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Société - Reportage

Les Libanais pris de panique face à la potentielle levée des subventions

La peur est dans tous les esprits, alors que les réserves de la BDL se réduisent comme peau de chagrin.

Les Libanais pris de panique face à la potentielle levée des subventions

Des dizaines de voitures attendent de pouvoir faire le plein d’essence dans le nord de Liban. Photo João Sousa

Il est 9h30. Une file interminable de voitures provoque des embouteillages dans l’une des rues principales de Basta, à Beyrouth. Entre les voitures, les livreurs en scooter se faufilent pour faire le plein. Les employés s’activent. « Il n’y a pas de mazout », crie l’un d’entre eux à des conducteurs venus remplir des bidons pour alimenter des générateurs. « Aujourd’hui, c’est maximum 30 000 livres libanaises » d’essence, renchérit son collègue en s’adressant à une cliente qui hoche la tête d’un air dépité. Un chauffeur de taxi, Abbas, attend son tour, fenêtre ouverte sous le soleil qui tape fort. « Tfouh ! Je crache sur tous ces politiciens, ces chiens. Mais en même temps, j’ai peur ! Ils disent que les vingt litres d’essence atteindront les 100 000 livres libanaises. Si jamais ma voiture s’arrête et que son réservoir se vide d’essence, je la laisserai en plein milieu de la route. Nous allons finir par exploser ! » menace l’homme de 42 ans. Quelques voitures plus loin, une image qui raconte tout le caractère ubuesque de la situation : une femme d’une quarantaine d’années, tirée à quatre épingles, attend son tour au volant de sa rutilante Jaguar. « C’est une catastrophe, j’ai peur pour l’essence, la nourriture, la qualité du poulet… Rien ne va ! Ça va être compliqué de finir le mois alors que mon argent est coincé à la banque », déplore-t-elle.

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Raymond Ghajar, ministre sortant de l’Énergie, avait annoncé en avril qu’il n’y aurait pas de levée des subventions tant que les cartes d’approvisionnement pour les plus défavorisés n’étaient pas mises en place. Mais le ralentissement de l’approvisionnement en essence ces derniers jours, imputé aux délais imposés par la Banque du Liban (BDL) pour débloquer les subventions dont bénéficient les importateurs de carburant depuis le début de la crise, a vite rallumé toutes les angoisses. Et provoqué une nouvelle vague de panique dans un pays qui vit au rythme des mauvaises nouvelles depuis des mois. « Nous ne devrions pas blâmer les gens, mais les ambiguïtés des responsables, explique Jamil Mouawad, politologue à l’Université américaine de Beyrouth et chercheur au sein de l’Arab Reform Initiative. Les gens sont inquiets car ils ne savent pas ce qui se passe. Il n’y a pas de politique publique claire, précise et complète, et cela vise à assurer la pérennité du système clientéliste. »

« Je veux que mes enfants quittent le pays »

« Tout le monde en parle et a peur. Ils disent qu’il va y avoir quelque chose de nouveau en juin », lance Garo, 70 ans, en référence à la potentielle levée des subventions, système instauré depuis le début de la crise économique et financière pour limiter l’inflation de certains produits, dont des denrées alimentaires, le carburant, mais aussi des médicaments et matériels médicaux. L’inflation a augmenté de 157,86 % (glissement annuel en mars dernier), tandis que le prix des produits alimentaires s›est accru d’environ 400 % sur la même période.

La peur est dans tous les esprits. Et balaye (presque) tout le reste. En particulier à l’approche du mois de juin présenté comme une étape fatidique. En cause : le fait que les réserves en dollars de la Banque du Liban se réduisent comme peau de chagrin. Elles s’élèvent à 15,8 milliards de dollars, dont 15 sont considérés comme obligatoires. Cette situation devrait normalement contraindre les autorités politiques à lever ou diminuer les subventions, mais personne n’ose assumer cette responsabilité en l’absence d’une solution de secours qui permettrait de limiter la casse.

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« Je n’en dors pas la nuit. Nous ne savons pas jusqu’où les prix vont augmenter… Heureusement que mon fils m’envoie 100 dollars par mois des États-Unis, sinon je n’arriverais pas à vivre », déplore Garo qui travaille dans le quartier de Mar Mikhaël, près des bâtiments d’Électricité du Liban, autre sujet d’angoisse. Les rumeurs ne cessent d’annoncer un blackout imminent dans tout le pays en raison notamment d’une décision du Conseil constitutionnel (CC) de suspendre la mise en œuvre d’une loi visant à débloquer 200 millions de dollars à EDL, suite à un recours déposé par les Forces libanaises. (En raison du décès d’un membre du CC, désormais privé de quorum, la loi devrait toutefois de facto devenir effective le 26 mai, NDLR). Mais à cette affaire est venue s’ajouter la menace, brandie par l’entreprise turque Karpowership, filiale de l’opérateur Karadeniz à qui l’État loue deux navires-centrales, de mettre ces derniers à l’arrêt en raison d’arriérés de paiement. Une décision qui s’inscrit dans le cadre d’un bras de fer entre l’entreprise et la justice libanaise. Dans ce contexte, le député Nazih Najm, président de la commission parlementaire des Travaux publics, des Transports, de l’Énergie et de l’Eau, a annoncé il y a quelques jours un potentiel blackout dès la fin de cette semaine. « Ce qui fait peur, c’est de vivre dans une perpétuelle incertitude. Mon fils sera en terminale l’année prochaine, donc on planifie son entrée à l’université, mais on ne sait même pas si c’est faisable… Je ne sais pas combien il me restera d’argent. Nous ne savons rien. C’est ça qui est effrayant », déplore Chirine, mère de trois enfants âgés de 16, 15 et 8 ans, et qui vit à Badaro. « Même si je touche mon salaire en dollars, que ce soit une petite ou une grande somme, les prix vont fortement augmenter, c’est de la pure folie, l’argent n’a plus de valeur », déplore-t-elle, avant de fondre en larmes en évoquant le futur incertain de ses enfants.

« Je veux que mes enfants quittent le pays », dit Samar*, 57 ans, tandis que sa fille l’embrasse. « Il n’y a plus d’espoir ici », martèle cette professeure de philosophie qui vit dans la banlieue sud de Beyrouth et dont les deux enfants sont inscrits à l’Université Saint-Joseph. Son salaire de quatre millions de livres libanaises suffit à peine.

« C’est une lutte individuelle au quotidien car le citoyen devient lui-même responsable de sa survie, alors que c’est normalement au gouvernement de trouver des solutions », explique Jamil Mouawad. Si la situation économique impacte déjà la psychologie collective, celle d’une hausse de l’insécurité aggrave cet état de peur. « Le jour où mon fils me dit j’ai faim, je serai prêt à tout », lance Ali, attablé dans un café, avec son ami Riad, près de la place des Martyrs. « Au Liban, nous vivons toujours dans la peur. Un jour, je cherche du lait pour mon enfant, un autre, de l’huile subventionnée, un autre, de l’essence, un autre, un médicament… » lance Riad, le gérant du café, qui finit par lâcher : « La levée des subventions signera notre fin. »

Il est 9h30. Une file interminable de voitures provoque des embouteillages dans l’une des rues principales de Basta, à Beyrouth. Entre les voitures, les livreurs en scooter se faufilent pour faire le plein. Les employés s’activent. « Il n’y a pas de mazout », crie l’un d’entre eux à des conducteurs venus remplir des bidons pour alimenter des générateurs....

commentaires (5)

Pas la peine de paniquer. La levée des subventions est inéluctable sinon il ne restera plus un cent de l’épargne des libanais. Le Liban va revenir cent ans en arrière très bientôt grâce à sa crasse politique pourrie jusqu’à l’os

Lecteur excédé par la censure

21 h 49, le 13 mai 2021

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Commentaires (5)

  • Pas la peine de paniquer. La levée des subventions est inéluctable sinon il ne restera plus un cent de l’épargne des libanais. Le Liban va revenir cent ans en arrière très bientôt grâce à sa crasse politique pourrie jusqu’à l’os

    Lecteur excédé par la censure

    21 h 49, le 13 mai 2021

  • Concernant les bateaux-centrales turcs qui menacent d'être mis à l'arrêt, l'affaire ne doit concerner que l'ancien ministre de l'énergie qui avait conclu avec la société turque un contrat de gré à gré sans l'accord de qui que ce soit et sans concertation avec qui que ce soit. Cherchons le responsable.

    Un Libanais

    19 h 45, le 13 mai 2021

  • Subventionner les importations Libanaises avec l’argent des émigrés c’est fini! D’abord parce que le trois quart de cet argent gaspillé va en Syrie la moitié du quart restant pour les réfugiés Syriens au liban la moitié de la moitié restante pour les forces locales et les restes cad l’autre pauvre moitié, on se tabasse et on se tape et piétine dessus dans les supermarchés !

    PROFIL BAS

    13 h 09, le 13 mai 2021

  • le bilan du sixtennat du général, BLOCAGE, BLOCAGE à la puissance 1000 .... 2ans pour qu'il soit élu, et 6 pendant son mandat, e et j'oublie la guerre de libération ... positif 0 pour cent, et négatif 100 p cent . quelle tristesse, l'histoire sera impitoyable ... je suis vénère

    Élie Aoun

    12 h 02, le 13 mai 2021

  • Vive le président fort et le régime fort. Vivent les réalisations grandioses de ce régime et de son gouvernement de technocrates

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 38, le 13 mai 2021

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