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Économie - Focus

Dans un Liban en crise, le secteur de l’esthétique tente de sauver les apparences

Malgré les difficultés, salons de coiffure, instituts de beauté et cliniques d’épilation au laser ou de chirurgie esthétique ne désemplissent pas.

Dans un Liban en crise, le secteur de l’esthétique tente de sauver les apparences

Le fondateur et gérant du salon de coiffure pour hommes House of Handsome, Ali Hamdane, possède un stock de produits pour un an. Après, « advienne que pourra ». Photo J.R.B.

Entre la sévère dévaluation de la monnaie nationale, le blocage des avoirs en devises sur les comptes en banque, les prix affolants même sur les produits de première nécessité, les restrictions liées à la pandémie de Covid-19, les terribles conséquences de l’explosion du 4 août dernier et l’instabilité politico-sécuritaire constante depuis près de deux ans, le souffle des Libanais se fait de plus en plus court. Alors, pour le reprendre, ceux qui le peuvent encore ont la possibilité de se rendre au salon de coiffure ou chez le barbier, à une séance de pédicure et de manucure, voire d’envisager une opération de chirurgie esthétique, dans le but d’oublier, un moment du moins, tous ces maux et de se régénérer.

Un secteur tertiaire non essentiel qui demeure hautement fréquenté, constatent les professionnels contactés par L’Orient-Le Jour. « Les Libanais aiment la vie, et prendre le temps de se faire plaisir en est l’un de ses attraits », estime Vera Hanna, fondatrice et gérante de l’institut de beauté L’Atelier de soi, situé dans le quartier d’Achrafieh, au cœur de la capitale. Un constat partagé par le plasticien Makram Abi Fadel, depuis sa clinique homonyme fondée il y a trois générations dans ce même quartier : « Malgré toutes les crises, la Libanaise continue de prendre soin d’elle. »Le recours aux soins esthétiques ne se limite pas à la gente féminine. « Tous ceux qui ont encore suffisamment de rentrées d’argent au Liban ou qui en reçoivent de l’étranger viennent au salon sans sourciller », explique Ali Hamdane, fondateur et propriétaire du barbier House of Handsome, établi sur le front de mer beyrouthin. Dans le reflet du miroir, les travailleurs du secteur font ainsi bonne figure aux Libanais cherchant à sauver les apparences dans un pays défiguré par les crises.

Succès en demi-teinte

« Nous avons noté une hausse de la fréquentation, mais nous ne réalisons que peu de profit, voire aucun », explique néanmoins Vera Hanna. Et si son institut connaît une belle affluence, c’est « parce que nous avons gardé les mêmes prix ». Si la stratégie commerciale est assumée, la décider ne fut pas simple pour celle qui aura effectué trois mois de travaux après la catastrophe du 4 août. Cette décision, Mohammad Tabch, propriétaire de L’Atelier de coiffure situé à Verdun (Beyrouth), l’a également prise : « Nous n’avons que légèrement haussé nos prix pour ne pas perdre notre clientèle. Du moins, celle qui reste au Liban », dit-il.

De fait, non seulement la perte globale du pouvoir d’achat des Libanais met à mal leur capacité de s’offrir ce genre de services, mais la situation est telle qu’elle a engendré dès son entame une émigration massive. « La moitié de mes clients réguliers sont partis travailler à l’étranger », affirme Ali Hamdane, dont les prix ont augmenté de 40 % depuis le début de la crise. Situé non loin des grands hôtels du centre-ville, celui-ci attend que les touristes reviennent. « Mais qui va venir dans un pays pareil ? » soupire-t-il. L’Association des agences de voyages et de tourisme au Liban s’attend toutefois à un retour des Libanais du Golfe et d’Afrique cet été, selon une affirmation de l’association rapportée à L’Orient-Le Jour la semaine dernière.

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L’inflation n’est pas près de freiner son ascension

Quant à la réputation du Liban comme destination privilégiée dans la région pour la chirurgie esthétique, elle est mise à rude épreuve en raison de l’accumulation des crises. « Avant le mouvement de contestation du 17 octobre 2019, presque 50 % de notre clientèle venait de l’étranger. Aujourd’hui, elle est principalement locale, même si des Libanais de l’étranger ou certains voyageurs viennent encore à la clinique », résume le Dr Makram Abi Fadel. « Si 2020 a sans doute été la pire année pour le milieu médical, et de surcroît au Liban, les gens se sont maintenant adaptés et les affaires reprennent », poursuit-il, à l’instar des cliniques d’épilation au laser qui rencontrent toujours un beau succès dans le pays.

« Tout au long de cette période, pour le moins compliquée, notre clientèle n’a pas diminué », assure Gabriella Moussa, responsable des réseaux sociaux de The Laser Clinic qui compte six établissements répartis sur plusieurs régions du Liban et dont les services demandent un engagement de la clientèle à moyen terme. D’ailleurs, « nous avons réparé nos cliniques établies dans la capitale (à Zalka et Tayyouné) le jour même de l’explosion pour que nos clients ne ratent pas leurs rendez-vous du lendemain ».

Stock d’incertitudes

Des coûts supplémentaires donc, pris en charge par les commerces de la capitale de ce secteur contactés, et des calculs d’apothicaire pour ces derniers, obligés d’importer la majorité de leurs produits de l’étranger en devises achetées au taux du marché parallèle, qui flirtait dernièrement avec les 13 000 livres libanaises le dollar, contre 1 507,5 livres officiellement.

« Je me félicitais d’avoir importé pour un an et demi de stocks de produits dès que la livre a commencé à dévisser. Tout a été détruit lors de l’explosion », explique Vera Hanna.

Des marchandises que le Dr Abi Fadel va lui-même chercher lors de ses voyages réguliers à l’étranger. « Les importateurs n’ont repris que partiellement le travail en raison de cette crise et donc beaucoup de produits, comme le botox, ne se trouvent plus qu’au compte-gouttes au Liban. Nous avons baissé nos prix pour pouvoir satisfaire tout le monde mais nous les gardons en devises pour compenser nos propres coûts dans cette monnaie », explique-t-il.

Des devises entre autres nécessaires à l’importation de produits de marques étrangères réputées, « en qui les clients ont confiance et qu’ils réclament », souligne Mohammad Tabch, ajoutant ne pas vouloir « perdre notre réputation en dérivant vers des produits locaux » peu connus ou bon marché. Un constat partagé par Vera Hanna qui soutient les marques libanaises mais pour qui « L’Oréal reste un must ». Un critère de sélection également basé sur l’incapacité de ces travailleurs à se projeter dans l’avenir. « On ne sait pas combien de temps cette situation va durer. Un an, dix ans… Je ne peux pas risquer le nom de mon entreprise sur une telle incertitude », affirme-t-elle.

Avec son stock d’un an, Ali Hamdane, lui, n’importe tout simplement plus. « Si je devais commencer à payer des factures en dollars, je fermerais boutique », annonce-t-il. « Personne ne sait ce qu’il arrivera de ce pays. Quand mon stock sera écoulé… Advienne que pourra. »


Les cosmétiques libanais trouvent enfin leur place sur le marché local

S’il ne fait aucun doute que la clientèle libanaise s’est vue contrainte de modifier certaines de ses habitudes de consommation en raison des crises sanitaire et économique, celle-ci s’est facilement tournée vers les produits cosmétiques naturels manufacturés au Liban, dont les volumes commercialisés ont fortement augmenté depuis le début de la crise il y a près de deux ans. « Nos ventes totales ont connu une solide croissance à trois chiffres, menée par le marché numérique », annonce Hassan Rifaï, directeur marketing de l’entreprise de soins dermocosmétiques naturels, Beesline.

Les prémices de ce changement de comportement du consommateur sont apparues dès le mouvement de contestation populaire contre la classe dirigeante à l’automne 2019, ressuscitant « un certain sentiment d’appartenance et de fierté nationales », constate-t-il. D’une crise à l’autre, la conjoncture nationale a ainsi permis aux produits locaux de gagner des parts du marché local, notamment « contre des compétiteurs internationaux, tels le groupe L’Oréal et Beiersdorf », note Hassan Rifaï, donnant comme exemple le dépassement de « 50 % de parts du marché pour nos baumes à lèvres ».

D’autres fabricants libanais avaient également indiqué au Commerce du Levant fin janvier dernier une augmentation de leur chiffre d’affaires en 2020, à l’instar de Potion Kitchen, proposant huiles, lotions et crèmes sans substances nocives pour la santé et l’environnement, qui a ainsi doublé ses ventes en un an, ou Savvy Elements, un autre fabricant de produits d’hygiène et de ménage écologique, dont la fondatrice, Batoul Hakim, affirmait à l’époque que « la demande dépasse désormais notre capacité de production ».Un succès actuellement rencontré par ces entrepreneurs locaux qui n’ont toutefois pas été épargnés par l’accumulation des crises au Liban. « Toutes ont impacté nos opérations. Des fermetures de routes lors des manifestations à la fermeture totale du pays lors de l’apparition de la pandémie de Covid-19, sans oublier l’explosion au port de Beyrouth. La chaîne de travail en a bien évidemment été perturbée », décrit le directeur marketing de Beesline, soulignant à la fois la primauté de l’importation de matière première, certifiée et organique, nécessaire à leur production basée sur l’apithérapie (des soins basés sur les effets thérapeutiques des produits des abeilles) et la prépondérance de l’exportation pour la survie de l’entreprise.

À la nécessité de l’import-export aux extrémités de cette chaîne s’ajoute un choix commercial de ne pas faire payer aux clients locaux l’augmentation du coût à l’importation, en raison de la crise de liquidités en devises et de la dévaluation hallucinante de la monnaie nationale. « Nous avons décidé d’investir localement face à la montée inévitable des prix des produits venus de l’étranger, voire au départ de certains du marché libanais. Ainsi, nous avons choisi de limiter l’inflation sur nos produits en couvrant nous-mêmes les surcoûts, afin de maintenir des prix abordables et d’atteindre ainsi une plus vaste clientèle locale », explique Hassan Rifaï. Un pari qui semble, pour le moment, gagné.



Entre la sévère dévaluation de la monnaie nationale, le blocage des avoirs en devises sur les comptes en banque, les prix affolants même sur les produits de première nécessité, les restrictions liées à la pandémie de Covid-19, les terribles conséquences de l’explosion du 4 août dernier et l’instabilité politico-sécuritaire constante depuis près de deux ans, le souffle des...

commentaires (1)

'beaucoup de produits, comme le botox, ne se trouvent plus qu’au compte-gouttes au Liban' -- alors c'est une bonne nouvelle ! Le botox n'a pas de place dans le panier de produits essentiels ...

Stes David

22 h 05, le 31 mai 2021

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Commentaires (1)

  • 'beaucoup de produits, comme le botox, ne se trouvent plus qu’au compte-gouttes au Liban' -- alors c'est une bonne nouvelle ! Le botox n'a pas de place dans le panier de produits essentiels ...

    Stes David

    22 h 05, le 31 mai 2021

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