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Nos Lecteurs ont la Parole

Le Liban face aux pièges internes et à la tourmente régionale

Il vaut mieux partir cinq ans trop tôt qu’une minute trop tard.

Charles DE GAULLE

Durant les nombreuses années d’exil en France, Raymond Eddé refusa catégoriquement de rencontrer Michel Aoun. À chaque fois que nous lui demandions d’accepter cette réunion, il nous répondait : « Vous ne savez pas ce qui se passe dans les coulisses ! Cet homme est lunatique, et malheur au Liban s’il arrive à la présidence de la République ! » Raymond Eddé était perspicace et savait des secrets que nous ne connaissions pas. Il n’est jamais tombé dans le piège de Michel Aoun, contrairement à Saad Hariri avec qui Fouad Siniora était en désaccord au sujet du compromis que Hariri avait conclu, car il a fait pencher la balance lors de l’élection présidentielle en faveur de Michel Aoun. Il avait pris cette décision suite à la paralysie provoquée pendant trois ans par le Hezbollah et Nabih Berry en raison de l’hérésie portant sur l’interprétation constitutionnelle du quorum requis pour l’élection du président de la République.

C’était la première fois que Siniora se trouvait en désaccord avec Hariri ! « En votant pour Michel Aoun, l’État sera sous le contrôle de Hezbollah », ne cessait de répéter Siniora, mais Hariri ne voulut pas entendre. Il s’obstina dans son idée, même si la plupart des « haririens » furent convaincus du point de vue de Siniora et finirent par ne pas voter pour Michel Aoun. D’ailleurs, Siniora a réussi, par sa sagesse, à éviter toute division au sein du parti de Hariri. Les jours passèrent … Et chaque jour qui passe confirme la perspicacité de Raymond Eddé et de Fouad Siniora, d’une part, et la naïveté de Saad Hariri quant au piège que lui a tendu Gebran Bassil, d’autre part.

La comparaison entre Fouad Chéhab et Michel Aoun oppose un homme qui lutte contre l’effondrement d’une civilisation et un individu qui se moque du fait que la civilisation disparaisse, pourvu qu’il puisse vivre dans ses ruines à la façon d’un satrape. Le premier donne sa vie pour sauver le Liban ; le second donne le Liban pour sauver sa vie. L’un veut un Liban fort, grand et puissant, à même d’inspirer le monde arabe ; l’autre le veut faible, petit et impuissant, dirigé par le monde arabe et l’Iran. Le chef de l’État ne se sert pas de l’État, mais il le sert, car il est lui-même un instrument au service de la volonté populaire. Le fin mot de la république est donc la consultation électorale qui permet de savoir ce que veut le peuple. Dans cette configuration, l’objectif du chef de l’État n’est pas de tout faire pour être élu ou réélu, mais de proposer un contrat social qu’il est le seul à pouvoir rompre.

Les causes de la chute

C’est la raison pour laquelle l’État et ses institutions commencèrent à se désintégrer après l’élection de Michel Aoun :

1- Le contrôle qui précède et suit les adjudications et les contrats administratifs fut aboli (les pouvoirs furent abolis, et le Conseil de la fonction publique, la Cour des comptes, l’Inspection centrale, le Comité de contrôle des adjudications, etc. opèrent, mais inefficacement). Saad Hariri recule et Gebran Bassil avance. Les marchés sont désormais conclus de gré à gré sans aucun contrôle, la fraude est devenue la règle et le gaspillage des fonds s’aggrave.

2- Le contrôle antérieur aux désignations dans les fonctions publiques fut aboli. Ainsi, chaque ministre « aouniste » désignait des milliers de ses partisans qui ne sont pas qualifiés et qui n’ont absolument aucune fonction à remplir dans son ministère alors même qu’ils sont payés ! Ces nouveaux fonctionnaires ne se rendent même plus au travail.

3- Il existe actuellement deux pouvoirs judiciaires : un pouvoir judiciaire « politique » désigné par la classe gouvernante et un pouvoir judiciaire « judiciaire » dépourvu de tout pouvoir, divisé entre Souhail Abboud et Ghada Aoun.

Le nombre de magistrats qui ont démissionné a augmenté, encore plus que le nombre de ceux qui ont demandé à être mis en disponibilité. L’amère vérité, c’est qu’il ne reste que la forme extérieure du pouvoir judiciaire. Le pouvoir judiciaire, jadis connu pour son professionnalisme, est devenu le pouvoir judiciaire de Mihdaoui en Irak.

4- Les ministres « aounistes » se sont emparés du ministère de l’Énergie sous le leadership de Gebran Bassil. Les dettes se sont accumulées en raison du fuel frelaté, des équipements en panne et des adjudications non soumises à un quelconque contrôle, avec un déficit qui s’élève à 65 milliards de dollars, sans qu’il y ait pour autant une alimentation en courant électrique. Nous serons très prochainement plongés dans l’obscurité totale, une réalité qu’un député « aouniste » ne trouve pas étrange, déclarant que nos ancêtres n’avaient pas d’électricité ! Il serait préférable pour Gebran Bassil et ses ministres aounistes qui se sont succédé depuis 15 ans comme ministres de l’Énergie de ne pas dire que cela renforcera et préservera les droits des chrétiens, et permettra au président de rétablir les pouvoirs qui lui étaient accordés avant l’accord de Taëf.

5- Du secteur de l’énergie, nous passons à celui des télécommunications et au loyer des immeubles dont la valeur excède celle des immeubles dans leur totalité, alors que le ministre et président de la Chambre de commerce, très proche de Saad Hariri, réside la plupart du temps à la Maison du Centre pour assurer les services !

6- L’ingénierie financière orchestrée par le gouverneur de la Banque centrale afin que tous les projets passent inaperçus alors que, selon la presse, il a été « élu le premier et meilleur gouverneur d’une banque centrale au monde » ! L’intérêt a atteint 15 % sur les dépôts, attirant ainsi les fonds des émigrés et des résidents.

Les Mille et une Nuits…

Le règne de la milice

Saad Hariri s’est réveillé trouvant les caisses de l’État vides, l’économie en chute libre, et le Hezbollah mettant la main sur l’État et ses institutions !

Fouad Chéhab avait dit une fois à Béchara el-Khoury que l’armée est faite pour protéger les frontières, et non pour se retourner contre ses citoyens et réprimer les manifestants. Joseph Aoun l’avait aussi dit d’une façon indirecte, mais le plus important, c’est que son message soit compris.

Ainsi commença, pour la première fois de son histoire, le siège du Liban par tous les États, arabes et occidentaux. L’État est devenu un État iranien en raison du contrôle total par le Hezbollah, un parti qui, du fait de sa doctrine, suit la wilayet al-faqih ! À noter que la wilayet al-faqih est une théorie émanant d’un mouvement d’hommes religieux chiites qui furent exclus par l’uléma irakien qui n’a jamais cédé à l’Iran, l’ayatollah Sistani !

Le Liban a choisi le règne des milices, et non celui de l’armée libanaise, et le Hezbollah est devenu le parti qui gouverne. Les fonds, les ordres et les armes commencèrent à affluer d’Iran, transformant le Liban en un marécage iranien ! Jadis, l’Iran était un pays de civilisation et de culture avec le chahc mais hélas, il est devenu après le chah le pays des hommes religieux fanatiques où la wilayet al-faqih reflète l’époque préislamique chiite !

L’Iran sous le règne de Mohammad Mossadegh et Kachani était une démocratie riche où le patriotisme régnait. Mais les mafias américaines à cette époque ont exploité le chah d’Iran pour perpétrer un coup d’État militaire renversant Mohammad Mossadegh et Kachani. Le chah s’est transformé en un outil défendant les intérêts américains et terrorisant son peuple. Les partisans de la wilayet al-faqih prirent le pouvoir afin de bâtir un empire qui possède des armes nucléaires mais qui appauvrit le peuple iranien ! C’est à partir de ce moment que le conflit entre les États occidentaux et l’Iran nucléaire commença. Israël fut l’instigateur de ce conflit car la présence d’armes nucléaires menace son existence même.

Mais voilà qu’avec une mentalité américaine stupide, un compromis fut atteint pour l’arrêt du développement des armes nucléaires, et la levée de l’embargo et des sanctions sur l’Iran ! Au lieu de dépenser les fonds libérés sur le peuple iranien appauvri, l’Iran les investit dans le développement de l’énergie nucléaire, et ce jusqu’à l’arrivée de « Trump le chiite » qui mit fin à ce compromis et rétablit les sanctions contre l’Iran ! Ce dernier enrichit l’uranium et essaie d’accroître son influence dans la région pour raviver l’empire perse !

L’arme nucléaire

Ce fut un pêle-mêle général dans une situation de conflit. Mais la wilayet al-faqih n’abandonnera pas son programme nucléaire, l’outil de son influence dans la région, et Israël perturbera sans aucun doute son plan car les armes nucléaires iraniennes constituent un danger sérieux pour son existence et pour toute la région ! D’où la normalisation des relations entre Israël et la grande majorité des pays arabes qui font face aux dangers des armes nucléaires et de la wilayet al-faqih.

Les mollahs pénétrèrent en Irak et en Syrie par la voie de la dictature de la wilayet al-faqih, et étendirent leur influence et leur contrôle jusqu’à ce que les peuples aient pris conscience de cette réalité. Le patriotisme du peuple irakien a prévalu sur son chiisme de la wilayet al-faqih et la Russie a reconsidéré ses alliances avec l’Iran, ce qui se reflétera sur la Syrie !

Lors de la guerre froide, le monde était divisé entre l’Occident, qui place la liberté avant la justice, et les gauchistes internationaux, qui placent la justice avant la liberté. Quant au tiers-monde, plus particulièrement de nos jours, il ne se soucie ni de liberté ni de justice, comme c’est le cas en Iran.

Toutes les secousses affectant la wilayet al-faqih ne changeront rien car Israël bénéficie de l’appui des États-Unis, et ne sous-estimera pas le danger provenant des armes nucléaires iraniennes et menaçant son existence. Ces concepts sont étroitement liés. L’Iran de nos jours n’est pas celui de Mohammad Mossadegh et Kachani pour qu’il prospère et fasse régner la liberté, il est malheureusement celui de la wilayet al-faqih. La guerre frappe à ses portes sans doute !

La carte de la région change… L’Arabie saoudite, sous le règne du prince héritier, commence, d’une part, à sortir du retard dont elle souffre au niveau religieux, mais, d’autre part, conserve sa dictature, un fait reflété par l’assassinat de Jamal Khashoggi. Ces deux extrêmes ne peuvent pas coexister. C’est ou bien l’enfer ou bien le paradis, mais impossible d’avoir les deux en même temps.

Raï, le Mandela du Liban

Qu’en est-il du Liban ?

Le Liban est tombé dans le gouffre !

Les barrages routiers ne servent à rien, même si la famine et le chaos sont à nos portes. La solution réside dans le changement. Je dis aux révolutionnaires qu’au lieu de couper les routes, attaquez les maisons des politiciens qui ont volé vos fonds et récupérez-les. C’est dans leurs coffres que vous trouverez ces fonds pillés, et c’est dans leurs maisons que la wilayet al-faqih s’est nichée en se cachant derrière Michel Aoun et Gebran Bassil… Renversez la wilayet al-faqih pour que le Liban regagne sa beauté d’autrefois ; la majorité des chiites sont avec vous ; le patriotisme avant le confessionnalisme, le patriotisme avant la wilayet al-faqih. L’Irak est déjà passé par là et il est un modèle à suivre. Le peuple irakien a été plus fort que les milices de la wilayet al-faqih ; preuve en est la révolte du patriotisme irakien contre le confessionnalisme de la wilayet al-faqih.Le Liban est le pays de la culture, de la liberté et de la civilisation. Cela a été clairement reflété lors de la visite que le président de la République française, M. Emmanuel Macron, a rendue à Feyrouz après la double explosion du 4 août 2020. M. Macron a visité plusieurs pays, mais n’a jamais consacré du temps pour rendre visite à une chanteuse. Le Liban est le pays de Feyrouz, et Feyrouz est le Liban.Aujourd’hui aussi, nous avons un Mussolini, le même Mussolini qui écrasa son peuple. Mais le patriotisme italien était vainqueur et Mussolini fut pendu la tête en bas ! Après Mussolini, le monde fut témoin de l’action d’un homme qui a fait régner la paix en Afrique du Sud après avoir longuement lutté contre le système politique institutionnel de ségrégation raciale (apartheid), ce fut Nelson Mandela. À notre niveau, le patriarche Raï est le Nelson Mandela du Liban. C’est avec lui que le Liban recouvrera sa liberté et sa souveraineté, et c’est lui qui lèvera l’embargo imposé au Liban, lui permettant ainsi de retrouver sa gloire passée.

Le règne « fort » peut emprisonner les Libanais, mais il ne pourra jamais emprisonner leurs rêves. L’avenir n’est pas une fatalité ; il dépend de l’effort déployé par l’être humain de manière individuelle ou collective. En d’autres termes, il dépend de sa perception et de son comportement. Aucun progrès n’est certain et aucun retard n’est imposé. Cela n’échappe pas au contrôle de l’être humain et ne le limite pas d’une manière restrictive.

Abdel Hamid EL-AHDAB

Avocat

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Il vaut mieux partir cinq ans trop tôt qu’une minute trop tard.Charles DE GAULLEDurant les nombreuses années d’exil en France, Raymond Eddé refusa catégoriquement de rencontrer Michel Aoun. À chaque fois que nous lui demandions d’accepter cette réunion, il nous répondait : « Vous ne savez pas ce qui se passe dans les coulisses ! Cet homme est lunatique, et malheur au Liban...

commentaires (1)

a mon corps defendant, je constate que cet article peche par un seul oubli : celui d'incriminer presque exclusivement aoun et jobran le pti gendre. alors qu'entre temps beaucoup se sont allies a lui, beaucoup ont profite de cet etat de chose et se sont tus devant les affres resultant de son accession a baabda

Gaby SIOUFI

10 h 40, le 13 avril 2021

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Commentaires (1)

  • a mon corps defendant, je constate que cet article peche par un seul oubli : celui d'incriminer presque exclusivement aoun et jobran le pti gendre. alors qu'entre temps beaucoup se sont allies a lui, beaucoup ont profite de cet etat de chose et se sont tus devant les affres resultant de son accession a baabda

    Gaby SIOUFI

    10 h 40, le 13 avril 2021

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