Ce n’est pas un déplacement de plus. C’est une visite qui consacre la nouvelle approche que la France adopte à l’égard du dossier libanais. C’est ainsi que des milieux politiques français qualifient la visite du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à Beyrouth, jeudi. L’occasion pour lui de faire passer des messages fermes aux responsables libanais, comme il l’avait déclaré sur son compte Twitter mercredi soir.
Cette visite de M. Le Drian, très impliqué dans le dossier libanais aux côtés du président Emmanuel Macron, intervient à l’heure où le nouveau gouvernement qui devait être formé conformément à l’initiative française lancée par M. Macron le 1er septembre 2020 se fait toujours attendre. Rien ne prête à croire qu’il verra le jour prochainement. S’il est conscient de cet état des lieux d’autant plus grave que le Liban fait face à une crise économique et financière inédite, M. Le Drian a évité de se noyer dans les détails des tractations gouvernementales avec les responsables libanais en place qu’il a rencontrés, notamment le président de la République, Michel Aoun, et le chef du législatif, Nabih Berry. Le responsable français aurait, en revanche, insisté sur l’urgence de former un nouveau cabinet dans les plus brefs délais, tout en rappelant que « la formation du gouvernement est une affaire libanaise », comme le confie un proche du président de la Chambre à L’Orient-Le Jour, citant le chef de la diplomatie française. Ce proche de M. Berry souligne aussi que Jean-Yves Le Drian aurait assuré que l’initiative française –prévoyant la mise en place d’un gouvernement de mission qui lancerait un processus de réformes économiques afin de redresser le pays- était toujours sur la table.
La transition, le mot-clé
Mais tel ne semble pas être le but principal du déplacement de M. Le Drian à Beyrouth. « La transition (politique) au Liban est le mot-clé de la visite du ministre des Affaires étrangères à Beyrouth », déclare à L’OLJ Gwendal Rouillard, député du Morbihan (Bretagne) et connaisseur du dossier libanais. « La France a développé son initiative. Mais certains responsables n’ont pas respecté leurs engagements, alors que la France et la communauté internationale s’impatientent », rappelle-t-il avant de souligner que devant ses interlocuteurs libanais, le chef du Quai d’Orsay a précisé qu’il y avait une nouvelle approche française du dossier libanais.
Et d’ajouter que les débats se poursuivent à Bruxelles autour d’un mécanisme européen de sanctions contre ceux qui bloquent le processus politique au Liban, alors que des mesures nationales ont été prises, et se poursuivront. Une tendance qu’a confirmée la porte-parole du Quai-d’Orsay, jeudi. « Comme nous l’avons déjà indiqué, des mesures ont été prises à titre national visant à restreindre l’accès au territoire français à des personnalités libanaises impliquées dans l’obstruction politique et la corruption ; nous nous réservons la possibilité d’adopter des mesures supplémentaires si le blocage persiste, nous avons engagé une réflexion avec nos partenaires européens sur les mesures qui sont à la disposition de l’Union européenne pour accroître la pression en vue d’une sortie de crise », a-t-elle déclaré lors d’un point de presse.
Après avoir mis en garde les principaux tenants de la scène politique pendant plusieurs mois, la France a en effet annoncé jeudi dernier avoir restreint l'accès au territoire français de plusieurs personnalités libanaises jugées responsables du blocage politique. Ni le type exact des restrictions, ni le nombre et les identités des personnes concernées n'ont été jusque-là communiquées, une façon pour la France, allié historique du Liban, de laisser planer la menace sur l'ensemble de la classe politique locale.
Définissant les grandes lignes de la nouvelle vision française, M. Rouillard explique : « Paris a constaté l’échec du système libanais, et que tous (les protagonistes politiques) sont responsables de la situation actuelle. La France soutient donc les forces politiques du changement, c’est-à-dire les hommes et les femmes qui pensent au Liban de demain ». C’est par cette nouvelle approche que Gwendal Rouillard justifie le fait que le ministre français se soit abstenu de se réunir avec les chefs de file politiques perçus comme traditionnels, exception faite de MM. Aoun et Berry, mais aussi du Premier ministre désigné, Saad Hariri. Des rencontres « protocolaires » comme les décrit un ancien député ayant requis l’anonymat.
Des proches de Saad Hariri, notamment le vice-président du courant du Futur Moustapha Allouche, avaient déclaré en cours de semaine que la récusation de M. Hariri est désormais envisageable si des percées significatives ne sont pas opérées au niveau de la formation du cabinet. Des propos que Fouad Siniora, ancien Premier ministre, qualifie d’« irresponsables », car une telle démarche « plongerait le Liban dans l’inconnu ».
Les élections législatives en temps voulu
Quoi qu’il en soit, « Jean-Yves Le Drian veut accompagner la transition politique au Liban », selon M. Rouillard. Cela lui fait dire que « la rencontre avec les forces du changement doit être un moment fondateur pour édifier le nouveau Liban ». Gwendal Rouillard faisait allusion à la rencontre tenue jeudi à la Résidence des Pins entre le chef de la diplomatie française et des partis de l'opposition ainsi que plusieurs collectifs issus pour certains du mouvement de contestation qui avait éclaté au Liban le 17 octobre 2019. Y ont notamment pris part le leader des Kataëb, Samy Gemayel, le chef du mouvement de l’Indépendance, Michel Moawad, et le secrétaire général du Bloc national, Pierre Issa, pour ne citer que ces exemples.
Un proche des participants à la réunion confie à L’OLJ que M. Le Drian a fait part de sa volonté de ne pas rencontrer les principaux protagonistes politiques dans la mesure où ils n’ont pas respecté leurs engagements. « Devant les diverses composantes de l’opposition, Jean-Yves Le Drian a insisté sur la nécessité de tenir les législatives prévues en 2022 en temps voulu, sachant que les Français sont conscients du fait que les protagonistes au pouvoir œuvreraient pour reporter la consultation populaire sine die au vu des nouvelles tendances populaires hostiles aux protagonistes politiques traditionnels », ajoute le proche des participants à la réunion, indiquant que M. Le Drian a interrogé les opposants sur leurs vues pour éviter l’effondrement du Liban, et leurs préparatifs pour les élections de 2022. Et de préciser que la question de la préservation de la souveraineté du Liban a été également soulevée lors de la rencontre. Des points qui figurent au centre d’un mémorandum remis par les participants au ministre français, comme l’a indiqué Samy Gemayel sur Twitter.
commentaires (11)
Que veulent "les forces du changement" à part le pouvoir avec l'aide étrangère? Veulent-elles l'audit de la BDL? Qu'elles manifestent pour cela. Ont-elles demandé au responsable français une vue satellitaire du ciel libanais du jour de l'explosion ? Lui ont-elles demandé de rapatrier les fonds qui ont trouvé refuge dans l'UE? Qu'ont elles fait jusqu'à présent contre la corruption? Soutiennent elles le juge Aoun, les juges qui bloquent les avoirs des banquiers? Il est clair que ces petits problèmes ne les intéressent pas.
NASSER Jamil
10 h 45, le 08 mai 2021