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Nos Lecteurs ont la Parole

Un cerf-volant dans le ciel de Beyrouth

Enfant, je croyais que les objets célestes appartenaient à Beyrouth : la Lune et le Soleil se levaient pour elle, les étoiles sont là pour éclairer ses nuits, et le ciel, quand il pleuvait, c’était pour m’offrir un jeu d’occupation pour former de petits barrages de sable afin de canaliser l’eau au bord des trottoirs. Mon passe-temps favori, c’était d’observer son ciel, les yeux rivés sur des cerfs-volants virevoltant au vent, à attendre qu’un nuage passe au-dessus d’un immeuble pour avoir une perception décalée, une illusion visuelle de l’immeuble qui se déplaçait plutôt que le nuage.

Mon enfance tenait dans un espace réduit, dans un îlot d’habitation, isolé, entouré d’immeubles : un pâté de maisons délabrées, en piteux état. C’était un lieu de refuge pour des migrants ruraux à la recherche d’un gagne-pain, en imaginant que l’espoir et le meilleur sont ailleurs, sur le chemin qui mène vers la ville. Des syriaques, des Kurdes, des Hauranais de la Syrie et d’autres sont venus grossir le nombre d’habitants de cet îlot à l’image de Beyrouth, cosmopolite et multiconfessionnel. Derrière la porte d’entrée, une chambre unique pour toute la famille. En dehors des temps de sommeil, les matelas sont rangés, le matin, sur une estrade pour que la pièce se transforme en cuisine, salle à manger et séjour. Au lever du jour, se dessinait sur le plafond le reflet du Soleil se mirant dans l’eau d’un seau en plastique posé au bord d’une ouverture au mur. Ce reflet nous servait d’horloge-réveil. Nous étions les premiers, moi et mon frère aîné, à passer par cette ouverture pour nous retrouver sur une petite terrasse surplombant la maison voisine, intrigués à observer cette charmante petite plante au feuillage vert et aux fleurs roses, le « mimosa pudique », qui, lorsqu’on la touche, replie sur elle-même ses branches et ses feuilles. Je me retrouvais souvent derrière la fenêtre protégée par un nylon blanc transparent fixé par des clous tordus et rouillés. Je n’avais comme vue qu’un grand bidon métallique pour chauffer de l’eau, noirci par des dépôts de suie de bois au-dessous d’un unique olivier sauvage qui ne produisait pas des olives, mais servait de refuge pour les grillons noirs et brillants qui rythmaient les chaudes nuits d’été de Beyrouth par leurs chants. Par un jour en manque de vent, tout au haut de cet olivier, un cerf-volant léger en forme de losange, chamarré, fait de papier tendu sur une armature de bambou, est venu s’échouer. D’où s’était-il évadé ? Un cadeau du ciel de Beyrouth, très probablement ! Une fois récupéré, mon frère aîné le cacha sous le lit en attendant un jour propice à son envol. Alors qu’un vent frais agitait la cime de l’olivier, on s’acheminait vers la grande route. Si grande était ma joie, en ce jour, que j’étais ébahi, et je découvris que Beyrouth avait une mare d’eau dont on ne voyait pas le bout ; c’était son immense mer bleue. Sur la plage, il y avait un courant d’air. Guidé par mon frère, je tentais tant bien que mal de faire danser le cerf-volant au rythme du vent, je laissais dérouler la corde, donnais un peu de lest, retenais, relâchais, ramenais, courais et courais sur le sable fin à perdre haleine ; nous le voyions tournoyer au gré du vent, c’était merveilleux de le voir s’élever très haut dans le ciel. Mais soudain, mon frère me demanda de faire un vœu et de lâcher la corde pour rendre au ciel de Beyrouth son cerf-volant afin qu’elle puisse le faire découvrir à d’autres enfants. J’hésitai puis j’acquiesçai ; mes yeux suivaient son envol, le cerf-volant disparut à travers les blancs nuages d’été, emportant avec lui le secret de mon vœu.

Alain DIAB

Auteur

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Enfant, je croyais que les objets célestes appartenaient à Beyrouth : la Lune et le Soleil se levaient pour elle, les étoiles sont là pour éclairer ses nuits, et le ciel, quand il pleuvait, c’était pour m’offrir un jeu d’occupation pour former de petits barrages de sable afin de canaliser l’eau au bord des trottoirs. Mon passe-temps favori, c’était d’observer son ciel, les...

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