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Culture

Neuf céramistes sous le feu des projecteurs

Ils sont de plus en plus nombreux, les artistes libanais, qui se spécialisent dans l’art de fabriquer des poteries. En voici  quelques-un(e)s qui parlent de cet art du feu... sacré.

Neuf céramistes sous le feu des projecteurs

Nathalie Khayat, chandelier brun par Élie Bekhazi et grande pièce blanche par Howard Goodman. Portrait par Vartan Seraydarian

Nathalie Khayat, une bulle créatrice

Il y a 25 ans, un sac d’argile est tombé par hasard entre les mains de Nathalie Khayat. Coup de foudre immédiat. Mais frustrée par les premiers résultats, elle décide d’étudier les techniques et de parfaire son apprentissage dans une école de céramique à Montréal. Aujourd’hui, sa maison à Beyrouth est ce lieu qui se trouve à côté de son atelier, de son four avec lequel elle entretien un rapport fusionnel. C’est là où elle s’est créée une bulle créatrice. C’est là également où elle enseigne son art à des néophytes devenus de plus en plus nombreux. « En ces temps d’isolement, les gens ressentent le besoin de travailler avec leurs mains, de toucher. »

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Le travail de Khayat comporte deux aspects : les pièces sculptées et les objets fonctionnels. Avec des bols et des assiettes, elle exprime des émotions. « Ils deviennent l’écrin du contenant », dit-elle. Elle recherche la beauté dans l’imperfection. Elle triture, malaxe, déforme, tord… Et avoue une grande passion pour le four. « La céramique m’apporte beaucoup de bonheur », dit-elle avec un sourire dans la voix.

Samar Mogarbel. Photo DR

Samar Mogarbel, la sculptrice…

Elle est, sans conteste, l’une des figures de proue de la céramique contemporaine libanaise. Samar Mogharbel, née à Beyrouth en 1958, a commencé par s’initier à l’art de la poterie auprès de la pionnière du genre, feue Dorothy Salhab Kazemi, avant de partir décrocher un diplôme de troisième cycle en céramique au Goldsmith’s College de l’Université de Londres. De retour au Liban au début des années 1990, elle n’a depuis cessé d’inscrire dans la glaise les bouleversements successifs que vit le pays du Cèdre. Des attentats à la voiture piégée et de la sauvage démolition des maisons anciennes mettant en péril le patrimoine architectural, jusqu’à l’état actuel de dévastation et d’épuisement des Libanais, représenté dans sa récente série de tuyaux d’échappements distordus, elle façonne, avec un art suprême, de véritables sculptures en céramique qui font écho aux troubles de son temps. Des œuvres pour lesquelles elle a décroché, entre autres, le premier prix du Salon d’automne du Musée Sursock en 2006.

Hala Matta. Portrait par Chérine Jokhdar

Hala Matta, couleurs et influences fifties…

De retour au Liban, après 25 ans d’une carrière dans la finance et le luxe en France, Hala Matta prend un cours de poterie chez la céramiste libanaise Nathalie Khayat et… c’est le coup de foudre.

« Depuis je n’ai pas cessé un seul jour de malaxer la terre avec bonheur », dit celle qui grâce à cette pratique « a appris la patience et la résilience ». La jeune femme lance en 2013 son atelier baptisé Namika (contraction des premières syllabes des noms de ses trois amies qui lui ont offert son premier four) qui devient rapidement une « petite fabrique collaborative » où avec d’autres potiers et artistes, elle réalise des créations diverses et variées qui vont des simples vases aux pièces mobilières (« des luminaires et des tables surtout »). Avec cependant une prédilection marquée pour les panneaux décoratifs muraux, aux formes et couleurs très années cinquante. Depuis le 4 août dernier, elle s’essaye aussi à la fabrication de très grandes céramiques totémiques « pour remplacer, confie-elle, mon totem Ettore Sottsass brisé par l’explosion de Beyrouth ».

Huda Baroudi.Photo DR

Huda et Élie Baroudi, corps avec la terre

Il faut écouter Huda et Élie Baroudi parler de céramique. Il faut les regarder s’émouvoir au contact de la puissance spartiate d’un bol rescapé de l’âge de bronze, ou d’un ex-voto qui a traversé les barrages des millénaires, depuis la Mésopotamie, pour se retrouver là, entre nos mains, tout en gardant la trace de celles qui l’ont façonné à la force du cœur. « Si ce n’est pas quelque chose de mystique, alors on ne sait pas ce que c’est », disent-ils. Il faut les voir célébrer ces mains qui, sans le savoir, souvent à travers un geste simple et rudimentaire, celui de faire corps avec la terre, « le produit le plus accessible », ont inventé pas moins que des merveilles. Il faut cela pour comprendre comment sous les doigts d’Élie Baroudi, et ceux de sa femme Huda, a pris vie leur série d’anges sans âge dont les ailes fêlées portent en eux toute l’humanité des hommes. Ou sinon les bols de Huda, la série d’arbres d’Élie (dont la plupart a été soufflée, le 4 août) leur poésie brute ou leur brutalité poétique, qui racontent un temps qui a dépassé le temps.

Zein Daouk Jabr.Photo DR

Zein Daouk Jabr, reine des champignons

De l’argile plein les mains, entourée d’un monticule de champignons délurés en céramique qu’on dirait échappés d’une page de Lewis Carroll, elle tient pourtant à dire qu’elle est architecte. Bien qu’elle se soit lancée dans la céramique il y a 22 ans, Zein Daouk Jabr se considère plutôt comme une bâtisseuse dont l’argile est le médium de prédilection. Poussée par une curiosité qui ne cesse de la titiller, cette éternelle élève, comme elle aime à s’appeler, a trouvé dans la céramique l’écrin idéal où prennent vie les histoires et émotions qui lui fleurissent dans la tête. Recluse dans son studio de Clemenceau, en retrait de la folie de Beyrouth, elle ne cesse de créer ses sculptures, à la fois architecturales et doucement étranges, dont ses sortes de champignons qui interrogent la langue occulte du Kingdom of Fungus. En réussissant, à chaque fois, le pari de croiser beauté et fonctionnalité.

Nevine Bouez. Photo DR

Nevine Bouez, la terre toujours plus haut

Enfant, elle crayonnait, dessinait. Aujourd’hui, Nevine Bouez sculpte et peint. Toujours en grand format. Poussée par Nathalie Khayat, l’artiste (Fine Arts à Londres) s’immergera dans la céramique. Palper la terre, lui donner des formes, des couleurs, l’enfourner et créer des textures et des harmonies nouvelles, des gestes qui lui procurent une joie s’apparentant à une élévation presque spirituelle. Par ses œuvres, elle établit un dialogue avec le spectateur en lui montrant la matérialité de l’argile, sa malléabilité, sa polyvalence et sa vulnérabilité. Contemporain mais intemporel, son travail est immatériel, narrateur et symbolique. L’art est salvateur pour Bouez qui décloisonne tout confinement. Durant ces temps durs, la céramiste n’a pas cessé de vendre des œuvres dans des enchères internationales au profit d’associations. Pour elle, tendre la main et donner sont plus gratifiants que de recevoir.

Rasha Nawam et Marylynn Massoud.Photo DR

Nawam, Massoud et les objets de désir

Personne, comme Rasha Nawam et Marylynn Massoud, n’aura réussi à faire d’un ustensile aussi banal qu’un plat ou une assiette, un objet de désir. Au faîte d’un succès (commercial) qui ne cesse d’accroître voilà dix ans qu’elles ont joint leurs forces, les deux céramistes auraient pu facilement dormir sur leurs lauriers. Rien de cela. Poussant plus loin les limites de leur pratique, Nawam et Massoud ont non seulement marqué au fer rouge leur vocabulaire inimitable tout en entrelacs de pastels, mais elles ont aussi élevé le travail de la céramique, longtemps déconsidéré, au rang d’art. Nulle surprise donc que les deux femmes aient pu faire voyager leurs créations depuis des tables de fêtes beyrouthines jusqu’aux salles d’expositions du Armory Show de New York ou au Miami Art Basel. Aujourd’hui, dans les fêlures de leurs pièces soufflées par l’explosion du 4 août, le tandem d’artistes continue, sans relâche, d’insuffler sa propre idée de la beauté.

Lina Shamma.Photo DR

Lina Shamma rêve, les mains dans l’argile

Reconvertie en céramiste, Lina Shamma, dont on connaissait auparavant les rêves de bijoux baroques de sa marque Madame Rêve (avec sa partenaire Hala Mouzannar), présentait en 2016 à House of Today, Saudade Komorebi, une sorte de socle aux accents terrestres sur lequel des figures d’hommes en céramiques brouillaient les frontières entre objet, sujet et spectateur. Cette pièce avait à ce point retenu l’attention qu’elle avait ensuite été exposée à la galerie Nilufar à Milan. Pourtant, ce que Lina Shamma puise dans l’art de la céramique, ce n’est certainement pas une volonté de reconnaissance mais plutôt un passe-temps qui s’est vite transformé en besoin, dit-elle. Tant et si bien qu’en dépit d’un atelier totalement broyé par l’apocalyptique 4 août (où elle se trouvait d’ailleurs ce jour-là), malgré les coupures de courant qui font souvent capoter la cuisson de ses objets ou les difficultés à importer des matières premières, la céramiste continue de trouver de sa pratique quelque chose qui ressemble à un refuge, une bouée de sauvetage, un havre de paix.

Nada Rizk.Photo DR

Nada Rizk résiste aux oiseaux migrateurs

C’est sur le tard que Nada Rizk s’est jetée tout entière dans la céramique après que ses professeurs à l’ALBA (sur les bancs desquels elle côtoyait des élèves qui avaient l’âge de ses enfants), Samir Muller et Nicole Harfouche, l’eurent encouragée à explorer cette voie. Depuis, dans son atelier de Broummana, la céramiste a tissé une œuvre à la poésie naïve qui ne cesse de déchiffrer la nature et la société qui l’entourent. De sa série Flock d’oiseaux qui semblent regarder le monde depuis des rebords de bols – laquelle a été largement remarquée lors de l’édition 2018 de House of Today –, à ses drôles de têtes qui cartographient la société libanaise, en passant par ses troublants Cocoons présentés au Salon d’automne du Musée Sursock en 2019, Nada Rizk n’a cessé de tracer les contours d’un langage artistique singulier, sous-tendu par une maîtrise remarquable du médium. Aujourd’hui, pour elle, par-delà les contraintes financières, le plus grand défi est simplement de résister à l’appel de ses oiseaux migrateurs, en « restant ici ». Et résister à travers son art.

Nathalie Khayat, une bulle créatriceIl y a 25 ans, un sac d’argile est tombé par hasard entre les mains de Nathalie Khayat. Coup de foudre immédiat. Mais frustrée par les premiers résultats, elle décide d’étudier les techniques et de parfaire son apprentissage dans une école de céramique à Montréal. Aujourd’hui, sa maison à Beyrouth est ce lieu qui se trouve à côté de son...

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Bravo les artistes, nous sommes fiers de vous!

Sabri

07 h 36, le 17 avril 2021

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Commentaires (1)

  • Bravo les artistes, nous sommes fiers de vous!

    Sabri

    07 h 36, le 17 avril 2021

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