
La ministre sortante de la Justice, Marie-Claude Najam. Photo d'archives ANI
La ministre libanaise sortant de la Justice, Marie-Claude Najm, s'est insurgée samedi après la querelle judiciaire provoquée par une décision du procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, à l'encontre de la juge Ghada Aoun, sur fond de tensions politiques. Elle a estimé dans ce contexte que la justice au Liban a échoué à lutter contre la corruption, et rappelé avoir saisi l'inspection judiciaire au sujet du bras de fer entre les juges Oueidate et Aoun, qui s'est manifesté dernièrement sur les réseaux sociaux et les chaînes télévisées.
Dans un rappel à l’ordre évident à l’intention de la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, considérée comme proche du président de la République, Michel Aoun, le juge Oueidate, réputé proche du Premier ministre désigné Saad Hariri, a pris jeudi la décision de modifier la répartition des tâches au sein des parquets de cette cour, restreignant aux trois magistrats Sami Sader, Samer Lichaa et Tanios Saghbini l’examen, respectivement, des crimes de trafic et d’écoulement de drogue, des grands crimes financiers et des homicides. Les autres dossiers restant en l’état. Rendue publique hier, la décision a fait grand bruit puisqu’elle a été interprétée comme une évidente restriction administrative du champ de compétence de Ghada Aoun. Des images de la juge, accompagnée par des agents de la Sécurité de l'Etat et de partisans aounistes lors d'une perquisition musclée d'un bureau de change dans le Metn appartenant à Michel Mecattaf, ont fait le tour des télévisions et des réseaux sociaux, provoquant un tollé dans les milieux qui considèrent que la juge a outrepassé ses prérogatives. Revenant à la charge, la juge Aoun a opéré samedi une nouvelle descente dans les bureaux de l'entreprise de change Mecattaf à Aoukar, rapporte l'Agence nationale d'information (Ani, officielle). C'est la deuxième fois qu'elle s'y rend en deux jours, dans le cadre de ses enquêtes sur les agissements des agents de change du marché parallèle. Des partisans de la magistrate se sont rassemblés aux alentours de l'entreprise, selon l'Agence nationale d'information (Ani, officielle), alors que l'avocat général près la cour d'appel du Mont-Liban, le juge Samer Lichaa, se trouvait déjà à l'intérieur des bureaux. S'adressant aux manifestants, la magistrate les a appelé à garder leur rassemblement pacifique. Elle a ensuite affirmé qu'elle "travaillait dans le respect de la loi". "Nous ne voulons insulter ni attaquer qui que ce soit", a-t-elle ajouté.
C'est Ghada Aoun qui avait récemment engagé des poursuites contre le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) Riad Salamé et la Société générale de banque au Liban (SGBL) pour des transferts bancaires massifs à l’étranger, et des faits relevant du blanchiment d’argent. Des milliards de dollars ont été exfiltrés du Liban à l’automne 2019 et à divers autres intervalles. Une situation injustifiable sur le plan éthique puisque les comptes des petits épargnants étaient parallèlement bloqués. La situation bénéficiait cependant d'une couverture légale en l’absence d’une loi sur le contrôle des capitaux. Selon des sources informées, la juge Aoun avait engagé ses poursuites contre la SGBL et M. Salamé sur base de photocopies du dossier, alors que l’affaire était déjà examinée à Beyrouth, à la demande du parquet financier. Cette façon de faire avait créé un cas de litispendance (un litige unique porté devant deux juridictions différentes dont on suppose qu’elles sont également compétentes pour en connaître), précisent des sources judiciaires. Dans le prolongement de cette affaire, la magistrate avait été invitée à rendre compte de son travail au regard d’un certain nombre de plaintes présentées à son encontre à ce sujet.
Najm excédée par la querelle judiciaire
Excédée par la tournure de la situation et de la querelle qui s'étale dans les médias, la ministre sortante de la Justice, Marie-Claude Najm, a tenu une réunion samedi avec le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Souhail Abboud, et le président de l'Inspection judiciaire, Bourkan Saad. Lors de ce meeting, Mme Najm, qui aurait haussé le ton, selon les informations de la chaîne LBCI, a affirmé "refuser de se laisser entraîner vers des prises de positon en faveur de telle ou telle partie". "Je n'ai aucune affiliation politique, et je défi quiconque de dire que j'ai accédé aux demandes d'une quelconque partie. Ma seule référence, c'est la loi et les institutions".
"Ces derniers temps, les gens voient la justice s'afficher sur les chaînes de télévision", a regretté Mme Najm. "Les gens ont l'impression qu'il y a des juges du côté de la Banque du Liban (BDL) et des juges contre", a-t-elle encore estimé, sans à aucun moment mentionner les noms des juges Oueidate et Aoun. Elle a ensuite estimé que "le pouvoir judiciaire est incapable de lutter contre la corruption et mène ses guerres devant les médias". "Face à ces développements, nous avons une autorité de référence, l'inspection judiciaire. J'ai demandé par écrit il y a deux semaines que cette instance mette la main sur ce dossier", a annoncé Mme Najm. "Je ne serai pas un faux-témoin du pouvoir judiciaire et de la situation actuelle dans laquelle il se trouve", a-t-elle ajouté, appelant la justice à "se soulever" contre cette situation.
Le CPL et le Courant du Futur s'échangent les accusations
La polémique a pris de l'ampleur samedi suite à un échange d'accusations par communiqués interposés entre le Courant patriotique libre (CPL) dirigé par Gebran Bassil, et le Courant du Futur du Premier ministre désigné, Saad Hariri. Le bureau politique du CPL a ainsi pris parti dans la bataille judiciaire en faveur de la juge Ghada Aoun, sans la mentionner nommément. "La vraie révolution est celle d'une justice honnête qui se tient au côté des causes des gens contre certains juges corrompus qui cachent des dossiers, les négligent ou les bloquent", a estimé le parti. "Parler de réformes et de lutte contre la corruption n'a pas de sens sans justice indépendante, courageuse et efficace. Quelle réforme pouvons-nous espérer si le pouvoir judiciaire n'est pas rétabli ?", s'est interrogé Gebran Bassil sur son compte Twitter, en écho au communiqué. "Chaque Libanais doit choisir son camp : ceux qui veulent la réforme de l'État et le recouvrement des fonds ou ceux qui veulent la poursuite de la corruption et de l'effondrement", a ajouté le député de Batroun.
"Nous continuerons d'exposer tous les dossiers liés à la lutte contre la corruption", a affirmé le parti, qui fait de cette lutte son cheval de bataille, défendant notamment l'audit juricomptable de la Banque du Liban. Aussi le CPL a-t-il a accusé ceux qui soutiennent "le mensonge, notamment dans les cas de transferts illégaux d'argent libanais à l'étranger pour vider de manière détournée les devises du pays" de "semer le chaos". Dans ce contexte, le CPL a demandé à la ministre sortante de la Justice, Marie-Claude Najm et au Conseil supérieur de la magistrature "d'assumer leurs responsabilités et de ne pas se taire sur ce qui arrive au sein du pouvoir judiciaire".
La réponse du Courant du Futur ne s'est pas fait attendre. La formation haririenne a ainsi estimé que la situation de la justice était "extrêmement dangereuse et inédite, même durant la guerre civile et l'époque de la tutelle du régime sécuritaire syro-libanais". Le Courant du Futur a ensuite affirmé que "pleurer sur certains juges après les avoir encouragés à violer les lois et leur avoir demandé d'ouvrir des dossiers contre des rivaux (politiques) est une question qui ne trompe plus aucun Libanais".
commentaires (14)
Video publiée par l'intervention du juge Ghada Aoun su le site d'une Société de Change dont je n'ai pas saisi le nom était ahurissante . Sans en comprendre les termes , la façon brutale d'intervention et les hauts cris de d'interpellation me laisse comprendre que vous êtes bien loin d'une civilisation, dont vous prétendez l'être. Je regrette de le comprendre de cette façon.
DRAGHI Umberto
21 h 40, le 18 avril 2021