Le président français, Emmanuel Macron, a nommé, le 7 juin 2023, son ancien ministre des Affaires étrangères "envoyé personnel pour le Liban", afin de "faciliter" une solution "consensuelle et efficace" à la grave impasse politique que traverse le pays. A cette occasion, nous ressortons de nos archives ce portrait de Jean-Yves Le Drian.
De lui, on ne sait pas grand-chose. Il parle peu, évite les sorties de route et les petites confidences. C’est pourtant son sens de la formule qui a fait sa réputation de notre côté de la Méditerranée. Pour les Libanais, Jean-Yves Le Drian est avant tout l’homme qui a résumé mieux que personne le caractère tragico-grotesque de la situation : « Le risque aujourd’hui, c’est la disparition du Liban » (août 2020) ; « Pour moi, le Liban, c’est le Titanic sans l’orchestre » (décembre 2020) ; « Je serais tenté de qualifier les responsables politiques libanais de non-assistance à pays en danger » (mars 2021). « Il est breton, il nomme les choses », décrypte Gwendal Rouillard, qui lui a succédé en tant que député du Morbihan. Tout cela sur un ton très maîtrisé et loin de toute envolée lyrique. Toujours dans le style Le Drian : une force tranquille, droit dans ses bottes. Un homme discret, mais qui ne manque pas de poigne.
Des qualités particulièrement utiles dans le dossier libanais où, malgré l’échec de l’initiative française, il semble plutôt à l’aise dans son rôle. Celui d’un vieux sage assénant les vérités qui dérangent et agitant le bâton des sanctions. C’était déjà l’objet de sa visite en juillet 2020, quelques jours avant la double explosion du port de Beyrouth. « Il avait eu un discours très franc et extrêmement ferme vis-à-vis de la classe politique. Mais en même temps très réaliste sur ce que pouvait ou non faire la France. Il nous avait fait comprendre que Paris pouvait accompagner le mouvement mais que la révolution ne viendrait que de nous », raconte un Libanais ayant assisté à l’époque à un dîner informel entre le ministre français et des membres de la société civile. Il s’agissait de taper sur les doigts des responsables politiques et en même temps de se montrer aux côtés du Liban dans un moment où il en a particulièrement besoin. Un exercice d’équilibriste qui a, depuis, largement montré ses limites. On y reviendra plus tard. En attendant, rebelote, puisque le chef de la diplomatie française est arrivé à Beyrouth hier soir dans une énième tentative d’opération de sauvetage. Mais l’homme est suffisamment lucide et connaît trop bien le pays pour ne serait-ce que prétendre jouer ici les deus ex machina. Pas le genre de la maison de toute façon.
« Amoureux du Liban »
Il en va de sa carrière politique comme de sa relation au Liban : le ministre français des Affaires étrangères est un homme du temps long. Le « menhir » a effectué sa première visite au pays du Cèdre en 1978, après avoir été élu pour la première fois député PS du Morbihan. « C’est un amoureux du Liban et un passionné du monde arabe », assure Gwendal Rouillard. Social-démocrate, fidèle de Jacques Delors, Jean-Yves Le Drian a semblé un temps destiné à demeurer un baron local dans sa Bretagne natale. Ce n’est qu’en 2012, avec l’arrivée à l’Élysée de son compagnon de route François Hollande, qu’il prend enfin un rôle de premier plan sur la scène nationale en étant nommé ministre de la Défense. C’est à partir de ce moment que cet agrégé d’histoire construit sa réputation d’homme d’État. Il se démarque en obtenant d’excellents résultats dans l’exportation d’armements, notamment le Rafale, pourtant réputé pour être invendable. Sa méthode ? « Une approche très courtoise, très patiente, qui vise à construire des alliances sur le temps long, décrypte Frédéric Charillon, professeur des universités en sciences politiques à l’École nationale d’administration. Il a aussi profité d’un contexte de réarmement général un peu partout. »
Cette politique lui vaut aussi jalousies et critiques. D’une part en raison de l’espace qu’il occupe – on le surnomme le vice-Premier ministre –, et d’autre part à cause de ses liens de proximité affichés avec plusieurs autocrates du monde arabe, à l’instar de Abdel Fattah al-Sissi et de Mohammad ben Zayed, à la fois bons clients et partenaires stratégiques de Paris, qui s’est montré en retour particulièrement peu loquace face aux nombreuses violations des droits de l’homme dans ces pays. Stratégiquement, le renforcement de la relation a produit du bon et du moins bon. Outre la coopération militaire, il a permis quelques années plus tard, en 2017, à Emmanuel Macron de venir au secours de Saad Hariri pris en otage en Arabie saoudite, ou encore de créer un axe solide contre les velléités turques en Méditerranée orientale. Mais il explique aussi en partie le fiasco français en Libye, où Paris a participé à encourager le maréchal Haftar dans son projet de conquête du pays, et son échec à se poser en médiateur sur la question du nucléaire iranien.
Vitesse supérieure
Seul poids lourd, et seul survivant de l’ère Hollande, Jean-Yves Le Drian est nommé à la tête du Quai d’Orsay lors de l’arrivée à l’Élysée d’Emmanuel Macron. Là encore, aucune frasque, aucun faux pas majeur depuis le début du mandat. « Il a le souci constant de l’efficacité et du résultat », avance Gwendal Rouillard. L’homme s’adapte et s’entend aussi bien avec François Hollande qu’avec Emmanuel Macron. Avec le jeune président, ils forment un tandem qui a au moins le mérite de la complémentarité. « L’un est impulsif, passionné, aime aller vite, et l’autre incarne une ligne plus sobre », dit Frédéric Charillon.
La scène libanaise, on y revient, en a peut-être été la meilleure démonstration. Après le temps I de l’initiative française, porté par l’audace et la candeur d’Emmanuel Macron, semble être venu le temps II, incarné cette fois-ci par Jean-Yves Le Drian. Le ministre a complètement pris le dossier en main depuis quelque temps et paraît déterminé à passer à la vitesse supérieure après des mois de tergiversations au sein de l’équipe française. Comment résoudre le casse-tête libanais, ce pays que la France ne peut ni sauver ni abandonner ? En continuant d’attendre que les responsables politiques – que les Français eux-mêmes considèrent comme irréformables – mettent leurs querelles de côté dans l’intérêt général ? Ou en faisant en sorte, avec les moyens du bord et en ayant conscience des limites de l’opération, d’accompagner la transition ? C’est cette dernière option qui serait au cœur de la visite du ministre qui doit permettre de sortir l’initiative française des méandres de la politique libanaise. Emmanuel Macron a mis la barre très haut – peut-être trop – il y a neuf mois, suscitant des attentes quasi irrationnelles. Jean-Yves Le Drian est prévenu : cette fois, même les meilleures formules ne suffiront pas. Les Libanais ne veulent rien d’autre que… des résultats.
Pardon OLJ, de lui on sait beaucoup de choses et louables. Il sait où il met les pieds et il les essuiera si l’âne ne marche pas avec le bâton, après avoir refusé la carotte. Si un âne reste âne c’est qu’il est un vrai âne.
00 h 24, le 08 juin 2023