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Nos Lecteurs ont la Parole

Le début de la fin... ou pas

Le début de la fin du Liban que je connaissais s’est embrasé en même temps que nos forêts en 2019 et a atteint son paroxysme le 4 août 2020 à 6 heures 7 minutes. Depuis cette minute précise, la bulle dans laquelle je vivais a explosé, entraînant avec elle l’impatience de faire mon entrée dans le monde adulte si attrayant. Désormais, en plein dans ce monde, je voudrais tant redevenir enfant… une enfant naïve, réconfortée par la simple caresse maternelle, non pas une adulte croulant sous le poids des mauvaises nouvelles qui lui parviennent chaque jour.

Les incendies, « la thaoura », le début de la crise économique, la naissance d’un gouvernement, la fin de ce dernier, l’attente indéfinie du prochain, la double explosion du port, l’aggravation de la dévaluation de la livre libanaise, l’hyperinflation, la succession des confinements, l’absence de toute prise de décision politique, la pauvreté soudaine à laquelle le peuple a été soumis, les innombrables licenciements, la liste continue indéfiniment et ne semble pas prête de toucher à sa fin. La boîte de Pandore semble avoir été ouverte, et le Liban en souffrirait les conséquences.

Est-ce la vie que je m’imaginais, mon parcours universitaire à peine entamé ? Est-ce que mes pairs, ma génération méritent de vivre dans cet état de stress constant ? Dans la peur du lendemain ? Est-ce notre faute que le pays en soit arrivé là? La réponse est évidente. Nous vivons dans une cage dorée désormais devenue rouillée, laide, et nos geôliers ne sont autres que nos politiciens. Des politiciens dont les agendas et les mauvaises prises de décision ont condamné le pays au néant sans y penser deux fois.

La lassitude m’a gagnée, une lassitude qui n’aurait jamais dû faire son apparition si tôt. Où que je parte, le même découragement se reflète sur les visages, dans les voix, dans les messages. Combien de temps pourrons-nous continuer ainsi ? Combien de temps pourrons-nous écouter des journaux télévisés qui semblent devenir de plus en plus pessimistes ? Combien de temps accepterons-nous encore de vivre dans un pays au-dessus duquel un nuage noir semble planer ? Chaque jour se présente de mauvais augure. Chaque jour est un poids qui s’ajoute sur les épaules des Libanais. Atlas pâlirait devant nous.

Nous sommes fatigués, nous les jeunes qui aurions dû être pleins de vitalité. Nous qui avons la jeunesse entre nos mains, qui flétrit à vue d’œil. Nous qui voulons ressentir cette bouffée d’adrénaline ressentie par les jeunes adultes étrangers… Ceux d’entre nous qui peuvent quitter le Liban l’ont déjà fait, les autres attendent que l’opportunité se présente et le reste est bloqué. Peut-être nous autres, nous, la nouvelle génération, ne voulons pas être résilients. Nous ne voulons pas sursauter au moindre bruit. Peut-être que nous ne voulons pas voir les rides de l’inquiétude creuser le coin des yeux et des lèvres de nos aînés. Peut-être que nous autres ne voulons pas lutter chaque jour pour avoir un avenir meilleur. Nous ne voulons pas travailler vingt ans pour voir la sueur de notre front couler en vain. Peut-être que nous autres voulons juste vivre, croquer la vie à pleines dents, pas vieillir à vingt ans à peine. Si simplement et évidemment vivre.

Vivre pour grandir au Liban, vivre pour réaliser nos rêves au Liban, vivre pour préserver le Liban, vivre pour vieillir au Liban, vivre pour aimer notre Liban. Un Liban si hors du commun, si unique en son genre, si précieux ; le Liban de Feyrouz : le Liban de nos rêves. Le Liban de nos rêves, qui chaque jour au réveil se dissipe et fait place au Liban actuel. Un Liban détesté, voire haï.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Chaque fois que nous croyons avoir touché le fond, nous nous retrouvons encore plus bas. Notre pays n’était autre que l’illusion d’un pays. La réalité ne peut être niée plus longtemps, le Liban était un simple château de cartes, vacillant depuis 98 et qui désormais ne tient plus.

Nous, les jeunes, devons payer notre dû au Liban et remplacer ces cartes par des pierres. Faire ce que les générations qui nous ont précédés n’ont pas fait.

Nous devons tout reconstruire, comme nous avons rebâti les rues de Gemmayzé et de Mar Mikhaël. Le chemin sera long et tourmenté. Mais partir de zéro est une nécessité. Un artiste ne peint pas sur une toile ratée, il s’active à créer une nouvelle.

Nous devons nous sortir de ces sables mouvants qui nous engouffrent encore plus à chaque effort que l’on fait pour échapper. Nous devons tous et toutes, main dans la main, décider de nous diriger vers un avenir meilleur. Nous ne devons pas frémir devant cette tâche dure. Nous ne devons plus nous laisser berner plus longtemps par des discours de promesses vides qui diabolisent notre richesse communautaire et la transforme en fardeau. Plus vite on se comprendra, on s’écoutera, plus vite on mettra nos différends à part et on se dressera contre ceux qui exploitent le Liban, le pillent et le drainent. Cette résilience, cette épée à double tranchant que nous voulons tant fuir, fait partie de nous, que nous le voulions ou non. Elle s’est imprégnée en nous en regardant nos parents, nos grands-parents, nos voisins, nos connaissances. Nous pouvons toujours la renier, mais elle est bien là.

Cette résilience fait de nous un peuple heureux, nous donne la force de garder la tête haute malgré l’épée de Damoclès qui la menace. Cette résilience, bien que rudement mise à l’épreuve ces derniers temps, nous préserve une lueur d’espoir de jours meilleurs. Les « tfaddal » et les « ahla w sahla » resteront à résonner dans les quatre coins des villes. Beyrouth redeviendra belle, forte, inébranlable, elle se relevera comme elle l’a déjà fait implacablement. Nous resterons au Liban et nous nous dresserons contre l’adversité, advienne que pourra.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Le début de la fin du Liban que je connaissais s’est embrasé en même temps que nos forêts en 2019 et a atteint son paroxysme le 4 août 2020 à 6 heures 7 minutes. Depuis cette minute précise, la bulle dans laquelle je vivais a explosé, entraînant avec elle l’impatience de faire mon entrée dans le monde adulte si attrayant. Désormais, en plein dans ce monde, je voudrais tant...

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