Bitar, politologue.

Tous les analystes en conviennent : c’est en rangs serrés que l’opposition doit avancer, une hypothèse qui semble encore difficilement réalisable, compte tenu des divergences politiques en son sein. « Si la conjonction des astres est très favorable, de sorte à ce qu’une union sacrée des forces de l’opposition se mette en place et qu’il y ait par ailleurs une incapacité des forces de l’establishment à constituer entre elles des alliances contre nature comme en 2018, alors on pourra espérer une vague de dégagisme avec près de 25 députés de l’opposition élus sur les 128. C’est le scénario le plus optimiste », dit le politologue. Le cas de figure le plus probable serait, selon lui, la réélection des huit députés démissionnaires auxquels pourraient potentiellement s’ajouter huit autres qui viendraient se faufiler dans les listes.

Il reste à voir si, comme le prévoit la loi, le vote des Libanais de l’étranger sera possible et dans quelles conditions. Pour les législatives de 2022, il est prévu que les Libanais de la diaspora puissent voter en faveur des six candidats répartis entre les six plus grandes communautés (maronite, grec-orthodoxe, grec-catholique, sunnite, chiite, druze) et choisis pour représenter chacun des six continents.

« Rien n’empêche le gouvernement sortant de prendre une simple mesure pour faire appliquer ce point de la loi », estime l’avocat et ancien ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud. Il n’est pas nécessaire, selon lui, d’adopter un décret comme le font valoir certains juristes. Le problème, dit M. Baroud, est le fait que ce vote risque d’être « très confessionnalisé ». Si un candidat sunnite est par exemple choisi pour représenter l’Australie, les communautés chrétiennes et chiites risque de ne pas se sentir concernées et de s’abstenir de voter, explique l’ancien ministre. Et ainsi de suite. En 2018, le vote des six candidats représentant la diaspora et constituant une seizième circonscription avait été remplacé par un vote en faveur des listes des candidats dans les 15 circonsriptions sur le territoire national, faute de temps.

À un an des élections législatives, et alors que la situation se détériore un peu plus chaque jour, les partis d’opposition ont déjà les yeux rivés sur le scrutin. La plupart des formations issues de la société civile espèrent que cette échéance sera la clé du changement. Mais, avec la loi en vigueur, concoctée à la mesure des partis traditionnels, le défi s’avère...

commentaires (11)

Est ce que le vote a l'étranger sera honnête ? Moi j'habite l'Italie , Milan . La dernière fois que j'ai voté ca à marcher et maintenant ?

Eleni Caridopoulou

18 h 13, le 12 juin 2021

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Commentaires (11)

  • Est ce que le vote a l'étranger sera honnête ? Moi j'habite l'Italie , Milan . La dernière fois que j'ai voté ca à marcher et maintenant ?

    Eleni Caridopoulou

    18 h 13, le 12 juin 2021

  • Ne rêvez pas beaucoup. Il n'y aurait ni législatives, ni présidentielles. Le pays serait sous tutelle des nations.

    Esber

    16 h 52, le 12 juin 2021

  • Pouvez-vous conduire un sérieux reportage Svp sur comment la diaspora peut voter étant donné que nous sommes très nombreux à vouloir le faire . Time to organize it !

    Wow

    15 h 35, le 12 juin 2021

  • LA CONDITION ESSENTIELLE EST QUE LES GROUPES SERIEUX DE LA REVOUTION NE JOUENT PAS LE JEU DE KELLON ,EVITER DE TROP NOMBREUX CANDIDATS RESULTANT EN UN EPARPILLEMENT DES VOIX ET DONC, FINIR DIVISES AU PROFIT DES CANDIDATS DE KELLON .

    Gaby SIOUFI

    10 h 58, le 12 juin 2021

  • la condition principale -avec un immense C -est que les divers groupes serieux de la revolution s'unissent autant que possible faute de quoi ils seraient tombes ds le piege ou KELLON revent les y foutre: éparpillement des voix pr cause candidats trop nombreux = un peu comme diviser pour regner quoi ! 2e Condition, les libanais qui se seraient reveilles de leur sommeil etourdissant qui a permis a KELLON de ruiner le pays. 3e Condition bien sur -impossible a se realiser- serait ameliorer la loi electorale.

    Gaby SIOUFI

    10 h 55, le 12 juin 2021

  • Malheureusement l’opposition ne sera jamais unifiée car plusieurs de ses composantes ne rêvent que d’arriver à un poste de responsabilité pour profiter à leur tour des avantages liés à ces postes. De même, la fibre communautaire sera utilisée et une grande partie de la population se laissera berner par crainte des autres. Comme l’avait écrit Gaby Nasr : Liban = Suisse du moyen orient, sauf que pour faire une Suisse, il faut des suisses… le libanais demeurera individualiste, confessionnel et m’en foutiste tant qu’il aura assuré son propre confort. Ne confondez pas cette minorité d’intellectuels et d’universitaires modernes avec l’ensemble de la population libanaise. Votre propre journal avait bien écrit : tous ça veut dire tous sauf mon zaim

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 21, le 12 juin 2021

  • SI ON ACCEPTE D,ALLER A DES ELECTIONS AVEC UNE DES COMMUNAUTES DU PAYS ARMEE ET QUI A DEJA PAR INTIMIDATION UNE GARANTIE D,UN 30PCT POUR ELLE ET SES ALLIES ON EST PLUS RESPONSABLES QUE CES VENDUS DE LA SITUATION DU PAYS ET DES CATASTROPHES PLUS GRANDES QUE CELLES D,AUJOURD,HUI QUI EN RESULTERAIT. SANS LE DESARMEMENT DES MERCENAIRES IRANIENS POINT DE LEGISLATIVES DEVRAIT ETRE LE MOT D,ORDRE. TRAVAILLEZ AVEC L,ONU ET LES GRANDES PUISSANCES DES AUJOURD,HUI AU DESARMEMENT DES VENDUS ET PUIS PARLEZ D,ELECTIONS LIBRES ET DEMOCRATIQUES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 16, le 12 juin 2021

  • Chercher quelle est la meilleure loi ? BOF: SI VOTER CHANGEAIT QUELQUE CHOSE IL Y A LONGTEMPS QUE CA SERAIT INTERDIT ...

    aliosha

    10 h 00, le 12 juin 2021

  • Rien ne va deloger notre classe politique. Ce dont personne ne parle c'est les employés du secteur public. Ceux la, avec leur familles, 1,500,000 personnes vont reconduire leur deputé existant au parlement pour la simple raison qu'il leur a debrouillé un boulot de fonctionnaire a eux ou a leur fille. Que peux ce visage nouveau de la societe civile contre ce visage familier qui leur a assuré une rente sure et reposante sans rien faire? Donc on va se retrouver avec les memes partis au parlement. Ad aeternam. Desolé.

    ..... No comment

    09 h 18, le 12 juin 2021

  • En l'absence d'unité et de culture démocratique, ce pays a besoin, de même que Khamenei est le guide suprême de la Révolution en Iran, d'un guide suprême de la démocratie. Un tel guide devrait interdire tout parti à connotation religieuse ou avec un programme autre que centriste. Parmi les grosses formations actuelles, peut-être que le Futur survivrait. Aucune autre loi électorale n'est susceptible de rien changer car la démocratie c'est avant tout une culture (inexistante chez nous) et une offre et là il vaut mieux en rire

    M.E

    09 h 15, le 12 juin 2021

  • Une loi aberrante qui combine les inconvénients des scrutins proportionnel et majoritaire sans avoir aucun des avantages de l'un ni de l'autre. Etant donné le pronostic présenté dans cet article - et que je partage pleinement - comment peut-on envisager sérieusement d'attendre les prochaines élections pour former un gouvernement réformiste?

    Yves Prevost

    07 h 44, le 12 juin 2021

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