Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a rencontré jeudi au Liban les dirigeants du pays en crise, à l'occasion d'une nouvelle visite visant à faire pression sur les responsables, incapables de former un nouveau gouvernement. Le déplacement du ministre français intervient après l'annonce par Paris de restrictions d'accès au territoire français à des personnalités libanaises jugées responsables du blocage. Devant le chef de la diplomatie française, le président Michel Aoun a affirmé qu'il "poursuivrait ses efforts" pour former rapidement un gouvernement, attendu depuis août 2020 pour mettre en œuvre des réformes, alors que le pays traverse une multitude de crises. Le chef de l'Etat a dénoncé le fait que certaines personnes concernées par les tractations gouvernementales "ne suivent pas les usages constitutionnels et la méthodologie en vigueur", dans une allusion à peine voilée au Premier ministre désigné, Saad Hariri. Alors qu'une réunion entre MM. Le Drian et Hariri n'avait pas été confirmée officiellement du côté français, le ministre français a bien reçu, en soirée, le Premier ministre désigné à la Résidence des Pins. Autre étape importante de la tournée de M. Le Drian à Beyrouth, la réunion qu'il a organisée avec des "forces politiques du changement" dont plusieurs groupes de la société civile et des partis de l'opposition qui ne sont pas issus de la classe politique traditionnelle.
Avant de prendre l’avion pour Beyrouth, le chef de la diplomatie française avait annoncé mercredi soir, sur son compte Twitter, qu’il adresserait "un message de grande fermeté aux responsables politiques" libanais, qui ne parviennent pas à se mettre d'accord pour mettre sur pied le cabinet. Désigné en octobre 2020, le Premier ministre Saad Hariri n'est pas parvenu à former un gouvernement, en raison d'un conflit politique l'opposant au président Aoun et à son gendre, le chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil. Chaque camp se rejette la responsabilité de cette impasse profonde. Ces dernières heures, des rumeurs laissaient entendre que le Premier ministre désigné pourrait jeter l'éponge après la visite de Jean-Yves Le Drian, afin de signifier, entre autres, son ras-le-bol face au blocage en cours.
Accompagné d'une délégation comprenant notamment l'ambassadrice de France à Beyrouth, Anne Grillo, M. Le Drian s'est entretenu avec le président Aoun et a quitté le palais présidentiel sans faire de déclaration. Lors de leur réunion, M. Aoun a insisté sur le fait que l'audit juricomptable de la Banque du Liban, "le premier point de l'initiative française présentée le 1er septembre (2020)" par le président français, Emmanuel Macron, est "crucial pour la relance du Liban et pour rétablir la confiance des Libanais et de la communauté internationale" dans l'Etat.
"Priorité absolue"
Selon des propos rapportés par le bureau de presse de Baabda, le président Aoun a également indiqué que la formation "d'un gouvernement qui bénéficie de la confiance du Parlement est une priorité absolue". Il a affirmé qu'il "poursuivrait ses efforts pour parvenir à des résultats" à ce sujet "malgré les obstacles internes et externes" au Liban et le fait que "les personnes concernées ne suivent pas les usages constitutionnels et la méthodologie en vigueur" pour mettre sur pied le cabinet. Le chef de l'Etat a dans ce cadre expliqué au ministre Le Drian les différentes étapes des tractations et les prérogatives constitutionnelles du président de la République "qui doit préserver les équilibres politiques et confessionnels afin d'assurer que le cabinet obtient la confiance du Législatif". Et M. Aoun de mettre en exergue "le coût" qu'a eu pour le Liban le "temps perdu" lors des tractations. Le président Aoun a par ailleurs demandé à Jean-Yves Le Drian l'aide de la France et des pays européens pour pouvoir récupérer les fonds envoyés illégalement à l'étranger, "ce qui pourra aider à réaliser les réformes" attendues et à "poursuivre" en justice les personnes ayant utilisé illicitement de fonds publics ou de fonds reçus de l'Union européenne.
Le ministre français s'est ensuite rendu à Aïn el-Tiné pour y rencontrer le chef du Parlement, Nabih Berry, et a quitté sans faire de déclaration. Selon des informations de la chaîne locale LBCI, M. Le Drian aurait affirmé lors de sa réunion avec Nabih Berry que l'initiative française "est toujours sur la table et que les Libanais sont responsables de sa bonne mise en application, en formant rapidement un gouvernement". Selon des informations de la chaîne LBCI, lors de ses entretiens avec MM. Aoun et Berry, le ministre Le Drian n'est pas entré dans les détails des tractations gouvernementales, mais s'est contenté d'écouter leur version des faits concernant les différentes étapes du processus. Il a souligné que la France "a tenu ses engagements" vis-à-vis du Liban, contrairement aux "parties libanaises concernées", faisant uniquement allusion aux sanctions qui seraient imposées sans donner plus de précisions. Il aurait affirmé que sa visite intervenait principalement pour confirmer l'engagement de la France à aider les Libanais face à la crise socio-économique.
Deux diplomates français ont pour leur part déclaré à l'agence Reuters que Jean-Yves Le Drian voulait envoyer un message clair selon lequel la France soutient le peuple libanais, mais en a assez de la classe politique qui n'a pas respecté ses engagements. "Il est venu à Beyrouth pour transmettre aux responsables libanais un message fort, pour leur dire que le Liban est en train de couler et qu'ils sont ceux qui l'enfoncent encore davantage (...)", a déclaré de son côté une source politique libanaise. Selon cette source, le chef de la diplomatie a fait savoir que si les responsables politiques libanais ne réagissaient pas, personne ne pourrait aider le Liban.
Réunion avec les "forces politiques du changement"
A la Résidence des Pins, M. Le Drian a en outre reçu des représentants de différents groupes politiques et de la société civile, parmi lesquels se trouvaient le parti Kataëb, le Mouvement de l'Indépendance de l'ex-député Michel Moawad, le Bloc national, le mouvement Taqaddom (Progrès), la Coalition nationale, Beirut madinati et l'organisation "Massirat Watan". Cette réunion a eu lieu sous le titre d'un rassemblement des "forces politiques du changement". Selon des informations de la chaîne locale MTV, le député démissionnaire Neemat Frem et un représentant de Paula Yacoubian étaient également présents à la réunion à la Résidence des Pins. Les participants à cette réunion ont discuté avec le ministre ont discuté de leur approche de plusieurs dossiers, comme les armes du Hezbollah, la lutte contre la corruption ou la mauvaise gouvernance du pays. A l'issue de cette rencontre, Samy Gemayel a salué, sur Twitter, "l'intérêt" de M. Le Drian pour le pays du Cèdre. Il a indiqué que toutes les formations présentes à cette réunion ont remis au ministre français une lettre, en leur nom à toutes, dans laquelle elles insistent sur "le droit du peuple libanais à décider de son avenir et à vivre dans la dignité dans un Etat souverain dans lequel la loi et les échéances constitutionnelles sont respectées".
Ces différents groupes œuvrent à unifier leurs rangs dans le sillon du soulèvement populaire d'octobre 2019, déclenché contre la classe dirigeante jugée corrompue et incompétente, en vue notamment des élections législatives prévues en 2022. Une telle réunion "montre les limites de la relation exclusive de l'administration française avec la classe politique actuelle", a indiqué à l'AFP un responsable de cette opposition, sous couvert d'anonymat. Lors de sa visite à Beyrouth le 1er septembre 2020, Emmanuel Macron s'était également entretenu avec des représentants de la société civile au sens large.
Après avoir mis en garde les principaux tenants de la scène politique pendant plusieurs mois, la France a annoncé jeudi dernier avoir restreint l'accès au territoire français de plusieurs personnalités libanaises jugées responsables du blocage politique. Ni le type exact des restrictions, ni le nombre et les identités des personnes concernées n'ont été communiquées, une façon pour la France, allié historique du Liban, de laisser planer la menace sur l'ensemble de la classe politique locale. "Je voudrais le redire ici : les responsables du blocage doivent comprendre que nous ne resterons pas inactifs", avait précisé la semaine passée Jean-Yves Le Drian, rappelant que Paris avait déjà engagé une réflexion dans le cadre de l'Union européenne sur les instruments utilisables "pour accroître la pression" sur les responsables visés.
Au Quai d'Orsay, la porte-parole de la diplomatie française, Agnès Von der Mühll, a d'ailleurs répondu jeudi à une question concernant ces mesures imposées par la France. Elles ont été prises "à titre national" et visent à "restreindre l'accès au territoire français à des personnalités impliquées dans l'obstruction politique et la corruption", a-t-elle rappelé, évitant toutefois de citer les noms des dirigeants libanais visés. "Nous nous réservons la possibilité d'adopter des mesures supplémentaires si le blocage persiste", a-t-elle ajouté, précisant qu'une "réflexion" a été engagée avec les états membres de l'UE "sur les mesures à disposition pour accroître la pression en vue d'une sortie de crise".
Soutien de la France aux écoles
Selon une source informée citée par notre correspondante politique Hoda Chedid, le ministre français a précisé lors des ses réunions avec les dirigeants que sa visite entrait essentiellement dans le cadre du suivi des projets sociaux et éducatifs soutenus par la France, en coopération avec la société civile et des ONG locales.
C'est dans ce cadre qu'il s'est rendu dans l'après-midi à l'école des Saints Cœurs de Sioufi, à Beyrouth, pour une visite au cours de laquelle il a "réaffirmé le soutien de la France aux écoles du Liban, à ses élèves et à ses enseignants", selon des informations publiées par l'ambassade de France sur Twitter. "À travers un appui concret et continu, la France aide ces écoles à surmonter la crise et à rester le creuset d’excellence où se forment les talents de ce pays. L'aide de la France aux écoles françaises et francophones depuis l'été 2020 dépasse les 20 millions d'euros. Notre engagement continuera en 2021 et le fonds d'aide aux écoles d'Orient sera reconduit", a écrit l'ambassade.
1/3 Tous les Libanais ont droit à une éducation de qualité. Au collège Saint Cœur Sioufi, le Ministre @JY_LeDrian réaffirme le soutien de la France aux écoles du Liban, à ses élèves et à ses enseignants. #FranceLibanEnsemble????@SSCCsioufi pic.twitter.com/FD9mgTkiRt
— La France au Liban (@AmbaFranceLiban) May 6, 2021
Poursuivant sa tournée, Jean-Yves Le Drian a visité la Bibliothèque orientale de l'Université Saint Joseph, rappelant "l'engagement de la France en faveur du patrimoine". Selon un tweet de l'ambassade de France, le ministre a discuté avec l'association Aliph, qui milite pour la protection du patrimoine culturel dans les régions en conflit, de l'importance de s'engager "en faveur des lieux de transmission du savoir et de la culture, ciment de l’identité plurielle du Liban, de son rôle de trait d'union entre l’Occident et l’Orient".
Le chef du Quai d'Orsay s'est ensuite rendu au port de Beyrouth ravagé par une double explosion le 4 août 2020. Paris reste "mobilisé pour la reconstruction" du port, précise l'ambassade dans un message porté sur son compte Twitter, avant d'annoncer la signature, en présence du ministre, d'un accord entre l'entreprise française d'ingénierie environnementale Recygroup et l'administration du port pour "l’enlèvement et le traitement des grains restant dans les silos", détruits lors de la double explosion.
commentaires (31)
C’est parti avant la fin. OÙ SONT DONC TOUTES LES INSTANCES CONCERNEES pour arrêter un président sénile de brûler le pays avant qu’il ne soit trop tard dans le seul but de sauver un membre de sa famille. Y’a t-il dans ce pays une élite qui puisse se lever et mettre fin à cette mascarade en licenciant les vendus et en les condamnant pour trahison et manquement à leur devoir, ou c’est encore le peuple qui va payer leur entêtement et leur acharnement sur ce pays? On s’arrache les cheveux de voir qu’aucun responsable ne se met en travers de cet individu qui a perdu la raison et continue à occuper la fonction de président de la république.
Sissi zayyat
16 h 17, le 07 mai 2021